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L'HOPITAL ET SULLY.

Ces Portraits ont été écrits en 1782; retouchés en 1816.

Tous deux vécurent dans les guerres civiles; mais l'un les vit commencer, l'autre les vit finir.

Tous deux furent des ministres et des hommes d'État; mais l'un avait éminemment le génie de la législation, l'autre le génie des affaires.

Tous deux eurent une vertu ferme et sévère; mais je vois dans l'un les qualités. de cette ancienne noblesse, dont il descendait, relevées par une vaste application, un grand sens, un caractère énergique ; je vois dans l'autre une âme nourrie dans la méditation des grandes pensées et des grandes actions de l'antiquité, à laquelle il appartenait, même par sa figure, où l'on croyait reconnaître l'effigie d'Aristote; et où l'on sentait une dignité extraordinaire.

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Tous deux furent les censeurs et les réfrénateurs d'une cour et de leur siècle mais ici leur gloire n'est pas égale : l'un n'eut que des désordres à réprimer; l'autre eut des massacres publics à prévenir.

Quel imposant spectacle que celui de L'Hôpital, retenant,, seul, pendant sept ans, ce torrent de fureurs prêt à se déborder; parlant hardiment de justice et d'humanité dans une cour, où ces mots sacrés ressemblaient à des cris de sédition; démentant et accusant dans les assemblées nationales et dans les conseils des rois, toutes les maximes coupables ou dangereuses; contenant le génie factieux des Guises; se soumettant l'âme noire et faible de Médicis ; captivant, par le respect involontaire qu'il inspirait, les deux rois qu'il servit rien ne put rendre la liberté à tant de cœurs avides de crimes, que son exil. Eh! quel était donc cet homme qui exerçait ainsi tout l'ascendant de la vertu? c'était le fils d'un proscrit et le petit-fils d'un Juif. Telle fut la destinée de L'Hôpital à la

cour.

Celle de Sully y fut bien différente; il était l'ami du meilleur de nos rois. Mais ce

qui fit son bonheur devint sa plus belle gloire. Jamais on n'a mieux rempli ce poste si important et si délicat; il veillait sur le cœur de Henri, avec le même soin que sur l'administration du royaume; il se serait accusé, dans sa conscience, d'une faiblesse du roi, qu'il aurait pu empêcher, comme d'une prévarication. Il tient école, dans ses Mémoires, de tout le zèle, de toute la franchise, de toute la fermeté, que l'homme de bien doit apporter dans l'amitié des princes.

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MONTAUSIER.

Les grands caractères ne sont pas seulement déplacés dans des temps d'avilissement; ils le sont encore dans ces siècles de splendeur et de soumission, où une monarchie absolue s'affermit dans une nation, plus avancée dans les beaux arts que dans les bonnes lois. Alors ce qui s'opère de bien se fait par d'au tres mobiles que les vertus sévères et énergiques; elles ne peuvent plus même se produire, tout entières, dans les mœurs.

C'est encore beaucoup de ne dissimuler ce caractère, ni au maître, ni à la nation; de le montrer hautement, comme un auguste débris des vertus antiques; et semblable à ces vieilles forteresses, sous lesquelles les peuples des campagnes ne vont plus se réfugier, mais qui attestent encore, dans leur désarmement, la majesté de leur ancienne protection.

Alors un courtisan de Louis XIV, le sévère Montausier, sans être un réformateur

dans son siècle, est le censeur d'une cour par ses paroles; il affiche son mépris pour les malhonnêtes gens; il dit la vérité au roi ; il

élève l'héritier du trône dans les maximes d'une probité inflexible; et au moment où son élève peut devenir son maître, il lui adresse ces mots célèbres : Monsieur le Dauphin, si vous êtes honnête homme, vous m'aimerez; si vous ne l'êtes pas, vous me haïrez; et je m'en consolerai. C'est ainsi qu'il ose ou réclamer la reconnaissance d'un bon roi, ou provoquer la colère d'un tyran; et professer cette indépendance absolue de celui qui ne craint plus rien, quand il a fait son devoir.

Le morceau suivant, qui fait Portrait, est tiré de mon Eloge de Montausier, couronné à l'Académie, en 1791.

Quelle cour pouvait menacer davantage un caractère aussi fier, aussi libre que celui de Montausier? Mais quels services ne peut-il pas y rendre? Il ose y venir; il ose y apporter son caractère; et c'est la plus belle résolution de sa vertu.

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