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SOCRATE.

CE portrait est tiré d'un ouvrage inédit de l'auteur: Études sur le style, soumises à l'examen de l'Académie française, où l'auteur discute les trois plus excellens hommes de Montaigne : Homère, Socrate, Alexandre, en suivant les sujets dans les écrivains des siècles suivans. Ce morceau, venant à la suite d'une discussion sur le style de Montaigne, on a essayé d'en reproduire quelques vieilles expressions.

Si la poésie, chez les anciens, a été si haute, si pleine, si féconde, dès son début, par Homère, la morale aussi n'a-t-elle pas reçu, par Socrate, de bien augustes rudimens?

Je me frappe de quelques vues sur ce père de la sagesse, qui, en le signalant par tout ce qui lui fut propre, montrent en lui l'homme de son siècle et de sa nation.

Déjà toutes les sciences, tous les arts, toutes les études se développent, attirent,

passionnent les esprits supérieurs; et se versent même dans les esprits vulgaires. Il n'a ni l'injustice, ni le fol orgueil de les dédaigner; il y pénètre, jusques au point où il le faut, pour reconnaître combien elles restent encore, pour la plupart, vaines et stériles; pour y apprendre le doute; et s'en armer, comme de la première science; pour distinguer et émbrasser, de préférence, celle qui est toujours si près et si loin de nous; qui, par la pureté du cœur, conduirait à la rectitude de l'esprit : c'est dans la morale qu'il se renferme; c'est elle qu'il veut faire prévaloir.

Placé dans une époque où la simplicité des mœurs anciennes, et l'énergie des vertus républicaines cédaient à l'ivresse de la gloire politique; à cet avancement de toutes les choses sociales, qui les fait déjà toucher à leur détérioration, quand un continuel perfectionnement des institutions publiques ne rattache sans cesse au bien, des progrès, qui se détournent vers le mal, il avait pour contradicteurs, dans son entreprise, les sophistes de son temps; cette espèce d'hommes, qui naît toujours des lumières même,

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pour les corrompre. Ils ne songeaient qu'à éblouir par des doctrines mensongères, et à séduire par des maximes, au profit des vices et des désordres. Il voulut et il sut les décrier. Doué d'un esprit éminemment juste, il y joignait tout le piquant d'un esprit fin; alliant heureusement à la candeur de la vertu la sagacité de la malice, il allait écouter les sophistes; feignait d'avoir besoin de tout apprendre, pour les amener à tout dire; feignait quelquefois de les admirer, pour leur donner toute l'audace de l'ignorance présomptueuse; par des questions nettes, les forçait à des réponses positives. Alors, d'un coup bien préparé, il renversait tout l'échafaudage de leur faux savoir; et les montrait ce qu'ils étaient, des charlatans de sagesse; il les rendait ainsi des instrumens de leur propre humiliation.

Il fait tout, d'après une mûre délibération et par le choix du meilleur. De là (j'oserai ici reprendre l'expression de Montaigne); de là toute l'incorruptible tenure de sa vie. Sous un gouvernement libre, et dans un état démocratique surtout, les premiers devoirs, les premiers services de l'homme

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de bien sont envers la patrie. Mais il aperçoit les siens, où lui seul pouvait et devait les placer.

Assez d'autres viendront briller à la tribune publique par la censure de ce qui se fait, par les promesses de ce qu'ils sauraient faire. Pour lui, il ne s'occupera que de fournir à son pays des esprits fermes et modérés, des âmes honnêtes et généreuses. C'est pour cela que, tenant partout son école, on le verra, sans cesse, devant les dieux domestiques, comme sur les places publiques, enseignant ce qui est beau par ce qui est bon; et admonestant chacun de ses vices et de ses erreurs ; surtout la jeunesse, plus docile à la voix de la raison, à l'impulsion de la conscience; et aussi propre à affermir les bons principes qu'à les goûter; parce qu'en les épousant avec la chaleur de ses passions, elle peut encore les soutenir de toute la force des premières habitudes: la jeunesse, par qui toute une chose publique peut se régénérer de la bonne nourriture qu'elle a reçue.

Cependant si la patrie a besoin d'un soldat de plus, il marche; si elle lui demande une fonction civile, il la remplit; et ne cherchant

que ne le furent l'éloquence de Démosthène, le style de Platon, les tragédies de Sophocle, les statues de Phidias. Ce fut un art, un goût, un charme que tout son siècle se félicita d'avoir appris; et se fit un honneur de s'approprier et de transmettre, par l'imitation. Il vit dans ses disciples, et par ses disciples.

Cette vie, devenue un exemplaire éternel de la sagesse et de la vertu, s'est couronnée dans une mort, où elle s'est surpassée ellemême. Chez les anciens, chez les modernes, elle a été un digne tableau pour les beauxarts, pour la poésie, pour l'éloquence. Il ne m'appartient pas de le reproduire; et je n'y toucherai point.

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