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belle et touchante simplicité. Constamment étranger aux disputes qui agitoient alors, et pensèrent plus d'une fois compromettre les croyances reli. gieuses, il resta l'ami de Port-Royal, et le défenseur du grand Arnauld, sans cesser d'estimer, pour cela, les jésuites les plus distingués par leurs lumières et la sagesse de leurs principes. Honnête homme, dans toute la force et l'étendue d'un mot si souvent prodigué, il mérita, de la part même de ses détracteurs, l'éloge incontestable « d'avoir asservi aux lois de la pu«deur la plus scrupuleuse un genre de poésie qui, jusques à lui, n'avoit emprunté presque << tous ses agréments que des charmes dange<< reux que la licence et le libertinage offrent aux «< cœurs corrompus. » Aussi ne fut-il point en secret démenti par sa conscience, lorsqu'il s'applaudissoit, en mourant, de n'avoir jamais offensé les mœurs dans ses écrits. L. Racine eût desiré qu'il pût ajouter, et de n'avoir jamais offensé personne. Mais n'auroit-on pas pu dire à Louis Racine: En vérité,

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Vos scrupules font voir trop de délicatesse!

Et ce n'est peut-être pas au fils du malin Racine qu'il appartenoit de relever les malices de Boileau. Il faut observer, du moins, à son éloge, qu'il ne confondit jamais l'homme et l'ouvrage

dans ses satires, et qu'il n'effleura pas même les mœurs de ceux dont un devoir sévère le forçoit d'immoler les écrits à la risée qu'eux-mêmes avoient provoquée. Du reste, sa probité littéraire égaloit en lui la probité morale: s'il fut quelquefois injuste, il ne le fut que par erreur, par prévention, ou tout au plus par humeur. Mais s'il revenoit volontiers sur le compte des personnes, il est presque sans exemple qu'il revint de même sur celui des ouvrages. Il se réconcilia de bonne foi avec Quinault, et même avec Perrault, mais sans rien rétracter des jugements qu'il avoit portés sur eux, et qui sont devenus ceux de la postérité. Ce n'est pas que dans la confiance intime de l'amitié il attachât un bien grand prix au talent qui lui avoit fait une si haute réputation. Jouant un jour aux quilles dans son jardin d'Auteuil, avec le fils de Racine, encore fort jeune, il lui arriva de les abattre toutes d'un seul coup: « Convenez, dit-il, en « s'adressant au jeune homme, que je possède << deux talents bien utiles à la société et à l'état! <«< celui de bien jouer aux quilles, et de bien faire « des vers ! » Il se reprochoit, sur la fin de sa vie, les soins qu'il donnoit à la dernière édition de ses ouvrages. « Quelle pitié, disoit-il, de s'occu<< per encore de rimer, et de toutes ces niaiseries « du Parnasse, quand je ne devrois songer qu'au

«compte que je suis près d'aller rendre à Dieu! » Voilà quel fut, au fond,

Cet homme horrible,

Ce censeur qu'ils ont peint si noir et si terrible 1!

Plusieurs de ceux qui chargeoient son portrait de ces couleurs odieuses, ont trouvé en lui un protecteur, un ami, un bienfaiteur même au besoin. Sa bourse fut ouverte à Cassandre, qui ne l'épargnoit pas, et à Linière, qui le remboursoit en couplets satiriques. Mais quelle délicatesse dans son procédé envers l'honnête Patru, dont il achète la bibliothèque, sous la condition expresse qu'il gardera ses livres jusqu'à sa mort! Apprend-il que la pension de Corneille se trouve supprimée? Il court à Versailles offrir le sacrifice de la sienne, ne pouvant sans honte, disoit-il, recevoir une pension du roi, tandis qu'un homme tel que Corneille en seroit privé. Et le roi envoya deux cents louis à Corneille, pauvre, âgé et infirme. On n'a point oublié l'éclatant hommage rendu par Boileau à la supériorité du génie de Molière. Louis XIV lui demandoit quel étoit l'homme de lettres qui honoroit le plus son régne: Sire, c'est Molière !

C'est ainsi qu'un grand coeur sait penser d'un grand homme".

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Il louoit avec la même franchise ce qui pouvoit se trouver de bon dans les écrivains même qu'il avoit le plus critiqués. Voici, par exemple, deux vers qui l'étonnoient dans Scuderi:

Il n'est rien de si doux pour des cœurs pleins de gloire, Que la paisible nuit qui suit une victoire.

Est-ce bien Perrault, disoit-il, qui a fait ces six vers, au sujet des traductions du grec en françois?

Ils devroient, ces auteurs, demeurer dans leur grec,
Et se contenter du respect

De la gent qui porte férule.

D'un savant traducteur on a beau faire choix:
C'est les traduire en ridicule,

Que de les traduire en françois.

Il est cependant une grande injustice littéraire que l'on ne pardonne point à la mémoire de Boileau : c'est son silence sur La Fontaine, nommé une seule fois, et sous des rapports peu favorables, dans tous ses ouvrages. Ce n'est certainement pas faute, dit La Harpe, d'avoir senti le talent de La Fontaine; et la dissertation sur Joconde en fait foi. Il est probable que la seule cause de cette étrange omission fut la crainte de déplaire à Louis XIV, fort scandalisé des contes de La Fontaine 3. Quoi qu'il en soit du

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On remarquera comme une singularité que les premiers

motif, ce n'est pas une excuse; et ce même Boi

leau,

Qui, dans ses vers pleins de sincérité, Jadis à tout son siècle a dit la vérité 1;

lui devoit apprendre aussi que La Fontaine étoit après, ou même avec Molière, l'un des plus grands génies de ce beau siècle. Mais heureusement pour l'inimitable conteur, qu'il n'avoit besoin, auprès de la postérité, d'autre recommandation, que de son nom et de ses ouvrages. De son vivant méme, son singulier mérite fut apprécié de ses contemporains, et honoré des suffrages de l'académie, où il ne siégea néanmoins qu'après la réception de Boileau. Il fallut presque un ordre, ou du moins l'intention bien connue du roi, pour que celui dont les leçons et les exemples avoient opéré sur le Parnasse françois une réforme aussi salutaire que complète, vînt prendre place dans une compagnie dont il avoit sacrifié sans ménagement les principaux membres à la défense et au triomphe du goût et des saines doctrines. Ils firent au moins preuve d'esprit dans cette circonstance; et le dépouillement du scrutin n'offrit pas une seule boule noire. Le malin récipiendaire ne dissimula, dans son discours, ni sa surprise de l'hon

contes de La Fontaine parurent à Amsterdam, en 1668, réunis avec les premières satires de Boileau. Épître

I.

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