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PRÉFACE

DU NOUVEL ÉDITEUR.

Les auteurs satiriques, les peintres de mœurs contemporaines, sont, de tous les écrivains, ceux qui peuvent le moins se passer de Commentaires. Ne seroit-on point arrêté à chaque pas aujourd'hui, dans la lecture de Pétrone, de notre Rabelais, de la SatireMénippée, etc.? Qui pourroit se flatter de tout entendre dans les satires d'Horace, de Perse, de Juvénal, de Régnier, et de Boileau même, si, guides officieux pour nous dans ces espèces de labyrinthes, les scoliastes anciens et modernes ne nous attendoient, pour ainsi dire, au passage, pour remettre en nos mains le fil qui peut diriger nos pas à travers tant d'obscurités? Ces guides, il est vrai, ne sont pas toujours aussi sûrs, aussi fidèles, qu'on pourroit le desirer; mais on n'en doit pas moins de reconnoissance aux écrivains laborieux, qui ont porté les premiers dans ces savantes ténèbres une lumière, à la faveur de laquelle tombent devant nous et le voile qui enveloppoit la pensée de l'écrivain, et le masque du personnage qu'il voulut, et n'osa pas désigner. Or,

ces nuages s'épaississent nécessairement à proportion de l'éloignement où nous nous trouvons des temps et des personnes. Quoiqu'un siècle, par exemple, se soit à peine écoulé depuis la mort de Boileau, combien de choses nous échapperoient dans ses ouvrages! que de fois il nous arriveroit de nous méprendre sur le véritable but du poëte, et de lui prêter des intentions qui ne furent pas les siennes, sans les utiles travaux de ceux qui ont défriché pour nous ce terrain difficile, et préparé la voie où nous marchons aujourd'hui avec plus d'aisance et de sécurité, à la suite des Brossette, des Saint-Marc, etc.!

Brossette, homme instruit, et animé d'un zėle sincère pour la gloire de nos grands écrivains, a donc rendu un service réel à Boileau, en puisant à leur véritable source les Éclaircissements historiques qui ont épargné aux Saumaises futurs les tortures que leur préparoient, de l'aveu même du poëte, plusieurs endroits de ses ouvrages, déja devenus obscurs pour lui, quand Brossette travailloit sous ses yeux à les éclaircir. Aussi lui disoit-il plaisamment qu'il sauroit bientôt son Boileau mieux que Boileau lui-même. Mais, soit que Brossette n'ait point osé se constituer, en présence de l'auteur 1, juge de son talent poétique; soit, ce qui est beaucoup plus vraisemblable, que cette

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Le Commentaire de Brossette ne parut qu'en 1716, cinq ans après la mort de Boileau; mais il s'en occupoit depuis 1698.

tâche excédât la mesure de ses forces, le fait est qu'il s'est exclusivement renfermé dans la partie technique de son travail; et le style ne rachète pas toujours, il faut l'avouer, la sécheresse historique des détails. Il y a plus: malgré leur fatigante prolixité, ces Éclaircissements ne sont ni complets, ni même toujours exacts', quoique donnés par l'auteur lui-même, que sa mémoire a pu tromper, et laborieusement accrus par les recherches multipliées de l'éditeur.

Il en est de même des Imitations: Brossetté est loin d'avoir rassemblé tous les passages des classiques anciens, si souvent, et presque toujours si habilement reproduits par l'écrivain qu'une longue et savante pratique, et sur-tout la conformité du génie, avoient pour ainsi dire idéntifié avec ses modèles. Animé de l'esprit d'Horace, de Perse, et de Juvénal, il ne cherche ni à les traduire ni à les imiter: il écrit sous leur dictée, et ce sont eux qui se placent sous sa plume. Mais ces sources ne sont pas les seules où il ait puisé; et la lecture réfléchie de ses ouvrages prouve que les orateurs, les philosophes, et les grands historiens de l'antiquité grecque et latine, lui étoient aussi familiers que les poëtes, dont il avoit fait une étude particulière.

«

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I

« Brossette n'ayant pas vécu familièrement avec Boileau, n'a pas été instruit de tout ; et son Commentaire, où il y a de bonnes

choses, est fort imparfait. » (L. RACINE, Mém.)

a.

Il ne suffisoit donc pas, comme l'ont fait, à l'exemple de Brossette, tous les commentateurs qui l'ont suivi, de renvoyer simplement au bas des pages les textes qui avoient, ou paroissoient avoir fourni au poëte une pensée, une image, une expression heureuse: il falloit d'abord rendre ces textes intelligibles pour ceux des lecteurs de Boileau qui peuvent n'être que médiocrement versés dans la connoissance des langues anciennes. Ce n'est point assez de leur annoncer, par exemple, qu'avant Boileau,

Juvénal avoit dit en latin

Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin.

Il faut leur apprendre comment Juvénal l'avoit dit; il faut leur faire connoître ces Pelletiers romains, aux dépens desquels se jouoit Horace; et, pour cela, il faut analyser, discuter les textes, en présence de l'imitation; mettre aux prises les poëtes et les idiomes, et proclamer le vainqueur à l'issue de la lutte. Heureux imitateur des anciens, et devenu classique à son tour, Boileau a mérité l'honneur de servir de modèle, non seulement aux François, qui ne l'ont peut-être point encore assez étudié; mais il a donné le ton et presque la loi aux littératures étrangères : c'est à lui que le plus pur, le plus harmonieux versificateur de l'Angleterre, le célébre Pope, fut redevable de cette sagesse de composition et de style qui l'a fait surnom

mer le Boileau d'Albion. C'est la pensée généreuse de lutter contre le poëte françois par excellence, qui inspira l'Essai sur la Critique, le joli badinage de la Boucle de cheveux, et l'Essai sur l'Homme; trois chefs-d'œuvre, en leur genre, que l'Angleterre oppose, avec un orgueil motivé jusqu'à un certain point, à l'Art poétique, au Lutrin, et aux belles Épîtres de Boileau. Il suffit de lire Pope avec quelque attention, pour se convaincre de la sincérité de son admiration pour Despréaux; il l'imite souvent, et lui prend quelquefois des vers tout faits. Ce genre d'hommage n'étoit point à dédaigner pour l'honneur de notre littérature, et sur-tout pour le grand poëte qui en fut l'objet1. Nous aurons occasion de parler ailleurs de la traduction en vers anglois de l'Art poétique, que le grand Dryden ne dédaigna ni de revoir ni d'admettre dans le recueil de ses œu

vres.

Nous avons également réuni toutes les variantes que présentent les différentes éditions d'un auteur si souvent réimprimé; et nous n'avons point négligé de faire les remarquer, en comparant entre elles et avec le texte définitivement adopté, l'attention sévère qui

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Voyez, dans les Dialogues des Morts, traduits de l'anglois de LYTTLETON (I vol. in-8°, Amsterdam, 1764), celui où Pope avoue à Boileau les nombreuses obligations dont il lui est redevable. Hommage d'autant plus flatteur, d'autant plus désintéressé, qu'il est rendu par un poëte distingué lui-même, et par un disciple et un admirateur de Pope.

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