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est remplie de délices, qu'elles seules connaissent; et loin de s'épuiser dans ces vives, dans ces premières affections, elles savent encore se répandre dans d'autres sentimens.

Tous les cœurs qui aiment, sont aimés; il n'y a que les hommes froids et égoïstes, qui vivent dénués d'intérêt et d'attachement. Mais l'estime et la bienveillance, obtenues et rendues, ne composent qu'une amitié ordinaire. Il en est une autre, pour laquelle peu de gens sont faits; et que bien peu de ceux qui en seraient dignes, trouvent à former.

C'est dans celle-ci que vous avez toujours un objet où reposer votre cœur; qui assiste à vos actions, à vos rêveries; pour qui vous recueillez toutes les pensées, tous les sentimens, qui ont occupé et agité votre âme; et de qui vous attendez tout ce que vous lui réservez. L'existence se double dans ces unions seules intimes, qui se forment de ce qu'il y a de pur dans les passions, d'aimable dans la sagesse; après la douceur de l'épanchement, vous y goûtez celle des affections partagées; vous y jouissez de tout ce qu'il y a de bon et de varié dans des âmes qui s'entendent; de tout ce qu'elles s'empruntent;

surtout d'une conscience qui s'épure, et s'ennoblit sans cesse, par le bonheur qu'elle reçoit.

Il fut accordé à la digne femme, dont je fais l'éloge, d'éprouver et d'inspirer cette espèce d'amitié, dans laquelle c'est une faveur des cieux de mourir le premier; et qui ne laisse plus dans la vie, d'autre bonheur, que le charme des regrets et des souvenirs.

Toutes les vertus de madame Élie de Beaumont venaient de l'inépuisable bonté, qui faisait son caractère. Elle portait la bonté à un excès, qui mérite d'être remarqué.

Née avec une sensibilité très-prompte et très-vive, tout l'affectait fortement ; et souvent jusqu'à la douleur et l'impatience. Mais, persuadée que la douceur et la complaisance étaient les vertus particulières de son sexe, elle s'était fait une foi, dès sa jeunesse, d'immoler toujours ses goûts; de dissimuler ses peines; de ne laisser échapper ni plaintes, ni reproches; dans les affaires, dans les amusemens de la société, la crainte de chagriner ou celle de déplaire la tenait sans cesse attentive à ce que désiraient les autres; elle n'en exigeait rien; elle en souffrait tout; elle re

nonçait à ses volontés, au point de laisser croire qu'elle n'en avait point. Le monde est alein de gens, qui s'accommodent parfaitement d'un pareil caractère ; et qui en abusent avec cruauté. Aussi ces sacrifices, sans cesse renaissans, la déchiraient, usaient une santé naturellement délicate; et troublaient les plaisirs auxquels elle était le plus sensible. Ses amis lui reprochaient tant de sacrifices, pour des personnes, qui ne savaient pas même les apercevoir! Elle-même s'en accusait, comme d'une faiblesse; mais jamais il ne fut en elle, ni de cesser de s'offrir pour victime, ni de l'être sans douleur.

Je ne connais rien de plus touchant que ce caractère, qui est souvent celui des femmes les plus vertueuses. Il appelle autour d'elles ces tendres soins, ces attentions délicates; inventées par leur sexe, parce qu'il en éprouve davantage et le prix et le besoin.

Madame Élie de Beaumont a été enlevée, avant l'âge qui touche à la vieillesse; et par une maladie subite, qui l'a, tout d'un coup, fait passer d'un état de convalescence à un état de mort; trois jours avant sa mort même. Ainsi elle a encore éprouvé un mal

heur, toujours redouté des âmes aimantes; celui de quitter tout ce qui nous est cher sans donner et recevoir ces tristes adieux, qui sont la dernièrė douleur, et la dernière consolation de la vie.

Mlle. DE SOMERY.

Auteur d'un ouvrage, fort piquant, intitulé: Doutes sur les opinions reçues dans la société. ( J'ai, dans mes morceaux de littérature, un examen de cet ouvrage.)

Mademoiselle de Somery était une vieille fille, fort singulière; on ne savait, elle ne savait elle-même de qui elle était née; du moins, c'est une confidence qu'elle n'avait faite à personne. Personne ne s'est jamais vu plus complétement hors des rapports et des affections de famille. Jetée dans un couvent, dès son jeune âge, une petite pension, que le couvent recevait pour elle, finit bientôt ; sans qu'on ait su davantage pourquoi elle avait cessé, que pourquoi elle avait commencé. Heureusement qu'elle se trouva douée d'un esprit prématuré : dès l'âge de quinze ans, elle était le bel esprit du couvent; elle prétendait que, dès cet âge, elle

avait tout lu, tout jugé; et elle s'en tenait encore à ces jugemens-là.

Elle en avait de fort bizarres; elle appelait La Fontaine, un niais; Fénélon, un bavard; Madame de Sévigné, une caillette. Jugez du reste.

Je me rappelle que, parmi ceux qui la connaissaient, c'était une chose plaisante à deviner, que la manière dont elle serait affectée de tel ou tel ouvrage. Ses succès de couvent furent, pour elle, une honorable ressource; ils lui donnèrent des amis, qu'elle mérita de conserver, par un profond dévouement. La maréchale de Brissac, avec qui elle avait été élevée, la plaça chez elle, à son mariage; et lui assura une pension de 3000 livres, par son testament. Alors elle vécut chez elle, avec une parfaite indépendance.

Elle n'avait rien à prétendre ni du côté du mariage, ni de celui de l'amour. Elle était laide; et sans aucun des agrémens des femmes, ni dans la personne, ni dans le caractère. Elle prit bientôt son parti là-dessus; et s'habilla toujours, à sa manière; ce qui allait d'ailleurs à son étroite fortune.

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