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Cependant elle cultiva toujours les liaisons du grand monde; et parvint à s'y bien établir; elle voyait chez elle-même la meilleure compagnie; et avait un maintien fort noble.

Ses bizarreries, sa franchise, et un tour d'esprit très-mordant, lui tenaient lieu de tout ce qui lui manquait; elle savait braver les ridicules et en donner; deux moyens de se soutenir et de faire effet. Elle aimait uniquement l'esprit; les choses d'esprit; les gens d'esprit ; et en trouvait fort peu, en tout et partout. Il y avait là de quoi être pédante et choquante; elle n'était que singulière. Sa méchanceté était toute en paroles, jamais en tracasseries; ses décisions étaient toujours tranchantes; mais elle essuyait, sans aigreur, des contradictions, non moins absolues; elle jugeait sans cesse et sans appel, les personnes et les choses; mais la bizarrerie de ces jugemens en faisait le sel; on s'en moquait, tant qu'on voulait; au risque qu'elle se moquât des moqueurs; et elle s'entendait très-bien à cela; elle avait sur chacun, des mots très-piquans, et qui restaient.

Du reste, si elle était insupportable à

quelques-uns, elle était très-agréable à d'autres; elle sentait très-bien le bon ton dans les hommes, la grâce dans les femmes ; et ceux et celles qui lui plaisaient, s'en faisaient un triomphe plus flatteur. Il faut encore ajouter qu'elle avait beaucoup d'expérience de la société ; savait beaucoup d'anecdotes; et contait très-bien.

des

Elle n'était pas moins hors de l'ordre commun, dans ses affections et sa vie intérieure. Elle n'entendait rien à tous les sentimens de la nature; elle ne concevait là que devoirs; l'héroïsme des vertus se bornait pour elle aux beaux et nobles procédés; elle les pratiquait et en recevait.

Rien ne peut mieux la caractériser, que sa manière d'être avec le vieux président de Nicolaï; elle dînait chez lui, trois jours de la semaine; et les autres jours, il passait la moitié de la soirée avec elle; c'était sa confidente, son conseil; et autant que cela se pouvait entre eux, son amie; elle l'avait sauvé de la mort dans une maladie, par ses soins, son zèle, et surtout sa résolution, au milieu des avis divers des médecins; il lui faisait une pension et tenait un carrosse à

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ses ordres. Or, en voyant ces deux personnages ensemble, on eût dit les deux plus hargneux ennemis; ils se disputaient, se contredisaient sur tout, ne se cédaient en rien; se disaient, de part et d'autre, les plus impitoyables vérités; et le tout, sans jamais se fàcher.

Elle vivait beaucoup chez elle, où elle avait souvent un cercle fort bien composé. Elle avait besoin d'un intérieur agréable; mais, à force d'exiger de perfections dans ses domestiques, elle était parvenue à ne pouvoir plus être servie; elle n'en pouvait garder aucun, plus d'un mois; rien ne la faisait plus souffrir; sans qu'elle ait jamais pu concevoir, que cela venait d'elle seule. C'était une espèce d'hommes qu'elle avait réellement prise en haine.

Elle avait été, dès le couvent, ce qu'on appelait un esprit fort; et avait gardé, de la vie de couvent, les plus misérables superstitions; elle ne se serait pas mise à table, elle treizième; elle croyait aux mauvaises rencontres; s'étouffait, pendant de longues heures, dans une chambre noire, à l'approche du tonnerre.

Se's bonnes qualités étaient la prudence, la discrétion, la fidélité, et le désir de servir les honnêtes gens et les malheureux; elle les exemptait d'esprit, dans ces occasions, seulement.

En tout, c'était une personne fort singulière, que mademoiselle de Somery.

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THOMAS,

DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Ce morceau a été écrit, quelques mois après la mort de M. Thomas, en 1786.

AVANT de connaître M. Thomas, ses écrits avaient été utiles à mon âme; ses conseils ont dirigé mes premiers essais; son estime a été le but de mes plus nobles efforts; son amitié, la récompense de ce que j'ai pu penser ou écrire d'un peu estimable. Tant de précieux souvenirs ont dû me recueillir davantage sur ses productions; me faire distinguer quelques traits particuliers dans son caractère. C'est dans ces impressions, approfondies par sa mort prématurée, que je me propose de rechercher une image fidèle de l'homme respecté, que nous venons de perdre.

L'époque où M. Thomas est entré dans

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