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VI. Par le goût, le don de ne produire que des beautés pures, et de les reconnaître dans les productions des autres. C'est quelque chose d'exquis ou de bien appris dans le talent.

VII. Le génie, puisant à la source du beau, fournit les modèles du goût, et en dédaigne les règles.

VIII. Le talent, sans les études du goût, n'arrive à rien de parfait.

IX. Un excellent goût donne, aux productions de l'esprit, une teinte de talent.

Sur plusieurs grands écrivains.

1. Il faut tout dire sur les talens qu'on préconise trop, comme sur ceux qu'on n'a pas encore mis à leur place.

On a appelé Bourdaloue le Corneille de la chaire.

Je crois que ces deux hommes ne peuvent être rapprochés, que par leur immense inégalité.

11. Ils sont tous deux distingués par la

puissance de la raison et les écarts du rai

sonnement.

Mais, dans l'un, la puissance de la raison consiste dans une forte et vaste combinaison d'événemens et de caractères, d'où il tire de vives et de grandes situations ; des idées et des sentimens qui étonnent l'esprit, élèvent l'âme, confondent l'imagination.

Elle se montre, dans l'autre, par la méditation étendue d'un sujet où toutes les idées s'unissent intimement et se développent d'une manière nette et complète.

Dans l'un, l'invention du génie; dans l'autre, l'épurement de la logique de l'école.

III. Ce n'est pas avec une moindre différence, qu'ils abusent du raisonnement.

Quand Corneille n'est pas porté dans tout son génie par un heureux motif de scène ou par les objets, qui lui appartiennent particulièrement; manquant de souplesse dans l'imagination et d'élégance dans le style, qui sont les ressources du talent, pour tout élever ou embellir, il tombe dans les petitesses du bel-esprit et les subtilités de l'école; il choque et il impatiente.

Bourdaloue, qui raisonne toujours où il faut sentir; qui prouve tout, même ce qui n'a pas besoin de preuves; qui ne dit rien, ni avec finesse, ni avec gràce; dont l'énergie n'est presque jamais que de la sécheresse; et la simplicité que de la nudité, rend plus désagréable son ton didactique par la froideur de sa marche; il rebute et il ennuie.

IV. Comparons encore Bourdaloue à Pascal. Voyez comme vous restez froid dans la lecture de l'un; combien l'autre vous agite, vous confond, vous subjugue! Cependant Pascal n'est pas au fond plus pathétique que Bourdaloue; il n'est pas moins sévère dans sa doctrine; pas plus orné dans son style. D'où vient donc tant de puissance? C'est que son idée n'est pas seulement une perception claire dans son esprit; elle est encore une vive impression dans son âme. On dirait qu'elle le tourmente; et il paraît plutôt parler pour se soulager que pour se faire entendre.

v. Le raisonnement a aussi son éloquence.

VI. L'éloquence des passions tient beaucoup à la supériorité de leur logique.

VII. Il est encore des personnes, qui croient que l'éloquence altère toujours un peu la saine logique. C'est une vieille erreur, à laquelle les esprits froids sont trop intéressés , pour ne pas la répéter sans cesse.

VIII. Le don de s'affecter de ses pensées, n'est point étranger à cette attention impartiale, qui ne les tire d'un examen exact et sévère des objets.

que

Ix. Les âmes passionnées saisissent d'une vue plus vive et plus nette les objets; elles les peignent à traits plus sûrs et plus hardis; elles pèchent plutôt par la manière de voir que par celle de raisonner.

x. Si on examine bien tous les moralistes anciens et modernes, on verra qu'ils n'ont creusé dans le cœur humain, qu'à proportion de ce qu'ils avaient d'âme et d'imagination.

XI. Ce terrible ennemi des passions de l'homme, que je viens de citer, l'austère, je

dirai même le farouche Pascal, lorsqu'il écrase notre orgueil sous le poids de nos misères; c'est dans un cœur violemment agité qu'il prend ces expressions, ces figures extraordinaires, par lesquelles il relève autant le génie de l'homme, qu'il veut l'abaisser. On sent que son cœur était né pour les passions; qu'il ne les a asservies que par celle de les détruire. Mais il est encore tout plein de leurs accens; ils animent ses accusations; elles se peignent jusque dans la victoire qu'il remporte sur elles.

XII. Massillon fut maîtrisé par la sensibilité de son cœur, comme Bourdaloue l'avait été par la rigidité de sou esprit. En écoutant ce dernier, il dit: Je ne précherai pas de cette manière. Il sentit que c'était surtout dans le cœur qu'il fallait porter la religion et la morale; et que cette dialectique continuelle était plutôt un vice, qu'un mérite dans la raison même.

x. Il sentit, en même temps, qu'une sainte for tion pouvait se dégrader par un

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