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sion, un apostolat, par les dieux; il y fait croire, parce qu'il y croit lui-même ; et il a un génie; comme Lycurgue était l'organe d'Apollon; comme Numa communiquait avec la nymphe Égérie; sans fraude, sans superstition, par la puissance du cours des choses qui l'avaient précédé, et de celui dont encore il était environné. Tels étaient la marche et le moyen de toute révolution, dans ces temps-là. Il a un génie. Mais où le conduit-il? A la ciguë. Il le sait ; et ne se détourne pas. Il obéit; voilà le principe de son courage et de ses succès.

Vous vous attendez peut-être à des mœurs farouches; à un esprit sec et impérieux ; à cette austérité, qui semble interdire les grâces à la sagesse. Mais n'est-il pas un Grec, un Athénien, un contemporain des poëtes, des orateurs, des artistes, des hommes les plus polis dans un des beaux siècles de l'esprit humain? C'est par une empreinte de tous ces talens, qu'il sera fort daus sa mission; qu'il l'accomplira mieux; qu'il brillera, sans le vouloir, comme brille l'homme de bien de ses dons extérieurs. Les entretiens de Socrate n'étaient pas moins illustres, dans la Grèce,

que ne le furent l'éloquence de Démosthène, le style de Platon, les tragédies de Sophocle, les statues de Phidias. Ce fut un art, un goût, un charme que tout son siècle se félicita d'avoir appris; et se fit un honneur de s'approprier et de transmettre, par l'imitation. Il vit dans ses disciples, et par ses disciples.

Cette vie, devenue un exemplaire éternel de la sagesse et de la vertu, s'est couronnée dans une mort, où elle s'est surpassée ellemême. Chez les anciens, chez les modernes, elle a été un digne tableau digne tableau pour les beauxarts, pour la poésie, pour l'éloquence. Il ne m'appartient pas de le reproduire; et je n'y toucherai point.

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RAPPROCHEMENT

D'ARISTIDE AVEC CATON D'UTIQUE.

Ce morceau a été écrit en 1782, retouché en 1816.

Le siècle et le pays de l'homme, dont je viens de tracer la vie, étaient distingués par la simplicité énergique des mœurs, et par la franchise généreuse des sentimens. Mais cette énergie des mœurs tenait de cette rudesse primitive d'un peuple, qui ne donne encore aux devoirs de la société qu'une soumission inquiète et ombrageuse; et cette élévation des sentimens naissait plutôt des affections saines et fortes de la nature, que des principes, encore peu developpés, de la morale. Le caractère d'Aristide était singulièrement propre à tempérer et à diriger heureusement ce courage indocile et cette civilisation grossière. De tant de douceur, unie à tant de perfection, il sortait une onction presque divine, qui épurait et ennoblis

sait les vertus de cet âge, de même que les religieuses et pacifiques institutions de Numa, tempèrent, un peu, le génie féroce des premiers Romains.

Mais les vertus des grands hommes n'obtiennent cet empire, que dans ces commencemens de la destinée des nations. Lorsqu'elles sont parvenues au dernier terme de la civilisation et de la puissance, les vices et les désordres, profondément enracinés dans la constitution politique, en deviennent eux-mêmes les principes et les ressorts. La vertu, alors, adopte une marche plus impétueuse, des formes plus fières; et souvent elle ne parvient qu'à donner au monde un grand et mémorable exemple.

CATON D'UTIQUE.

Dans les derniers temps de la république, il parut à Rome un mortel, que le ciel semblait avoir accordé à la terre, pour ajouter à la dignité de la nature humaine; et pour montrer, une fois, jusqu'où pouvait aller la vertu (*).

(*) Ce personnage-là fut vraiment un patron que

la

Citoyen du monde, encore plus que Romain, et quoique Romain; nourri dans les préceptes stoïques, qui ne se trouvèrent jamais au-dessus de ses mœurs; il vit que la destinée des nations était attachée à celle de sa patrie; et que sa patrie allait perdre sa liberté et ses vertus; et pendant toute sa carrière, aussi actif pour le bien public, que César pour sa fortune; calme et inflexible au milieu des tumultes populaires; briguant les dignités, pour , pour les enlever aux méchans, il osa lutter, seul, contre la pente des mœurs et le cours des événemens, qui entraînaient l'univers.

Il semblait encore destiné à venger la haute vertu de cet outrage, qu'on lui a toujours fait, de la juger inhabile à gouverner les états et les hommes. Quel autre Romain de son temps rapportait mieux à sa cause, la situation politique de son pays? Il ne prétend pas allier, dans Rome, l'ancienne égalité des citoyens et la domination universelle. Pour conserver libre sa patrie, il voudrait affranchir les nations. Quel autre encore attaquait mieux les

nature choisit, pour montrer jusqu'où l'humaine vertu pouvait atteindre. MONTAIGNE : liv. 1. chap. 36.

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