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PARALLÈLE

DU

STOICISME ET DE LA CHEVALERIE,

CONSIDÉRÉS COMME PRINCIPES DE MOEURS ET COULEURS DES CARACTÈRES, DANS DEUX ÉPOQUES DE L'HISTOIRE.

Ce morceau a été écrit en 1782, retouché et augmenté en 1816.

LE STOICISME.

LORSQUE la politique, dans la Grèce, perdait l'art et les moyens de conserver des constitutions libres, la philosophie entreprit sur les hommes, ce que la politique ne savait plus faire sur les peuples.

Parmi toutes ces sectes, que le développement des premières lumières et le fanatisme des systèmes et des disputes, avaient si fort multipliées à Athènes, il en est une,

qui fut le triomphe de l'austérité morale. Quels étaient donc les principes par lesquels elle dirigeait les hommes extraordinaires, dont elle s'honore? J'écoute et je frémis:

« De quoi te plains - tu, disait – elle à >> l'homme? Pourquoi livres-tu cette portion » de la divinité, qui t'anime, à tant de pro>> fanes objets? Pourquoi ouvres-tu ton âme >> à ce que tu appelles le plaisir et la douleur? » L'ébranlement du monde peut t'écraser; » mais il n'a pas le droit de t'émouvoir. Fais, » comme il convient, les choses qui sont en » ta puissance; soumets-toi, sans réservé, » sans regret, à celle que tu ne peux empê>> cher. Sache vouloir toutes choses, comme >> elles arrivent; et tu seras parfaitement, >> heureux. Ne te plains donc plus ; car ton » bonheur ne dépend que de ta volonté. » Ainsi le portrait de son sage était une sorte de défi, proposé à la nature humaine.

En outrant tout dans ses principes, elle semblait ne devoir réussir à rien. Mais elle avait pour la conduite de l'homme des maximes aussi pures que sublimes. Écoutons encore ce qu'elle lui prescrivait :

« Ce n'est pas pour toi seul que tu dois

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» devenir fort et sage; c'est pour le genre >> humain tout entier. Tu portes l'image de >> l'ordre dans ta pensée; c'est pour le » faire régner dans toute la grande société. Adopte tous les malheureux; les dieux ont >> bien montré qu'ils t'aimaient, lorsqu'ils » ont imposé à ton courage le soin de les » protéger ou de les venger. Ministre des » dieux dans cet auguste emploi, étouffe » dans ton cœur toute pensée injuste, » comme un sacrilége. Ne cherche que >> dans ta conscience le profit de tes bonnes >> actions. Et, pour remplir tout le devoir » de l'homme de bien; sois toujours prêt, >> suivant l'occasion, à vivre ou à mourir. »

Long-temps elle n'enseigna que des subtilités métaphysiques et morales. Mais dans les extravagances mêmes de cette doctrine, on respirait déjà je ne sais quoi d'étrange et d'élevé, qui tirait l'homme des routes communes; elle lui proposait une perfection idéale; mais elle présumait beaucoup de

son courage.

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Il lui fallait une époque, qui mit dans une lutte vigoureuse les bons et les méchans.

Cette époque arriva. Le stoïcisme passa de

la Grèce à Rome, où des citoyens puissans se disputaient la tyrannie et achevaient d'opprimer le monde, au milieu des guerres civiles; tandis que d'autres citoyens avaient osé embrasser l'espoir de maintenir la liberté et de ramener les mœurs anciennes. De pareils hommes ne pouvaient goûter dans le stoïcisme que ces maximes fières et généreuses, dont il armait leur vertu ; le reste, ils l'abandonnaient à ceux qui faisaient des dispositions philosophiques une profession oisive et mercenaire.

Le stoïcisme eût fait un grand progrès, dès qu'il put s'autoriser de grands exemples; le monde n'avait pu croire à ce prodige; dès qu'il crut, il adora; et les gens de bien se jetèrent tous dans une doctrine, qui portait leurs âmes à une hauteur, où la servitude. universelle ne pouvait les atteindre. Lorsque l'empire du monde fut tombé à ces tyrans féroces et ombrageux, devant qui on ne pouvait se racheter de l'estime publique, que par la plus servile adulation, le stoïcisme forma des hommes, qui ne craignirent pas de les braver par leur renommée; et qui osèrent, en leur présence, couvrir leur front

de l'indignation de la vertu. Dans ces temps où il n'était plus permis de bien vivre, il enseignait du moins à bien mourir. Le stoïcisme n'était plus une secte, c'était la religion des gens de bien. Les Néron, les Domitien lui firent une guerre acharnée; la vénération des peuples en augmenta; et on le vit enfin monter sur le trône, avec ces empereurs, qui furent non-seulement les modèles des princes, mais encore les plus parfaits des hommes.

LA CHEVALERIE.

AINSI une institution philosophique a fait la gloire du genre humain, dans l'époque de la plus grande dégradation des peuples et des gouvernemens. Une autre institution, amenée par divers hasards, dans les temps modernes, a produit aussi, dans les mœurs de l'Europe, une régénération, dont les principes et les effets présentent avec ceux du stoïcisme, un parallèle inté

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ressant.

Retraçons-nous cette époque, où les barbares se débordant de toutes les limites du

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