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qu'en les voyant beaucoup, on apprenait à les craindre et à les mésestimer. Sa sagacité à les démêler lui avait souvent fait faire de tristes découvertes; et il se précautionnait contre elle d'une défiance générale, qui n'avait rien d'offensant pour eux, ni de douloureux pour lui-même. Il aimait la retraite, parce qu'il n'avait rien connu qui valût les délices qu'elle offre à l'homme qui possède un esprit cultivé, une imagination sensible, un bon cœur. Les amis de M. Thomas n'ont rien perdu à ses longues et fréquentes solitudes, puisque sa gloire, son bonheur et son attachement pour eux devaient s'en augmenter. Il n'est point de mérite qui ne crût gagner quelque chose dans l'opinion publique, et à ses propres yeux, en obtenant de lui une estime particulière. Tous ses amis étaient dignes de lui, parce qu'un cœur, comme le sien, ne pouvait s'attacher qu'à de nobles qualités. Faits aussi, la plupart, pour être connus de la postérité, ils feront à sa mémoire l'honla leur en recevra. Ses ouvrages, un peu trop dénués de l'empreinte des passions, pourraient faire

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soupçonner dans son caractère une certaine rigidité, qui l'eût rendu moins aimable. Nos mœurs demandent au sage de l'indulgence; invitent le philosophe à des observations fines et déliées. L'humeur, en exagérant tout, ne juge rien, ne corrige rien. La vraie vertu, suivant les objets, sait s'indigner et pardonner. J'ai plus aimé M. Thomas, plus recueilli ses bontés, que je n'ai joui de son commerce. Je l'ai cependant assez connu pour croire, pour oser assurer, que peu d'hommes de lettres avaient une conversation plus utile, plus attachante. Indifférent aux succès de société, il ne se montrait que dans l'intimité; mais il était impossible de ne pas l'y goûter, l'y admirer. L'aménité de ses moeurs, la sérénité habituelle de son âme, la noblesse et la pureté de ses sentimens s'animaient et s'embellissaient d'une gaieté très-agréable, d'une plaisanterie assez maligne, d'une sagacité très-habile sur les vices, qu'on veut cacher, sur les ridicules, dont on ne se doute pas. Il lui échappait beaucoup de mots à citer. J'ai souvent remarqué qu'il avait de quoi s'acquitter envers la satire, qui ne l'a pas

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épargné mais sa conscience veillait sur son esprit; il ne se serait jamais permis d'user d'un talent, qui l'avait fait souffrir.

Ces agrémens de l'esprit et du caractère, donnaient un intérêt de plus à l'instruction qu'on puisait près de lui; et qui était telle, que sa conversation valait une bonne lecture. Peu d'hommes de lettres avaient appliqué leur esprit à plus de genres, avaient plus analysé dans chaque genre. Du fond de sa retraite, il suivait, dans leurs progrès, presque toutes les sciences, tous les arts; et sur tous les objets, il s'était fait des résultats par la comparaison des siècles et des nations. On n'était pas seulement étonné de tout ce qu'il savait, mais de la manière dont il savait.

Je dois remarquer que les gens de lettres d'aujourd'hui, trouvant dans toutes les parties de la science humaine de bons livres, et une meilleure méthode d'apprendre, tombent au-dessous de leur siècle, et perdent des ressources, qui deviennent de plus en plus nécessaires, lorsqu'ils ne sortent pas des études particulières à leur genre. Le talent ne peut plus atteindre à une grande dis

tinction, sans des connaisances, sinon trèsétendues, du moins bien généralisées; et sans un esprit, qui sache mordre à tous les objets et se nourrir de toutes les espèces d'instruction.

C'était dans les correspondances que M. Thomas entretenait avec ses amis, dans toutes les réponses qu'un homme de sa réputation avait à faire, qu'il répandait les fruits de ses études, de ses continuelles méditations; c'était là qu'il appréciait, d'une manière supérieure, les événemens, les hommes, les ouvrages; qu'il discutait les principes de la législation, de la morale, des arts, avec un sentiment profond de tout ce qui est utile et grand, avec un goût aussi ouvert aux beautés, que sévère aux défauts. Ses lettres, qui ne seront peutêtre pas charmantes par l'abandon et les grâces familières, seront des morceaux précieux de philosophie et de littérature; son esprit y est aussi fort et plus détendu.

M. Thomas n'avait d'abord cherché, dans ce goût universel'il avait développé en Jui, qu'un exercic moyen de plus de

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et ses travaux. Il sentit ensuite qu'il pouvait en faire un usage précieux; et qu'on doit aux autres, tout ce qu'on peut leur communiquer de ses connaissances. Fidèle à la confiance, sensible à tout désir sincère d'instruction, ami de tous les talens; soit qu'on le consultât sur un essai; qu'on lui demandât son jugement sur un ouvrage; ou une réponse à une question de philosophie ou de littérature, on le trouvait toujours prêt à accorder une partie de son temps à ces soins presque perdus pour la gloire. Il s'était fait un art de tromper la vanité importune par une politesse froide, sans être désobligeante; un devoir de dire la vérité à ceux qui étaient dignes de l'entendre; et un plaisir d'éclairer le talent sur ses défauts; de l'encourager par une forte estime: il le démêlait à travers l'indifférence générale; il le démêlait dans un mauvais ouvrage; il lui apprenait ce qu'il devait éviter, ce qu'il devait attendre. Il n'était pas prôneur; mais il avertissait les bons juges; il était digne de préparer la justice publique; et il eut, plus d'une fois, cette satisfaction.

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