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là le sentiment de l'humanité; tel que nous l'éprouvons. Or, cette générosité, plus universelle, est la générosité par excellence; et doit seule conserver ce nom.

Le sentiment de l'honneur est le besoin de l'estime des hommes, avec qui l'on vit. L'institution de l'honneur est née de l'insuffisance des lois, pour remplir le but de la société. Les lois avaient prescrit ce qui était nécessaire au repos de la société, et non pas tout ce qui serait utile à son bonheur; et elles ne pouvaient punir, que ce qu'elles avaient défendu. L'opinion s'est élevée, a proclamé des règles à suivre ; et a promis, pour se faire obéir, l'estime ou le blâme universel. Mais la voix de l'opinion n'est pas celle de la sagesse; elle parle, d'après les idées et les mœurs des nations et des temps. Ses décrets sont plus ou moins sensés, plus ou moins sévères ; et ne sont ni universels, ni invariables. Je ne vois que l'infidélité à sa parole, qu'ils aient flétri dans tous les siècles et dans les pays; c'est que c'était là partout le plus essentiel supplément à donner aux lois. Dans des époques de gloire et de fierté, (et ce sont heureusement celles où

l'honneur se plaît à faire des lois) dans ces époques, les hommes ne consentent pas à s'estimer pour peu de chose; et alors l'honneur peut commander des actions généreuses; cependant il n'en exigera jamais de bien grandes, ni un grand nombre. Il s'explique par des règles; et il est de la nature des règles, de porter plutôt sur des choses d'un usage fréquent, que sur des cas extraordinaires. D'ailleurs, imposant ses lois à tous les citoyens, il faut qu'il les proportionne au degré de la noblesse d'âme, qu'il peut espérer de chacun d'eux. L'honneur ne s'élève que rarement, à la générosité.

La générosité a donc en elle les principes de toutes les vertus, que nous venons d'en rapprocher; et elle s'élève au dessus de ces vertus, par je ne sais quoi de plus fier, de plus utile, de plus grand. C'est la dignité, c'est la beauté suprême de l'homme; on désirerait un culte pour elle; et lorsque l'idolâtrie faisait descendre du ciel les hommes généreux, elle mettait plutôt du délire, que de la profanation, dans sa reconnaissance.

Cependant l'homme généreux est plus grand que parfait; il peut avoir des faiblesses

et même des vices; et alors ses faiblesses et ses vices pourront, non seulement ternir, mais même altérer sa générosité; car il n'est pas donné à l'homme d'être toujours fidèle à ses principes, ni même à son caractère.

Comment l'homme s'élève-t-il jusqu'à la générosité? Est-ce la nature qui le créé pour cette sublime destination? Sont-ce les institutions sociales qui l'y préparent, qui l'y amènent, par degrés? Ou quelle part ontelles dans ce bel ouvrage?

Une grande âme, ainsi qu'un beau génie, est essentiellement un don de la nature. Il est possible à tous les hommes de remplir leurs devoirs; mais non de faire de grandes actions. Il faut, pour celle-ci, des facultés de l'âme, qui ne sont pas données à tous.

Il en est une surtout, sans laquelle la générosité ne peut exister; c'est cette sensibilité vive et profonde, qui reçoit et conserve l'impression des malheurs étrangers; qui fait, qu'il nous est insupportable d'en être les témoins, et délicieux d'en être les répa

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stance de l'âme, par laquelle nous savons résister à des craintes, à des menaces, à des séductions; triompher des dangers et des douleurs; nous roidir contre les difficultés; et ne désespérer ni des choses, ni des hommes.

Il faut enfin que la nature nous ait donné un esprit capable d'apercevoir, de saisir et de manier les moyens du bien. Toute grande action demande du discernement. Aussi la nature a-t-elle voulu qu'une grande âme ne fût jamais dégradée par l'alliance d'un esprit borné et mal fait. C'est que la perfection de l'âme est elle-même la plus grande source de la perfection de l'esprit.

Mais en vain la nature aurait-elle doué un homme des facultés qui l'appellent à une destinée généreuse, si l'éducation qu'il rece

vra,

et les institutions sociales, dont il vivra environné, ne concourent, pour développer et mûrir en lui les dons de la nature.

C'est dans l'examen des qualités, dont se compose la générosité, qu'il faut chercher les moyens de former et de multiplier les hommes généreux.

Celle de ces qualités, qui a été la moins

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remarquée, et qui me frappe d'abord; c'est une certaine force physique, d'où résulte la force morale; et qui fait qu'un homme marche, avec assurance, dans la vie; qu'il n'est point absorbé par le sentiment de ses besoins; qu'il lui reste des facultés et des pensées, pour les besoins des autres. Que l'éducation affermisse donc le tempérament; qu'elle donne de la vigueur et de l'adresse au corps; qu'elle l'arme contre les privations et les douleurs.

Les anciens l'avaient bien compris, ce grand principe d'une politique, qui veut mener les hommes à de grandes choses; et l'on sait quels prodigieux effets ils tiraient d'une éducation mâle et robuste. Chez eux, la force et l'agilité avaient leurs jours de gloire, et leur prix en tout temps. Le génie et la vertu n'étaient pas même dispensés de ce mérite, qui, en effet, les sert et les embellit. Leurs spectacles étaient des institutions de victoire; leurs jeux faisaient des hommes; chez eux, le luxe n'avait pas tout avili; le pauvre, encore honoré, pour sa måle nudité, ne baissait pas un regard jaloux et ébloui devant le riche efféminé, que

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