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sujet aussi vaste; un des notables discours de notre langue; doublement éloquent par la plus grande hauteur des pensées, et un style toujours en verve ; et qui annonce tout ce qu'on devait attendre des derniers progrès de cet écrivain, qui avait toujours été, en acquérant et en se perfectionnant.

Voulez-vous les plus grandes leçons pour les rois, dans un beau drame? Lisez l'Éloge de Marc-Aurèle: une des belles conceptions du génie poétique; un morceau antique du plus beau caractère.

Voulez-vous un monument d'un plan riche, d'une grande instruction; où le talent de l'auteur lutte sans cesse avec les plus grands objets; où il vous fait passer en revue les événemens mémorables de tous les siècles; les hommes illustres de tous les ordres; où il les peint avec toute leur grandeur; et les apprécie d'une manière à fixer les jugemens de la postérité? Lisez l'Essai sur les Éloges: ouvrage digne d'un titre plus imposant.

Ce qu'un homme d'un aussi grand talent a fait, laisse de profonds regrets sur ce qu'il aurait pu faire encore, lorsqu'il meurt, avant

la vieillesse et dans la maturité de son génie. Quelle place dans notre littérature ne pouvait-on pas espérer pour M. Thomas, occupé, depuis vingt ans, d'un poëme épique, et préparant un grand ouvrage sur l'histoire!

Ce n'est pas seulement comme un homme d'un grand talent, que M. Thomas a marqué dans ce siècle; c'est encore comme un modèle de toutes les vertus, qui conviennent à l'homme de lettres. Sa gloire en est plus belle; elle en sera plus chérie, pour être fondée sur ce double mérite. Il faut encore ici rapprocher M. Thomas de l'époque où il a paru.

C'était le moment où les gens de lettres, s'emparant d'une sorte de censure sur les désordres et les abus de la société, étaient plus exposés à la détraction, à la calomnie; avaient besoin de se soutenir par une vie plus exempte de reproches, plus ennoblie de vertus. M. Thomas trouvait toutes les vertus dans son cœur; mais il semble encore avoir tiré des circonstances particulières où il s'est rencontré, un plan d'honnêteté plus parfait. De nouvelles vérités à enseigner, à affermir,

demandaient plus de courage; mais le courage, dans le bien même, a besoin de sagesse et de mesure. Le cours des opinions ne doit pas être plus forcé que celui des choses. La vraie philosophie, comme une bonne administration, mûrit toutes ses réformes; elle doit choisir ses objets et prendre son temps; on s'aperçoit plutôt des changemens qu'elle opère, que des secousses qu'elle a données. M. Thomas examina, non avec timidité, mais avec une vue calme, les choses qu'il convenait de dire; et celles-là, il les dit, non avec la fougue et l'impatience d'un esprit, plus avide de faire du bruit que du bien; mais avec la vive conviction d'une âme sincère, d'un esprit réfléchi. Dès ses jeunes années, il avait aperçu combien les sentimens nobles, les mœurs pures, la pratique assidue des vertus, que notre position nous demande ou nous permet, peuvent donner de bonheur; et c'est à celui-là qu'il appliqua tous ses soins, toutes ses pensées. Observant tous les jours en lui-même, combien le talent s'accroît des qualités de l'àme; combien il est heureux de puiser le sentiment du juste et du beau dans ses jouissances person

nelles; l'amour de la gloire, sa seule passion, l'attachait encore plus intimement à la vertu; et mettait un nouvel intérêt dans la sévérité de sa conscience.

M. Thomas, par la prudence de ses paroles et de ses actions, le respect des convenances et le tact des égards, se conciliait l'estime et la considération de ceux même, qui ne savent pas s'élever jusqu'à des qua lités, plus éminentes, de l'âme et de l'esprit. Celles-ci conviennent trop à l'homme de lettres, pour ne lui être pas nécessaires. Il ne lui suffit pas qu'on l'estime, il faut qu'on l'honore. Exposé aux regards publics par sa réputation; appelé à la gloire d'agir sur les opinions et les mœurs de son siècle, il a besoin de frapper par quelque chose de noble et d'élevé; la dignité de sa vie doit créer de l'autorité à ses écrits. Il a rarement, sans doute, à se signaler par de grands exemples; et il lui conviendrait moins qu'à un autre, de donner de l'éclat à des vertus privées. Mais il est une fermeté dans le bien, un éloignement des choses suspectes, une noblesse de sentimens et d'actions, dont il ne doit jamais se départir. Tel fut, à tous

les égards, M. Thomas. Jamais la voix publique n'a fait entendre un reproche contre lui; il n'est aucune qualité estimable, qu'elle ne lui ait reconnue.

Ce désir de la considération publique, encore plus que le soin de son repos, l'éloignait de tout parti: et ce n'est pas qu'il songeât à se ménager entre eux; il ne voulait que conserver sa liberté, échapper aux préventions, aux préjugés que l'esprit de parti traine après soi. Chacun d'eux pouvait le rallier à lui, quand il ne voulait que le bien; et qu'il consentait à le faire avec sagesse. Il eut encore une autre force plus rare, celle d'étouffer tout ressentiment à l'injure; et de s'interdire le plaisir légitime d'humilier la critique, par la critique même. Il ne lui répondit jamais, qu'en s'élevant plus haut; c'est la seule vengeance qu'il se permit; et elle lui était très-agréable. Je me trompe; il en est encore une autre, qu'il goûtait davantage, celle de professer, pour quelques-uns de ses rivaux, une justice, qu'ils lui refusaient.

Il aimait la retraite, parce qu'il voulait aimer les hommes; et qu'il avait éprouvé

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