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la littérature, est singulièrement remarquable. L'éclat des beaux-arts, sous Louis XIV; cette foule de génies supérieurs et divers; de nouveaux procédés, de meilleures méthodes dans les sciences; un grand nombre de découvertes déja faites; d'autres encore qu'on cherchait ou présentait : toutes ces causes réunies avaient renouvelé, fécondé, agrandi l'esprit humain. Il ne lui manquait plus que le courage d'employer toutes ses forces, et de les porter sur des objets, encore plus imporportans; et c'est ce qu'on obtint de plusieurs événemens, qui concoururent ensemble.

Les désastres de la fin de ce règne, en donnant aux esprits l'énergie naturelle de la plainte et du murmure, les avaient tournés vers les erreurs du gouvernement; les querelles théologiques lassaient une nation polie et aimable, qui commençait à s'éclairer; tout contribuait à les décrier et à porter ailleurs l'activité de l'esprit national, jusqu'à ces crises de finance et cette licence des mœurs, qui furent les déplorables événemens de la régence; on pensa avec plus de liberté; on trouva moins de résistance pour des idées nouvelles. De grands hommes se

rencontrèrent, qui mirent les sciences en honneur, en les expliquant avec intérêt et clarté. Les sciences, encore plus que les beaux-arts, ont besoin de la communication des peuples. Notre philosophie naissante se nourrit dans la philosophie plus profonde d'une nation, qui avait fait de la liberté de penser et d'écrire la base de sa constitution politique.

Ce fut l'action lente et graduée de toutes ces causes, qui amena la révolution mémorable, qui distinguera la seconde partie de ce siècle; et dont le projet de l'Encyclopédie a été comme le signal..

par

Alors a commencé cette philosophie, qu'on a appelée du dix-huitième siècle, qui, plus impatiente d'user de ses forces, que soigneuse de mûrir ses entreprises; plutôt irritée que modérée les obstacles qu'elle rencontrait; s'avançant, dans sa lutte, avec les préjugés, comme au milieu d'une guerre civile, a donné à la raison même je ne sais quoi d'impétueux et d'exagéré, qui secondait mieux ses attaques, qu'il n'assurait ses succès. Mais cet esprit philosophique, en détruisant de grandes erreurs; en manifes

tant de grands abus; en brisant les chaînes de la pensée ; en lui créant un nouvel art de se saisir des choses; en lui donnant d'autres vues; en la tournant sur d'autres objets, a jeté partout des germes de vérité et de liberté; a imprimé une autre direction aux esprits; et presque un autre cours aux événemens politiques et moraux : il aura au moins la gloire d'avoir préparé une grande révolution sociale; les grands hommes, qui seront placés à la tête des nations, trouveront des lumières acquises sur le bien qu'ils voudront faire; et, ce qui leur sera encore plus favorable, des esprits plus disposés à l'accepter.

De là un nouveau caractère dans les écrits de ce siècle. Un lecteur attentif, en passant des ouvrages de l'autre siècle à ceux du nôtre, reconnaît la même langue, mais aperçoit un nouvel esprit. L'espèce des idées, la manière même de les énoncer, les moyens et le but; tout ce qui sert à distinguer des choses, qui ne se rapprochent, qu'en se produisant dans ces heureuses formes de la pensée, création de la première de ces époques, héritage impérissable de toutes les autres;

tout cela donne une autre couleur aux ouvrages; annonce dans les auteurs une éducation différente; et la plus puissante de toutes, celle des objets et des opinions qui les

entourent.

Lequel de ces siècles vaut le mieux? Chacun devait avoir ses avantages et son mérite propre; c'est la loi de la nature, qui veut que tout se succède ; et que les choses se détériorent d'un côté, en se perfectionnant de l'autre. Nous avons un grand nombre de génies éminens à mettre dans la balance des deux siècles, et un plus grand nombre de bons ouvrages; parce qu'avec des lumières plus étendues, une raison plus exercée, plus de modèles et de secours, et de nouvelles carrières qui s'ouvrent sans cesse, on peut bien faire, avec un talent moindre; comme on ne peut plus s'élever à la hauteur des grands écrivains antérieurs, même avec un talent égal, dans les genres où ils ont excellé.

Telle était l'époque où M. Thomas a commencé d'écrire: plusieurs des grands hommes, qui avaient fait cette révolution philosophique, étaient déjà morts. Un plus grand

nombre restait; et d'autres encore s'élevaient pour prendre place au milieu d'eux. Sans le sentir, du moins sans le croire, M. Thomas en était un. Comme tous les écrivains qui ont un caractère à eux, il a des défauts marqués, ainsi que des beautés supérieures. Je n'aurais le droit de louer les unes, si je n'examinais les autres; car, dans les éloges, c'est la justice qui honore, c'est la vérité qui

reste.

pas

Les défauts qu'on a reprochés à M. Thomas, sont une manière, un peu colossale, d'envisager et de présenter les objets; avec cela, et par un contraste singulier, une analyse quelquefois lente et uniforme, où il sépare tout, par la division et l'énumération. De là, souvent dans son style, une continuité de peine et d'effort; et quelquefois un mélange de sécheresse et d'enflure. On lui conteste cette philosophie inventrice, qui, en offrant beaucoup d'idées, les tire de ses propres impressions, plus encore que des richesses d'une savante et profonde lecture. On lui refuse ce développement simple et facile du discours, qui soutient l'attention, en la délassant. On lui refuse aussi cette fusion

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