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phelin et le roi sont sans cesse mis à côté l'un de l'autre, afin que son cœur ne puisse s'élever, sans s'attendrir; et qu'il s'afflige, en même temps, de sa fortune et de son délaissement. Au milieu de ces tendres épanchemens, les plus grandes vérités lui sont enseignées; et tous les devoirs du prince sont fondés sur les droits des peuples.

Les auteurs du Télémaque et du Petit Carême eurent bien des rapports. La nature leur accorda un talent et un caractère pleins de grâces et d'onction; leur destinée les conduisit l'un et l'autre à être les précepteurs d'un jeune prince; et, dans cet auguste emploi, leur âme noble et franche les a élevés au-dessus des préjugés, qui devaient naturellement les dominer. Ils se ressemblent jusque dans l'espèce de leurs défauts, qui sont de la faiblesse et des longueurs. Avouons cependant, que si ces deux hommes peuvent être rapprochés par tant de choses, ils ne peuvent être égalés. La sensibilité, dans Massillon, est moins vive, moins profonde; elle n'annonce pas une âme si beureusement douée. Son imagination paraît aussi souple;

elle ne paraît pas aussi féconde. Les beautes et les défauts, dans Fénélon, sortent uniquement d'un cœur, qui ne fait que s'ouvrir et se répandre; les beautés et les défauts, dans Massillon, tiennent davantage à un art singulièrement facile, qui souvent abuse de lui-même.

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LA BRUYÈRE.

LA BRUYÈRE est un plus profond morafiste, qu'on ne l'a dit. Son regard a embrassé tout le spectacle de la société, dans une grande monarchie. Tous les rangs, toutes les conditions, toutes les passions, tous les travers sont saisis, rapprochés, gravés dans son livre ; c'est un tableau de toute la vie civile. La vérité, chez lui, naît de la fidélité et de la variété des nuances. Mais, comme tous les grands peintres, il remonte toujours au type fondamental de toutes les figures; il peint un courtisan, un bourgeois, l'homme d'épée, l'homme de robe, le parvenu, le nouvelliste etc.; mais il atteint toujours, dans le cœur humain, à l'affection générale, analogue à la forme particulière; elle sort toute entière dans ses portraits; elle en fait l'éclat, le mouvement, et la vie.

Voyez encore combien le cadre qu'il a inventé est riche et heureux! Moins les transitions, son livre est un ensemble, puisque.

tous les objets s'y groupent, comme dans un tableau. Frappé de tant d'objets, qu'il range autour de lui, avec un art, qu'on n'aperçoit pas; et toujours frappé vivement, aucun n'est omis; et il se livre à chacun, avec la passion qu'il peut donner. Ici il s'indigne; là il s'attendrit; il invective, avec une rare énergie; il peint, avec la grâce la plus aimable; il descend à la plaisanterie; il remonte à la gravité. Il est orateur, poëte, philosophe, comme il le veut, et où il le faut. Soit qu'il pense, soit qu'il peigne, toujours des tours et des formes, qu'il invente et diversifie, jusqu'au prodige. C'est là surtout où il est et restera un écrivain à part. De tous, c'est celui qui a le moins imité; et qu'il serait le plus dangereux d'imiter.

Tous les grands hommes du beau siècle où il a vécu, nous sont parvenus avee les principaux détails de leur vie, comme avec les titres de leur gloire. Nous pouvons les comparer à leurs ouvrages, et les y reconnaître. Pourquoi La Bruyère a-t-il une destinée si différente? Il n'est pas aisé de le concevoir. Il n'y a donc qu'un seul monument, où l'on puisse chercher quelque image

de cet écrivain; et c'est dans son livre même. Je me plais à recueillir ici les traits de La Bruyère, qui me font le mieux présumer du fond de son cœur.

Quelle profonde humanité dans cette pensée! « Il y a des misères sur la terre, qui » saisissent le cœur. Il manque à quelques» uns, jusqu'aux alimens; ils redoutent l'hi» ver; ils appréhendent de vivre. L'on man»ge ailleurs des fruits précoces; l'on force » la terre et les saisons, pour fournir à sa » délicatesse. De simples bourgeois, seu»lement à cause qu'ils étaient riches, ont >> eu l'audace d'avaler, en un seul morceau, >> la nourriture de cent familles. Tienne qui » pourra contre de si grandes extrémités; je >> me jette et me réfugie dans la médiocrité. »

Sa sensibilité ne se contente pas de gémir et de s'indigner, eu contemplant le sort des malheureux; elle lui dicte les plus belles règles, pour une bienfaisance active.

« C'est assez pour soi d'un fidèle ami; >> c'est même beaucoup de l'avoir rencontré. >> On ne peut en avoir trop, pour le service » des autres. >>

Écoutons comment il sait aimer:

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