Page images
PDF
EPUB

Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées
Régnoit un long cordon d'alouettes pressées 1,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentoient pour renfort leurs squelettes brûlés 2.
A côté de ce plat paroissoient deux salades,
L'une de pourpier jaune, et l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin saisissoit l'odorat,

Et nageoit dans des flots de vinaigre rosat.
Tous mes sots, à l'instant changeant de contenance,
Ont loué du festin la superbe ordonnance;
Tandis que mon faquin, qui se voyoit priser,
Avec un ris moqueur les prioit d'excuser.

Le brouet estoit maigre, et n'est Nostradamus,

Si

Qui, l'astrolabe en main, ne demeurast camus,
par galanterie, ou par sottise expresse, ▲
Il y pensoit trouver une estoile de gresse.

Les Romains s'envoyoient en présent des couronnes de grives et d'alouettes; c'est même une des petites attentions galantes que recommande Ovide à son jeune élève (Art d'aimer, liv. II, v. 269):

2

Quinetiam turdoque licet, missaque corona

Te memorem dominæ testificere tuæ.

Horace, liv. II, sat. vIII, vers go:

Tum pectore adusto

Vidimus et merulas poni, et sine clune palumbes.

:

Ce dernier trait est excellent on sait que la culotte est le morceau le plus délicat dans le pigeon rôti; et c'est précisément ce qui leur manque ici. C'est caractériser à-la-fois et le goût et le faste avare qui président à ce festin.

Sur-tout certain hableur, à la gueule affamée 1,
Qui vint à ce festin conduit par la fumée,
Et qui s'est dit profès dans l'ordre des coteaux 2,
A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir 3 avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc, et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers;

3

I Ce personnage sembleroit emprunté de la satire de Régnier, dont j'ai déjà parlé :

Mon docteur de Menestre en sa mine altérée,
Avoit deux fois autant de mains que Briarée ;
Et n'estoit, quel qu'il fust, morceau dedans le plat,
Qui des yeux et des mains n'eust un échec et mat, etc.

* On attribue à cet ordre gastronomique l'origine suivante. L'évêque du Mans, Lavardin, se plaignant de quelques gourmets qui ne trouvoient pas son vin assez bon, ce sont, disoit-il, des connoisseurs trop délicats, auxquels il ne faut que des vins de certains coteaux. Il n'en fallut pas davantage pour les appeler les coteaux, surnom qui leur resta, et dont ils faisoient une sorte de gloire. C'étoient les marquis de Bois-Dauphin et d'Olonne ; l'abbé de Villarceaux, et ce fameux comte du Broussain qui avoit érigé en autant de dogmes les lois de la table. C'est lui qui, sachant que Boileau travailloit à cette satire, lui dit très sérieusement, que ce n'étoit là un sujet sur lequel il dût plaisanter,

pas

[ocr errors]

Le comé

dien de Villiers fit représenter à l'hôtel de Bourgogne, et imprimer, l'année même où parut cette satire, une comédie en un acte et intitulée les Coteaux, ou les Marquis friands. — Voyez la Vie de Saint-Évremont, t. I de ses OEuvres, p. LXXXIV; et la note tome V, p. 293.

en vers,

:

3 L'un des convives, dans Horace, donne également la comédie à Fundanius, en avalant des pâtés tout entiers:

Ridiculus totas simul absorbere placentas.

Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,
Composer sur ses yeux son geste et son langage 1;
Quand notre hôte charmé, m'avisant sur ce point:
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'ame toute inquiéte,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.
Aimez-vous la muscade? on en a mis par-tout 2.
Ah! monsieur, ces poulets sont d'un merveilleux goût!
Ces pigeons sont dodus, mangez, sur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le faut confesser,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu'on y raffine;
Pour moi, j'aime sur-tout que le poivre y domine :
J'en suis fourni, Dieu sait! et j'ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier.
A tous ces beaux discours j'étois comme une pierre,
Ou comme la statue est au Festin de Pierre;
Et, sans dire un seul mot, j'avalois au hasard 3
Quelque aile de poulet dont j'arrachois le lard.

Cependant mon hableur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte,

I

Racine a enchéri sur cette belle expression, en disant plus hardiment encore (Britannicus, act. V, sc. v):

Sur les yeux de César composent leur visage.

Il est très plaisant d'interroger un convive sur son goût pour un assaisonnement que l'on a d'avance prodigué par-tout.

3

Régnier, satire x :

Esmiant, quant à moy, du pain entre mes doigts,
A tout ce qu'on disoit doucet je m'accordois.

Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri,
Avec un rouge-bord acceptent son défi.

Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté par-tout des verres à la ronde,

Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés',
Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincés:
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique',
Tous mes sots à-la-fois ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute étoit rare et charmante!
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante;
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l'archet.

Sur ce point un jambon d'assez maigre apparence
Arrive sous le nom de jambon de Maïence.
Un valet le portoit, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des quatre facultés 3.

* C'est peut-être descendre un peu bas, quant au détail en luimême; mais c'est se placer bien haut comme poëte que de le rendre avec un pareil bonheur.

2 Lamenter une chanson, et sur-tout une chanson bachique, est, dit Lebrun, une expression extrêmement plaisante. Il faut remarquer, de plus, l'intention imitative de ces mots lamentant tristement, qui annoncent, en effet, une musique rare et char

mante.

3 Horace tire sa comparaison d'objets plus relevés encore: c'est une jeune Athénienne qui porte les corbeilles de Cérès dans la procession solennelle qui avoit lieu le jour de la fête de la déesse :

Ut Attica virgo

Gum sacris Cereris, procedit fuscus Hydaspes,

Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,

Lui servoient de massiers, et portoient deux assiettes,
L'une de champignons avec des ris de veau,

Et l'autre de pois verts qui se noyoient dans l'eau.
Un spectacle si beau surprenant l'assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée;
Et la troupe à l'instant cessant de fredonner,
D'un ton gravement fou s'est mise à raisonner.
Le vin au plus muet fournissant des paroles',
Chacun a débité ses maximes frivoles,

Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police, et réformé l'état;

Puis, de là s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l'Angleterre 2.

De

Enfin, laissant en paix tous ces peuples divers,
propos en propos on a parlé de vers.

Là, tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse 3.

Cæcuba vina ferens; Alcon, etc.

Comparaison d'autant plus plaisamment juste, que ces vins se portoient sur la tête comme les corbeilles de Cérès.

[blocks in formation]

2

[ocr errors]

Fœcundi calices quem non fecere disertum?

L'Angleterre et la Hollande étoient alors en guerre; elle fut

terminée au mois de janvier 1667, par le traité de Bréda.

[blocks in formation]

Ecce inter pocula quærunt

Romulidæ saturi, quid dia poëmata narrent.

Hic aliquis, cui circum humeros hyacinthina læna est, etc.

« PreviousContinue »