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La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien,
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien?
Il en est des milliers; mais ma bouche enfin lasse
Des trois quarts pour le moins veut bien te faire

grace.

J'entends: c'est pousser loin la modération.
Ah! finissez, dis-tu, la déclamation.
Pensez-vous qu'ébloui de vos vaines paroles
J'ignore qu'en effet tous ces discours frivoles
Ne sont qu'un badinage, un simple jeu d'esprit1
D'un censeur dans le fond qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête
Quand vous plaçâtes l'homme au-dessous de la bête?
Mais enfin vous et moi c'est assez badiner,

Il est temps de conclure; et, pour tout terminer,
Je ne dirai qu'un mot. La fille qui m'enchante,
Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N'a pas un des défauts que vous m'avez fait voir.
Si, par un sort pourtant qu'on ne peut concevoir,
La belle tout-à-coup rendue insociable,
D'ange, ce sont vos mots, se transformoit en diable,
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,

Lui dire : Eh bien! madame, il faut nous séparer 2;

I

Correctif léger de tout le mal qu'il a dit des femmes, dans cette satire, que l'on trouvera cependant bien modérée, si on la compare avec celle de Juvénal sur le même sujet. Mais quelle différence aussi de temps et de moeurs! le satirique françois a chargé se tableau: le poëte latin ne l'a pas même offert dans toute sa vérité.

2

Montaigne agite (liv. II, ch. xv) la grande question du divorce. « Nous avons pensé, dit-il, attacher plus ferme le nœud de

Nous ne sommes pas faits, je le vois, l'un pour l'autre.
Mon bien se monte à tant: tenez, voilà le vôtre1.
Partez: délivrons-nous d'un mutuel souci.

Alcippe, tu crois donc qu'on se sépare ainsi?
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante,
As-tu donc oublié qu'il faut qu'elle y consente?
Et crois-tu qu'aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t'y persécuter?
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,
De ses prétentions va t'offrir un volume :
Car, grace au droit reçu chez les Parisiens,
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,
Dans ses prétentions une femme est sans borne.
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne.
Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder.
Des arbitres!... Tu crois l'empêcher de plaider!
Sur ton chagrin déja contente d'elle-même,

Ce n'est point tous ses droits, c'est le procès qu'elle aime2.
Pour elle un bout d'arpent qu'il faudra disputer
Vaut mieux qu'un fief entier acquis sans contester.

« nos mariages, pour avoir osté tout moyen de les dissouldre; <«< mais d'autant s'est desprins et relasché le nœud de la volonté et « de l'affection, que celui de la contrainte s'est estrécy: et, au re<«<bours, ce qui teint les mariages, à Rome, si long-temps en hon« neur et en seureté, feut la liberté de les rompre qui vouldroit : il «< se passa cinq cents ans et plus, avant que nul s'en servist. » (VAL. MAX., I. II, ch. 1, sect. 4.)

I

C'est la formule même du divorce chez les Romains: Res tuas tibi habeto. ( Digest., tit. de Divortiis et Repudiis.)

2

Ce portrait de la Plaideuse manquoit encore à tant de por

traits; et il étoit impossible de l'amener plus ingénieusement.

Avec elle il n'est point de droit qui s'éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse;
Et sur l'art de former un nouvel embarras
Devant elle Rolet mettroit pavillon bas.

Crois-moi, pour la fléchir trouve enfin quelque voie :
Ou je ne réponds pas dans peu qu'on ne te voie
Sous le faix des procès abattu, consterné,
Triste, à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre,
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre 1.

I

Trait excellent, et qui termine on ne peut mieux cette satire, qui, « quoique plus travaillée, dit La Harpe, que les deux der« nières; quoiqu'elle offre des portraits bien frappés, entre autres << celui du directeur; quoique les transitions y soient ménagées << avec un art dont le poëte avoit raison de s'applaudir, n'est pour<< tant qu'un lieu commun qui rebute par la longueur et révolte par l'injustice.» (Cours de Littérature, part. II, liv. I, ch. x.)

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SATIRE XI.

A M. DE VALINCOUR*.

m

Oui, l'honneur, Valincour, est chéri dans le monde 1 :
Chacun, pour l'exalter, en paroles abonde;
A s'en voir revêtu chacun met son bonheur;
Et tout crie ici-bas : L'honneur! Vive l'honneur!
Entendons discourir, sur les bancs des galères 2,

Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, né en 1653. Il étoit fort lié avec Racine et Boileau, qui fit sa réputation en lui adressant cette satire. C'étoit d'ailleurs un homme d'esprit et un bon littérateur. Déja membre de l'académie de la Crusca, il fut reçu en 1699, le 27 juin, à l'académie françoise, à la place de Racine, auquel il succéda également comme historiographe du roi. Il avoit recueilli tout ce que Boileau et Racine avoient composé de l'histoire de Louis XIV; rédigé d'importants Mémoires sur la marine, et commencé plusieurs autres ouvrages. Rien de tout cela n'a échappé à l'incendie qui consuma, en 1725, sa maison de campagne de Saint-Cloud: mais on a conservé deux volumes in-folio manuscrits d'œuvres posthumes, dont quelques fragments en vers et en prose ont été successivement insérés dans le Magasin encyclopédique (1805), et dans une édition de la Princesse de Clèves, Paris, 1807, à la suite des Lettres, déja connues, de Valinsur ce roman célébre.

cour,

Le début du Discours de Voltaire sur la vraie vertu sembleroit, jusqu'à un certain point, emprunté du commencement de cette satire :

2

Le nom de la vertu retentit sur la terre;

On l'entend au théâtre, au barreau, dans la chaire;
Jusqu'au milieu des cours il parvient quelquefois, etc.

« Nous ignorons, dit Voltaire (Quest. encycl., art. Honneur),

Ce forçat abhorré même de ses confrères;
Il plaint, par un arrêt injustement donné,
L'honneur en sa personne à ramer condamné.
En un mot, parcourons et la mer et la terre;
Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre,
Courtisans, magistrats: chez eux, si je les croi,
L'intérêt ne peut rien, l'honneur seul fait la loi.
Cependant, lorsqu'aux yeux leur portant la lanterne 1,
J'examine au grand jour l'esprit qui les gouverne,
Je n'aperçois par-tout que folle ambition,
Foiblesse, iniquité, fourbe, corruption,
Que ridicule orgueil de soi-même idolâtre.

Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre,
Où chacun en public, l'un par l'autre abusé,
Souvent à ce qu'il est joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage,
Impudemment le fou représenter le sage;

s'il y a beaucoup de galériens qui se plaignent du peu d'égards « qu'on a eu pour leur honneur. » Nous répondrons à Voltaire par l'anecdote suivante. Le duc d'Ossone, vice-roi de Naples et de Sicile, visitant un jour les galères du port, eut la curiosité d'interroger les forçats sur les causes de leur détention. Ils étoient à les entendre, les plus honnêtes gens du monde : un seul eut la franchise d'avouer qu'il eût été pendu, si on lui avoit rendu justice. « Qu'on m'ôte d'ici ce coquin-là, dit le duc en lui donnant la liberté ; il gâteroit tous ces honnêtes gens. »

tous,

"

'Diogène de Sinope, vulgairement appelé le Cynique, et Cratès son disciple, sont les deux philosophes de l'antiquité sur lesquels on s'est plu à rassembler le plus de contes et de traditions puériles: l'anecdote de la lanterne, allumée en plein jour pour chercher un homme, pourroit bien être du nombre, quoique rappor tée par Diogène Laërce, livre VI.

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