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dres productions de cet auteur; qu'il faut critiquer encore, parce qu'elles peuvent séduire par leurs défauts mèmes.

J'ai essayé, plusieurs fois, de lire ses Opéras. J'avoue que ne portant d'autre intérêt dans cet examen, que mon plaisir ; et ne le trouvant jamais, je n'ai point achevé.

Je n'aurai pas la même indifférence pour ses Églogues. Plusieurs me paraissent avoir un fond très-piquant et de très-heureux détails. Mais comment se passer, dans ces sujets, de l'imagination et de la sensibilité, qu'on n'y trouve jamais? Il faut pourtant que l'esprit ait bien des ressources, puisque Fontenelle approche, quelquefois, de la manière des vrais poëtes :

Elle m'eût, en partant, dit quelques mots tout bas,
Avec sa douce voix et son doux embarras.

Voilà de la grâce de La Fontaine. Il peint
ainsi l'impatience amoureuse d'un berger:
Quel siècle jusqu'au soir! Il mesure des yeux
Le tour que le soleil doit faire dans les cieux ;
Il faut que sur ces monts ce grand astre renaisse,
S'élève lentement, et lentement s'abaisse.

Voilà la poésie passionnée de Virgile.

Loin de justifier l'espèce d'estime, que quelques personnes conservent encore aux Dialogues des Morts, je crois qu'il importe de la détruire. Quel mérite peut-on trouver à un livre, qui ne reproduit les grands personnages et les grands événemens, que pour les dégrader; ne les rapproche que par les rapports les plus forcés, les plus choquans; et ne tire de ces rapprochemens que les résultats les plus frivoles? Un livre, dont le plan est tout dramatique; et où les caractères les plus imposans et les plus variés, ont perdu toute majesté, et paraissent jetés dans le même moule? où l'auteur, ne pouvant s'élever à leur ton, les ravale au-dessous du sien même; car, ici, l'esprit de Fontenelle n'a rien de bien distingué : on n'y rencontre jamais de ces choses si habilement aperçues, si heureusement exprimées; tout s'y réduit à ce qu'on apppelle du bel esprit; qui n'est, dans un tel sujet, qu'un vice de plus?

S'il y avait quelque chose à louer dans cet ouvrage, ce ne serait pas les dialogues, mais le jugement de Pluton. Fontenelle seul, peut-être, était capable de se charger d'écrire lui-même tous les reproches, qu'il es

suya; ce n'est pas qu'il les méprise ; il paraît, au contraire, en sentir la force et la justesse. Néanmoins il les écrit ; il en fait une partie de son ouvrage même; il emploie tout son esprit à les bien saisir, à les bien rendre; il ne s'y épargne pas; il s'attaque et ne se défend pas. Eclairé et animé par la critique des bous juges, qu'il avait soulevés, en exprimant les plaintes des héros contre les idées et les discours qu'il leur avait prêtés, il conçoit mieux leur âme et leur génie; et, cette fois, il n'est pas toujours indigne de les faire parler. Ce courage de l'auteur contre lui-même, me paraît un des traits les plus remarquables de son caractère personnel.

Je respecte la réputation plus juste, dont jouit encore le livre des Mondes. Je suis loin de contester l'utile nouveauté de son dessein et l'agrément de l'exécution. Sans doute, c'était une belle et heureuse idée, que celle d'apprendre aux gens du monde, qu'ils pouvaient pénétrer dans les sciences; et aux savans, qu'ils pouvaient se faire entendre des gens du monde ; et jamais on n'a porté plus de clarté, de précision et d'élégance, dans le développement d'une science, qui n'avait

su encore se produire, qu'avec la langue des mathématiques. A ces deux égards, les Mondes resteront un des beaux livres de notre littérature. Mais celui-ci, en donnant un bon exemple, n'a-t-il pas donné un mauvais modèle?

Le sujet appelait de hautes idées, de riches images; il demandait un style animé et majestueux. Quel est le ton que Fontenelle y a porté? Celui d'une froide galanterie. Il met en scène deux interlocuteurs, un philosophe et une femme. Mais le philosophe, au lieu d'élever son âme par la magnificence des objets qu'il décrit, n'ose même en parler avec la dignité qui leur est propre; il se fait un bel esprit de toilette, pour parler du mouvement des astres! Cette femme, à qui il pouvait donner une envie de connaître, d'autant plus intéressante, qu'alors encore son sexe était obligé de l'immoler à un sot préjugé; cette femme, dont l'imagination pouvait s'exalter dans les augustes révélations d'une science toute poétique et toute religieuse, à peine daigne-t-elle s'intéresser aux lois de l'univers! Elle les écoute, avec une curiosité avide; elle les pénètre, avec

une rare sagacité; mais elle ne sait jamais. les admirer; elle semble n'avoir cherché qu'une nouvelle occasion de cet importun badinage, qui était, apparemment, le ton de sa société ! N'est-ce pas là dégrader les sciences, plutôt que les embellir? Si l'auteur de l'Histoire naturelle avait pris ce ton et ce style, aurait-il mérité sa gloire; ou plutôt n'aurait-il pas tout gâté, et dans les sciences et dans la littérature? Les ornemens que l'on prête aux sciences, doivent être dignes d'elles; ou elles doivent les rejeter.

Veut-t-on voir en ceci l'auteur condamné par lui-même? Il faut lire l'Histoire des sciences et les Éloge des savans. Alors son talent, interprète des sciences, et entre elles et envers le public, s'était épuré et agrandi dans ce commerce.

La vie personnelle de Fontenelle ressemble à ses ouvrages; elle offre plus de sagesse et d'habileté que de grandeur; il a droit à l'estime, au respect même. Mais, en rendant hommage à la pureté de sa conduite, à des actions, à des paroles mémorables, on voit encore quelque chose de trop calculé

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