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lui un censeur vigilant; à l'armée, il est son plus fidèle soldat: c'est ainsi que, la veille de la bataille de Salamines, il vient, la nuit, apporter à son rival, un avis, qui assure à celui-ci tout l'honneur de la victoire.

Faut-il toujours rencontrer l'ingratitude des peuples, dans les beaux faits des grands hommes! Aristide aussi va subir l'ostracisme. C'est ici que j'aperçois, tout ensemble, dans une courte scène, restée fameuse, ce que le cœur humain peut renfermer et de plus vil et de plus grand. Voyez ce paysan de l'Attique, qui l'aborde, en le priant d'écrire pour lui le nom, qu'il vient de vouer à la proscription. « Mon ami, et quel mal as-tu donc reçu d'Aristide?»-« Aucuns je ne le connais pas mais il me fâche de l'entendre sans cesse appeler le Juste. Le juste remplit paisiblement la demande de cet obscur ennemi de la vertu; et levant les yeux au ciel: « Fassent les dieux que les mauvaises affaires des Athéniens ne les forcent pas de rappeler Aristide!

O combien la vertu est auguste dans ces mouvemens de l'âme, dans ces démarches naïves et passionnées, qui font la beauté

particulière des mœurs antiques! Représentons-nous Aristide, à ce moment, où, capitaine général des Athéniens, il lui est échu de combattre celles des villes grecques, qui tiennent du côté des Perses. Son cœur s'épouvante du combat fratricide qui va se livrer; il s'élance entre les armées; et le visage baigné de larmes : « O Grecs, souvenez-vous de votre patrie; voyez, des deux cótés, qui vous allez combattre : voulezvous arroser de votre sang les champs de la Grèce, en présence de ses dieux! » Les deux armées mettent bas les armes et traitent de la paix.

Beaux jours de Marathon, de Salamines et de Platée, c'est dans vos fastes que je lis la vertueuse déférence des Athéniens aux saints conseils d'Aristide. Le grand roi ne veut plus détruire Athènes; il veut se réconcilier avec elle; il veut lui donner l'empire de la Grèce. Les Spartiates, alarmés, députent à Athènes; voici la réponse que leur fait Aristide : « Les Athéniens pardonnent à un roi barbare d'avoir cru toute chose vénale; mais ils se plaignent des Lacédémoniens, qui, ne considérant que la détresse présente

de leurs alliés, oublient leur fidélité et leur

courage. »

A l'instant, il fait introduire devant le peuple les ambassadeurs Perses; et étendant la main vers le soleil : « Sache votre maître, que tant que cet astre continuera sa course, les Athéniens seront ses mortels ennemis, pour le ravage de leurs terres, l'incendie de leurs maisons, et la destruction des temples de leurs dieux. »

Ce peuple était alors également magnanime et dans les succès et dans les revers. Après l'illustre victoire de Salamines, Thémistocle lui annonce qu'il a un projet d'une haute importance; mais qui ne peut être expliqué publiquement. Quel autre qu'Aristide méritait d'être l'arbitre des desseins du sauveur de la Grèce? Il écoute cette confidence, et revenant au peuple : « Rien de plus utile, mais rien de plus injuste que le projet de Themistocle. » Un cri unanime ordonne à celui-ci de se désister. Ainsi un peuple entier, sur la foi d'un seul homme, comme un sage et vertueux magistrat, méconnaît tout intérêt personnel, et n'adopte pour règle que l'équité.

Les nations assemblées ont, seules, des récompenses dignes d'un tel mérite. Dans ces jeux naissans du théâtre, où assistait toute la Grèce, on trace le portrait du véritable homme de bien, de celui qui ne songe pas à paraître vertueux, mais à l'étre. Le spectacle s'interrompt: et dans le recueillement de l'amour et du respect, tous les regards s'arrêtent sur Aristide.

Il est vrai qu'il fut exilé. Mais l'exil, dans sa patrie, n'était qu'un aveu jaloux des hautes qualités; une sorte de défense démocratique contre l'aristocratie naturelle des services et des réputations.

Il est vrai encore qu'il vécut et mourut pauvre. Mais il avait fait de sa pauvreté la sauvegarde et la décoration de son caractère; et nous devons en penser, comme ses concitoyens. Il avait un parent très-riche, qui fut traduit devant le peuple, pour avoir laissé dans l'indigence l'honneur de leur famille. Il vint rendre témoignage de ses refus d'être enrichi par Callias; et les Athéniens se retirèrent, en disant : « Il vaut mieux être pauvre comme Aristide, que riche comme Callias. »

Mais, s'il ne fallait pas être riche comme ce Callias, il était beau de l'être comme le grand et le généreux Cimon! Quel touchant contraste dans la vie de deux grands hommes de la même nation et de la même époque! Cimon ne sortait de ses foyers, qu'environné d'amis, chargés de prévenir les demandes timides par des libéralités honorables; et dans les temps calamiteux, sa maison, ses domaines étaient ouverts, comme une propriété publique : dans ses bienfaits, c'était la grandeur d'un roi; dans ses mœurs, c'était la frugalité d'un Spartiate. La plus humble demeure, le plus chétifvêtement suffisaient à Aristide; et il fit à sa patrie cet honneur de lui laisser ses funérailles à payer, et sa fille à doter.

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