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Il me semble que je l'entends se dire à lui-même : «< L'exemple de mes aïeux m'in» vite à me présenter dans le palais des >> rois; et ma qualité de citoyen m'ordonne » d'y demander une fonction publique.Com>> ment me conduirai-je dans ce séjour? » comme un homme qui y vient faire son » devoir. J'élèverai la voix pour le faible; >> j'attaquerai l'oppresseur; je porterai au » souverain l'opinion publique; et tou>> jours je louerai ou blâmerai, selon ma >> conscience. C'est un rôle, qui vaque long» temps dans les cours ; je ne le sens pas au» dessus de moi; et je m'y voue tout entier. >>> Quel est ce jeune roi qui se présente à son » siècle, avec de si brillantes destinées, et >> qui annonce de grands sentimens! Voyons >> comment il accueillera un homme qui ne >> flatte pas, mais qui dément les flatteurs. » Sans doute, on sera bientôt fatigué de >> moi dans ce centre des intrigues et des » faussetés; je serai encore plutôt révolté de >> leurs perfidies secrètes et de leurs orgueil>> leuses bassesses. Mais je veux entrer en » guerre avec eux; si je suis vaincu, alors il » me sera permis de revenir achever ma

» vie, pauvre et content, dans le château » de mes pères. Je vais donc à la cour; mais » je le jure, j'y dirai la vérité. »

Il s'était trompé dans son attente; il trouve dans cette cour un roi, qui devient jaloux de l'existence d'un pareil homme; et qui se croit digne de vivre et de régner, sous ses regards.

Mais il reste fidèle à son serment: aucun intérêt, aucune considération, aucune fausse bienséance ne peut jamais ni en imposer à sa pensée, ni intimider sa franchise; et ce qu'il ne peut dire, il l'exprime sur son visage, qui censure, comme ses paroles.

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RICHELIEU ET MAZARIN.

Tiré de mon Éloge de Montausier.

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La jeunesse de Montausier s'écoula entre deux époques mémorables. Il vit la puissance de Richelieu et son règne; car c'est de ce nom qu'il faudrait appeler celui de Louis XIII, qui n'y eut d'autre part que de donner, premier, l'exemple de la soumission aux volontés de son ministre ; de ce ministre, qui subjugua dans l'âme de son maître jusqu'à la haine; eut un vaste génie; chercha la gloire; fut dépositaire de toute l'autorité royale; mais ne la fit jamais servir qu'au maintien de sa propre grandeur; opprima la France, pour abaisser l'Autriche; apprit aux grands à tout craindre, aux peuples à tout supporter; ne vit jamais dans les lois, que des instrumens serviles entre les mains de l'homme puissant ; leur imposait silence devant ses volontés; ou leur commandait de prêter leurs formes et

leur nom à ses vengeances; et n'a dû qu'à la reconnaissance des lettres, d'échapper, peut-être, à la renommée des tyrans.

Montausier vit ensuite la régence d'Anne d'Autriche, et ces longs troubles, où la nation parut, d'abord, vouloir se venger de l'affront d'être gouvernée par un étranger qu'elle méprisait; où elle parut même, pendant quelques momens, tendre à la réforme de l'état: dessein digne de l'âme et du génie du cardinal de Retz; et qui eût placé, parmi les bienfaiteurs des peuples, un factieux sans but et sans plan; ces troubles où l'autorité royale fut sans vigueur; où les grands ne se révoltèrent que pour trafiquer de leur soumission; où les femmes étendirent l'empire de leur sexe et accrurent la corruption des mœurs, en mêlant la galanterie aux affaires; et en opposant le genre d'intrigues, qui leur est propre, à la fourberie italienne, le seul talent de Mazarin; où la magistrature, étonnée d'être devenue le centre des factions, voulut au moins faire régner ses formes dans leur anarchie; et par-là fit entrer le ridicule dans une guerre et une insurrection; où le peuple, seul, montra quelque con

stance et quelque raison, en répétant, tant qu'il eut quelque espoir, ce cri de l'indignation et du mépris: Point de Mazarin; mais où la nation entière ne sut ni rien faire, ni rien désirer pour son bonheur; où elle riait et chantait dans une guerre civile; bien différente d'un peuple voisin qui, à la même époque, faisait tomber sur un échafaud la tête du malheureux Charles I.; et ne reconnaissait rien de sacré et d'inviolable, que`ses droits et sa constitution.

Descendons dans l'âme de Montausier; voyons ce qui s'y passe, à la vue de ces spectacles si divers. Tandis que Richelieu subjugue les protestans et fait trembler la haute noblesse, Montausier, encore jeune, et qui ne peut encore produire son âme, y nourrit une indignation contrainte; la plus énergique des impressions, que le cœur humain puisse recevoir et conserver. Mais, pendant l'agitation de la Fronde, il s'habitue à des sentimens, peut-être encore plus utiles pour le pays et pour le temps où il doit vivre; il monte son âme à ce courage, qui ose juger et reprendre les cours et les rois ; et qui est une grande vertu dans une monarchie absolue.

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