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» qui n'aient rien à perdre, rien à conser» ver, que leur force et leur vertu.

>> Je vous destine à des choses sublimes; >> et vous ne feriez rien de grand, sans les passions. Cependant, si je vous en accordais plusieurs, elles se combattraient et vous » déchireraient. Vous n'en aurez qu'une ; » mais la plus généreuse de toutes, l'amour » de la patrie et des lois.

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Citoyens, mes institutions ne peuvent >> avoir rien de commun avec celles que l'on » a tracées sur des tables, chez les autres

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peuples; elles ne peuvent être gravées que » dans des cœurs fidèles. Elles ne seront » rien, si elles ne deviennent des moeurs. » Des héros ont sauvé leur pays par des >> victoires pour moi, je voudrais sauver » le mien par les lois. Quelque chose d'im» périeux dans mon âme, me dit que celles» ci sont bonnes, et qu'elles vous convien» nent; il me semble que ce sont les dieux »> eux-mêmes qui me les ont inspirées; je » les en remercie devant vous; et je les » conjure de vous accorder de les aimer: » puissiez-vous les aimer, tant que l'Eurotas, » qui coule ici sous notre vue, descencira

>> des montagnes et baignera nos rivages! » Il expliqua ensuite ces institutions, auxquelles on n'a rien à comparer; et on eut le courage de les accepter. Il en dirigea l'établissement, de sa main douce et ferme; car cette inflexible austérité n'était que dans ses principes et ses vues; tout était modération et bonté dans son âme. Voyant que ses lois commençaient à s'affermir, il demanda d'aller consulter sur elles Apollon, au temple de Delphes; et il obtint un serment général qu'elles seraient inviolablement observées, jusques à son retour. Il envoya un oracle favorable; mais il ne reparut plus; et il abrégea sa vie; heureux de sceller par sa mort la durée de sa législa tion! Jamais on n'avait plus ressemblé à ces demi-dieux, de qui les hommes croyaient tenir ces premières découvertes, qui furent les fondemens de la société.

Pourquoi faut-il que la plus puissante des législations, n'en fût pas la meilleure? Tout s'y rapportait à la guerre ; à la guerre, sans les conquêtes. Aussi la dureté, l'oisiveté, l'orgueil farouche du soldat, se mêlaient, à Sparte, à la frugalité, à la modération, à

l'héroïsme du citoyen; l'humanité fut bannie de ses vertus; les affections de la nature, de ses mœurs; et la douce pudeur, de ses fêtes et de ses plaisirs. Son empire, dans la Grèce, fut souvent protecteur, mais toujours odieux; et quelquefois aussi insupportable que la tyrannie.

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ARISTIDE.

Ce Portrait a été composé en 1782, retouché en 1816.

CONTEMPLONS la Grèce dans cette époque des grands événemens et des grands hommes, où, réunie par la défense de la liberté, elle repoussait la domination des Perses, par tant de prodiges de courage et de vertu. J'y remarque un héros et un sage, qui, sans paraître le premier de ses contemporains, en fut le meilleur et le plus utile; c'est le juste Aristide.

Dès que l'histoire nous le montre, c'est au milieu des affaires de son pays. Mais tous les moyens de le servir ne lui conviennent pas; il n'appartient à aucune faction, de peur d'avoir des amis ou des ennemis, aux dépens du bien public.

Jamais, ni intérêt, ni ressentiment ne souillent son cœur pur et généreux. On l'accuse devant ses concitoyens : sa justification

couvre d'opprobre son accusateur et soulève contre lui la haine publique. L'homme de bien va être vengé; mais l'homme de bien ne souffrira pas que les mouvemens de la passion viennent altérer en sa faveur la sévère impartialité de la justice; il devient le protecteur de son ennemi; il le ramène à leurs juges, et les supplie de l'entendre et de lui pardonner.

Un jour, qu'il est assis lui-même sur le tribunal, un citoyen lui dit : « Aristide, l'homme que je poursuis t'a fait aussi beaucoup de mal. » — «Dis celui qu'il t'a fait ; car je suis ici pour te rendre justice, et non pas à moi. »

Sa douce et sincère éloquence a proposé un décret, que le peuple va consacrer par ses suffrages; mais, tout à coup, éclairé par les contradictions de ses adversaires: «Arrêtez, citoyens, s'écrie-t-il, je me rétracte; écoutez ceux qui vous conseillent bien, et non pas ceux qui se trompent. »

Thémistocle, son antagoniste, joint des vertus à de plus grands talens. Mais, souvent utile, il est quelquefois dangereux. Dans les assemblées publiques, Aristide est pour

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