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heureuse des sentimens dans les idées ; et cette douce chaleur des passions, qui ne laisse rien sans intérêt; et répand, jusque sur les plus austères pensées, une grâce, qui en embellit la vigueur. Enfin on lui refuse ce don d'être toujours inspiré par les sujets; de se varier de leurs nuances; d'obéir à leurs mouvemens; de saisir tous leurs caractères, pour produire toutes leurs impressions.

A l'examen, chacun de ces reproches paraît vrai, jusqu'à un certain point. Dans l'entraînement d'une simple lecture, on en est moins frappé, parce que le sentiment s'en efface dans l'admiration des grandes beautés, qui les accompagnent. Il n'est donné qu'à un petit nombre d'écrivains privilégiés, d'avoir des défauts, qui se fassent peu sentir; et je ne sais même s'il en est de tels; car ceux dont on ne peut marquer les mauvaises qualités, peuvent encore être recherchés sur les bonnes, qui leur manquent.

Voyons maintenant les qualités grandes et réelles, qui lui ont enfin obtenu une si haute estime. Les sujets qu'il a traités, ont tous de l'élévation et de l'intérêt : la plupart n'appartiennent qu'à la littérature; mais il

y a fondu tant de connaissances, répandu tant de vues et d'esprit, qu'il exerce beaucoup la pensée de ses lecteurs. Il y a, dans sa philosophie, sinon une grande souplesse, du moins une grande sagacité, et une variété piquante d'idées et d'objets. Il est de ces écrivains, dont le talent peint le caractère; en le lisant, on jurerait sur le fond de son cœur ; et ce respect qu'il inspire, dispose encore plus à cette sage indépendance, à ce vif amour du beau et du bon, à ce besoin de n'avoir que des intentions, dont on puisse s'honorer à ses propres yeux, qui paraissent ses passions personnelles. Si on ne le lit pas toujours avec charme, on le lit souvent avec enthousiasme; s'il n'est pas la lecture favorite

des

gens du monde, à qui il faut des grâces plus légères et plus faciles, il est celle de l'homme solitaire, qui veut élever son âme et agrandir sa pensée; il est surtout celle des jeunes gens les mieux nés, qui ont un grand attrait pour ce qui est énergique et même austère; il entretient en eux cet enthousiasme du bien, qui est la vertu et le bonheur de leur âge. Il sera un des écrivains les plus utiles, par les instructions et les impres

sions qu'on en reçoit; il sera un des plus remarquables, par un caractère d'originalité, auquel tiennent également ses beautés et ses défauts; il aura en cela un grand avantage sur des écrivains d'un talent plus pur; car les défauts ne nuisent qu'au succès; mais ce sont les hautes beautés, qui donnent la gloire.

Si je cherche maintenant qu'elle fut sur lui l'influence de son siècle, je me vois conduit à un résultat, tout autre que celui qu'on attend. Il faut mettre une grande différence entre les premiers et les derniers écrits de M. Thomas. C'est dans les uns qu'on aperçoit tous ses défauts; c'est dans les autres que les beautés les font oublier; avec une philosophie trop jeune, il les a trop laissés dominer ; avec une philosophie plus mûre, illes a beaucoup corrigés, du moins adoucis. Il avait besoin de vivre dans une époque de lumières vives et nouvelles, parce qu'il était singulièrement propre à s'en saisir, à en faire une partie de son talent. Je crois donc que ses défauts tenaient beaucoup à la nature de son talent; et qu'il a dû de grandes beautés à son siècle. Il paraît avoir peu connu les

passions, s'être plus recueilli dans ses études que dans ses sentimens; et c'est par-là qu'il est un écrivain penseur, encore plus qu'un penseur original. La force de sa tête ne puisant pas assez dans son propre fonds, il lui a été utile d'avoir à se déployer dans l'examen et la combinaison des plus grands progrès de l'esprit humain. Son style, qui n'a qu'un ton, demandait une grande variété d'idées et de formes de discours; c'est ce qu'un heureux instinct lui fit apercevoir; et il sut s'aider dans ce travail d'une foule de comparaisons, et y porter un art très-habile. Enfin, il me semble que, sans beaucoup d'esprit, son talent ne pouvait acquérir son complément; et rien n'était plus propre que son siècle, à nourrir et à perfectionner son esprit.

Il n'est aucune des qualités du philosophe supérieur, de l'homme éloquent, dont M. Thomas n'offre de beaux exemples.

Voulez-vous des morceaux d'un esprit très-piquant, d'un talent aimable; des modèles, même d'élégance dans le style? Celui de ses ouvrages, qui a eu le moins de succès, et qui manque véritablement du charme

du sujet, vous en offre un grand nombre; c'est l'Essai sur les Femmes: ouvrage précieux par des vues très-fines; intéressant pour le sexe qu'il veut instruire de toutes ses vertus, consoler dans tous ses malheurs; et qu'il n'a peut-être si peu attiré, que parce qu'il voile trop ses faiblesses et ignore trop ses passions.

Vous faites cas sans doute d'un esprit, qui sait embrasser jusqu'aux dépendances des sujets dont il s'occupe; et les exposer d'une manière nette, précise, et aussi simple qu'élégante: lisez les notes, dont il enrichissait ses Éloges; et qui forment d'autres ouvrages; des ouvrages d'un ton et d'un ordre très-différent.

Voulez-vous savoir par quelle force de génie on peut renfermer dans un discours l'appréciation d'un homme extraordinaire, qui a embrassé toutes les sciences, et fait une révolution dans l'esprit humain; et comment on peut animer, par la plus haute éloquence, ce grand tableau tout philosophique? Lisez l'Éloge de Descartes. Lisez encore un autre ouvrage du même genre; un des plus beaux présens de l'amitié à l'amitié ; d'un

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