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le duc de Guise, les huguenots la calquèrent grossièrement et en composèrent une fade parodie (le Convoi du due de Guise).

M. Génin, le regrettable philologue, a reconnu, dans notre folle chanson de Malbrouk, les traces vénérables de notre plus vieille poésie, et c'est à la fin du douzième siècle ou au commencement du treizième qu'a, selon lui,¦ retenti pour la première fois cette voix infatigable qui va se répétant à travers les siècles comme un écho lointain du moyen âge. En dépit des retouches et des mutilations maladroites, une critique infaillible a su dégager de la romance remaniée à contre-sens tout un fragment inaperçu jusqu'alors, curieux objet d'étude pour qui veut constater les vicissitudes de notre idiome. Ce respectable débris se compose de quelques vers à peine, mais ces vers semblaient avoir été reconnus par l'instinct populaire, car ce sont les seuls qu'aient retenus toutes les mémoires; les voici tels qu'ils peuvent être reconstruits :

Malbron' s'en va-t en guerre, ne sais quand reviendra.
Il reviendra-t à Pasque, à Pasque ou-s à la Trinité.
La Trimité se passe, Malbrou' ne revient pas.
Madame à sa tour monte, si haut qu'ell' peut monter,
Et voit venir son page, tout de noir habillé.

- Beau page, mon beau page, quell' nouvelle apportez?
-Aux nouvell' que j'apporte, vos beaux yeux vont pleurer :
Monsieur d'Malbrouk est mort, est mort et enterré.
L'ai vu porter en terre par quatre-s officiers:
L'un portait sa cuirasse, l'autre son bouclier.

A l'entour de sa tombe romarin fut planté;

Sur la plus haute brauche le rossignol chanta. En nous dégageant de toute idée préconçue, nous devons reconnaître la naïve simplicité du dialogue que dépare un seul vers: Monsieur d'Malbrouk... Cette tombe ombragée d'un romarin, ce rossignol qui chante sur la plus haute branche, ne manquent pas d'une poésie mélancolique bien étrangère au dix-huitième siècle et en harmonie complète avec la mélodie touchante de l'air si méconnu. Beaumarchais comprit bien le caractère sentimental de cette musique et l'erreur de ceux qui l'avaient appliquée à des couplets burlesques: aussi, dans le Mariage de Figaro, fit-il chanter la romance de Chérubin sur l'air de Malbrouk.

Quant au rhythme, il est conforme aux règles prosodiques de notre poésie naissante, telles que les pratiquaient dans la chanson de geste les poëtes contemporains de saint. Louis et de Philippe-Auguste. Le couplet monorime, indépendamment du refrain qui a peut-être une valeur historique, est formé par le vers de douze syllabes dans lequel est nulle comme quantité la terminaison féminine placée toujours à l'hémistiche. Le seul vers qui viole ces principes est le vers ridicule et intercalé que nous avons souligné. Dans cette poésie, l'usage de l'élision est aussi largement autorisé qu'il a été limité depuis; l'hiatus disparaît par l'emploi des consonnes euphoniques, emploi qui persiste dans la langue populaire en dépit des grammairiens, et qui n'appartenait pas jadis à l'idiome populaire seulement. Telles étaient les tendances musicales de nos premiers poëtes, et peut-être est-on en droit de regretter que les savants se soient mis en lutte avec l'instinct du peuple, condamnant au nom de conventions nouvelles les habitudes euphoniques auxquelles avaient obéi les générations qui firent notre langue. Quoi qu'il en soit, ne confondons pas les archaïsmes authentiques de la chanson de Malbrouk avec les incorrections prosodiques et grammaticales que le chansonnier du dix-huitième siècle y introduisit comme un élément comique.

Non content d'assurer aux humbles couplets le privilége d'une haute antiquité, M. Génin aurait voulu encore en préciser l'origine et retrouver le héros auquel ils furent consacrés. Réduit à quelques documents précaires, il nous

fait entrevoir pourtant un chevalier contemporain de saint Louis qui, sous le nom ou le surnom de Manıbrun, ou Mambrou, ou Marbrou, a précisément laissé une légende analogue en Espagne. La tradition, simultanée dans les deux pays, n'aurait pu prendre naissance qu'à l'époque où le roi de France et le roi d'Aragon entreprirent de concert. la croisade d'Afrique, et il s'agirait d'un preux appartenant à l'une ou à l'autre nation. Quant à l'air, M. Génin n'est pas éloigné de lui attribuer une origine orientale; un voyageur européen le reconnut, non sans peine, en Égypte où il était modulé à la façon des Arabes. Un autre hasard l'a fait reconnaître encore par un chrétien deux ans prisonnier des Mores. Les croisés auraient donc, sur une mélodie empruntée aux Sarrasins, composé la complainte qui, en 1783, venait redire aux oreilles d'une reine le trépas de l'un d'entre eux.

DE L'AUMONE MORALE (1).

Voy. t. XXIX, 1861, p. 86.

Vous savez tous ce que c'est que l'aumône; mais il en est de plus d'une sorte : il y a celle du morceau de pain, du vêtement et de la pièce de monnaie; il y a celle aussi du bon conseil, de l'exhortation, de la consolation, et au besoin de la charitable réprimande. Il en est de même du don il y a celui qu'on fait de son or, de son argent, d'un bien tout matériel, et celui que l'on fait de sa science, de sa sagesse, de son amitié, de son amour, du meilleur de son âme. A ce compte tout le monde peut donner, le pauvre comme le riche, le petit comme le grand, la plus humble des créatures comme la plus élevée. Il suffit pour eela d'être pourvu de ces biens intimes et personnels dont l'esprit seul dispose, parce que seul il les possède, et dont la bonne volonté est la source abondante.

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Il a failli s'endormir. Et le tison dont il ne reste qu'un fragment à peine gros comme le bout du doigt! Comment faire?

D'où vient ce bruit? C'est l'enfant malade qui s'agite sur son matelas.

Un rayon de lumière traverse la tête délirante d'Arie. Il peut encore se lever, gagner en chancelant la couche de son plus jeune enfant; et, avec une force inexplicable, il déchire le matelas aux pieds de son Willem. De la fougère séche!

Il en prend une poignée et retourne à l'étincelle; brise

(') Conseils et allocutions adressés à des enfants d'ouvriers et à leurs familles dans des distributions de prix d'école de village, par M. Ph. Damiron.

bien prudemment cette parcelle de feu, pulvérise l'herbe sèche et la pose par-dessus. Voyez comme elle petille. Que d'étincelles!... Arie souffle maintenant de toutes ses forces. La flamme brille enfin! O Dieu! on a du feu! Une lueur rougeâtre éclaire les ténèbres du grenier. Arie aperçoit ses bien-aimés; mais comment? Hanneke à moitié vêtue! la vieille roide comme une morte! Il jette de nouvelles fougères sur le feu. Elles petillent, elles flambent. Les pierres sifflent. Quelques débris des tiroirs sur le brasier. La flamme augmente.

-Merci, mon Dieu! s'écrie Hanneke en pleurant de joie.

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Oh! les cris de cette pauvre petite déchirent le cœur! — Et les autres enfants qui crient avec elle! Et cette infirme à cheveux blancs qui se lamente!... Et ces flammes qui dardent entre les fentes du plancher!

Oh! il y a de quoi en perdre la tête!

Hanneke se hâte, mais avec prudence, de retirer à la pauvre enfant ses bas et ses souliers roussis; puis elle couvre de sa jupe les pauvres petits pieds endoloris. Allons, chérie, tais-toi; tais-toi, mon amour. Mais, Arie, éteins done! nous allons tous brûler! Brûler! Brûler, lui et tous ceux qu'il aime! -O Dieu! que t'ai-je donc fait pour que tu nous

Toutefois cette fumée est étouffante; il faut absolument frappes ainsi? lui trouver une issue.

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Et cette question traverse sans cesse leur cerveau affaibli : « Dieu est-il vraiment un père? un père plein d'amour? » Hanneke chasse avec effroi cette dernière pensée. Elle prie, et c'est tout ce qu'elle peut dire : Père tout-puissant!

Et en répétant ces paroles, le cœur serré, elle presse ses mains l'une contre l'autre, comme si elle tenait la main du Père qu'elle implore. Cela la fortifie. - Maintenant qu'elle a prié, elle pourra encore se rendre utile aux siens. Elle a monté, dans l'après-midi, le panier au pain et la cafetière pleine, afin de réconforter Arie quand il reviendrait.

Elle n'avait alors aucune idée de la possibilité que l'eau arrivât avec une telle violence, une telle rapidité. Elle avait espéré pouvoir facilement monter au grenier tout ce qui était encore nécessaire. Combien elle s'est trompée! La cafetière, à laquelle elle n'a plus songé et qu'Albert a cachée dans un coin, frappe en ce moment ses regards. Elle en chauffera le contenu sur le feu. A peine l'excellente femme a-t-elle atteint la place où est la cafetière, que des cris perçants se font entendre. Mon Dieu! qu'arrive-t-il encore?... C'est la petite Gertrude, debout entre les jambes de son père, qui trépigne et recule en hurlant de douleur; ses cris lamentables effrayent l'enfant malade: Mariette, qui jusque-là a tranquillement et chaudement reposé, se réveille et se met à pleurer. —— Les pauvres parents sont hors d'eux-mêmes. Albert a peur; il n'y a pas jusqu'à la vieille qui, pendant quelques minutes, n'oublie ses propres maux.

- La chaleur après le grand froid lui aura fait du mal, dit la mère, tandis qu'elle accourt vers la petite fille.

Les membres du père sont tellement roidis, qu'après s'être courbé pendant quelques instants il ne peut plus se redresser. Il engage la petite à se tenir tranquille, parce que cela ne peut manquer d'aller mieux tout à l'heure.Mais la mère est déjà là. Elle saisit par ses petits bras l'enfant qui crie convulsivement, l'enlève et regarde... Grand Dieu! La flamme jaillit à l'endroit où elle se tenait! Ses pieds et ses jambes sont couverts de brûlures!

Et alors il se pose cette question en lui-même : « Chacun n'a-t-il que ce qu'il mérite?»>

Le feu ardent qui a disjoint les pierres mouillées a sans doute pénétré jusqu'au plancher, et s'est communiqué au bois. Voyez cette langue de feu, comme elle serpente et s'avance!

Arie! crie la femme d'une voix stridente qui couvre les pleurs et les gémissements des enfants; Arie, éteins done, avant qu'il soit trop tard!

Éteindre? Certes il y a assez d'eau pour cela, bien assez. Elle arrive au dernier degré de l'échelle. L'homme fait encore un effort, lors même qu'à chaque mouvement il lui semble que ses membres vont se briser. -Avec une planche, reste du tiroir, il pousse jusqu'à la porte les tisons petillants et les pierres rougies. Écoutez le bruit que cela fait en tombant : l'eau siffle

et bouillonne.

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Et plus

Tout est éteint! Le vent qui s'élève, âpre et glacé, souffle violemment contre les carreaux de la lucarne, et pénètre çà et là, entre les tuiles mal jointes. tard... Mais non. Qui peut désirer la description de la nuit. qui va suivre? - Qui se sent le courage, si ce n'est en imagination, de veiller pendant cette terrible nuit avec. Hanneke, tandis qu'elle lutte contre le sommeil pour soigner ses enfants bien-aimés?

Non, non! votre cœur se briserait si vous pouviez entendre les cris et les lamentations qui retentissent sans relâche dans le grenier; au moment surtout où les parents, se faisant violence, obligent la petite Mariette à garder autour de ses jambes de la ouate qui s'est trouvée dans un des tiroirs et dont, pour son bien, on couvre ses brûlures.

Père, dit-elle, pourquoi fais-tu encore du mal comme cela à ton enfant?... Père, oh! dis, pourquoi? Le jour s'est levé dans son âme.

Fait-il souffrir cette enfant pour le plaisir de la tourmenter? Ne le fait-il pas pour son bien, pour son soulagement?

Dieu éprouve par amour, dit-il.

Et ces paroles changent l'affreux grenier en un temple de paix.

Et cette nuit pleine d'épouvante est lentement arrivée à

sa fin, et les premières lueurs du matin qui, hier encore, coloraient le blanc tapis de neige sous lequel dormaient les champs, éclairent aujourd'hui une large et effrayante étendue d'eau. Mais voyez le soleil est levé maintenant, et, comme hier, ses gais rayons empourprent les diamants de glace de la lucarne d'Arie Dalhof.

Qu'est-ce donc que ce point noir, là-bas? Est-ce un oiseau de proie qui plane sur les flots?... Ce n'est pas le vol d'un oiseau. Cela s'approche lentement, bien lentement. Vous commencez cependant à distinguer... Non, vos yeux ne vous trompent pas.

-Arie Dalhof! Arie Dalhof! si tu existes encore dans ton grenier, si tes sens ne sont pas complétement engourdis, lève-toi! Vole à la lucarne! ouvre-la, - brises-en les carreaux!

Homme, femme, enfants, la vieille! ils viennent! les voici! Oui, regardez donc! les voilà qui viennent vous

délivrer! Écoutez le bruit des rames; écoutez le son de ces voix! Pauvres gens abîmés de fatigue, à moitié morts, réjouissez-vous! réjouissez-vous! voici la délivrance! Créatures éprouvées, bénissez Dieu! car voyez le malheur de votre maison, la désolation des lieux que vous habitez, seront un bien pour vos âmes, ainsi qu'un appel à la charité chrétienne de tous vos frères de la Néerlande.

UNE ESTAMPE SÉDITIEUSE.

Ceux de nos lecteurs qui sont le plus avancés dans la vie peuvent se rappeler un temps où c'eût été une grande témérité de publier dans un journal cette estampe, en apparence si parfaitement inoffensive. Quel sujet plus innocent, à première vue, qu'un vase funéraire et des saules qui l'ombragent? Mais, en regardant bien les profils du

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vase et des branches, on retrouve des portraits qu'à cette lointaine époque on n'eût pas exposés en public, fût-ce sur une tabatière, ou même possédés chez soi, sans se rendre suspect.

bois tourné. On n'y comprit rien d'abord, et je ne sais s'il s'apprêtait à rire où à s'étonner de notre peu d'intelligence. Ce fut mon jeune frère qui le premier s'écria: « Ah! voyez donc! La figure de Napoléon!» En effet, Vers 1817, un soir d'hiver, comme nous étions assis les ombres projetées par les profils sinueux de la pomme autour de la table, écoutant une lecture que nous faisait de canne reproduisaient très-nettement et très-fidèlement mon père, nous vimes entrer un officier de l'empire, ami la figure classique de l'illustre exilé. La physionomie du de notre famille. Il était sérieux, un peu roide, et sa re- capitaine s'illumina, et des larmes vinrent à ses paupières: dingote était boutonnée jusqu'au menton, selon son ha- « Nous le reverrons!» murmura-t-il d'une voix sourde, bitude. Il répondit à peine à notre bonsoir. Je lui présen- et il chanta le refrain d'une chanson bonapartiste alors fort tai une chaise; il l'approcha plus près de la table, s'assit, à la mode. Pendant tout le reste de la soirée, il fut trèset nous fit un geste de la main et des yeux qui voulait dire animé, et nous prouva par toutes sortes de bonnes raisons tout à la fois « Silence et discrétion. » Il y avait dans sa qu'avant six mois la grande armée prendrait sa revanche physionomie quelque chose de plus mystérieux qu'à l'or- de Waterloo. Quelques semaines après, il n'y avait pas dinaire. Chacun de nous s'attendait à une nouvelle ex- dans la ville un ancien soldat qui n'eût le petit morceau de traordinaire ou à l'apparition de quelque chanson ou bro-bois tourné au bout de sa canne ou de sa pipe. Puis un jour chure bonapartiste. Notre surprise fut grande lorsque le vint une panique, et personne ne vit plus ombre du petit brave capitaine se mit à dévisser gravement la pomme de morceau de bois. sa canne. Cette pomme était en buis et n'avait point une forme particulièrement agréable. Le vieil officier prit un de nos cahiers en papier blanc, le plaça à une certaine distance de la lampe, puis posa dessus le petit morceau de

Nous aurions volontiers donné ici l'esquisse d'un de ces petits jouets politiques, mais il ne nous a pas été possible d'en trouver un seul. Ce n'est pas à Paris que ces sortes de choses se conservent le mieux.

Tyographie de J. Best, rue Saint-Maur-Saint-Germain, 45.

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Nous sommes en pays russe, chez les Kalmouks, dans | lama de la horde, un grand prêtre qui relève directele steppe de Sarepta, qui s'étend à l'est d'Astrakhan. Le ment du grand lama du Thibet, est mort hier. Aujour

TOME XXX.- MARS 1862.

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d'hui, les prêtres brùlent son corps, comme il convient pour un si grand personnage: cet honneur est réservé chez eux aux prêtres et aux princes. Le successeur attise le feu. Vous le reconnaissez au diadème à cinq pointes qui orne sa tête. Le peuple, curieux d'un spectacle qu'on yeut lui cacher, a fait des trous à la tente, et il regarde

au travers.

Hier, dès que la nouvelle de la mort du vieillard s'est répandue dans la foule, les prêtres de la horde sont accourus pour lui faire honneur, et aussi pour toucher chacun sa part de l'héritage. En une demi-journée, il en est arrivé soixante-dix. Les principaux ont reçu déjà des chevaux, avec ou sans selle, et les autres des moutons, du bétail de toute espèce, et des objets mobiliers.

On a décidé aussitôt que la cérémonie aurait lieu sur une colline sablonneuse, nommée le Moo-Chammour, qui domine le steppe, et n'est éloignée de la tente du défunt que de quelques centaines de pas. Tous les profanes ont été écartés; les prêtres ont mesuré et orienté avec soin la place où le corps serait brûlé. C'est un espace quadrangulaire, dont les côtés regardent les quatre points cardinaux. Cela fait, ils se sont mis activement à l'ouvrage.

Les voilà qui creusent la terre. Ils établissent d'abord la base du foyer, et font des conduits qui serviront à introduire le bois et à laisser pénétrer l'air. Ils recouvrent le foyer en construisant par-dessus un mur horizontal en briques. Ils élévent tout alentour quatre pans de mur, qui seront fermés plus tard par en haut. C'est un four qu'ils ont construit, un four chauffé par-dessous, mais dont l'âtre a une ouverture qui y laisse entrer la flamme et la fumée. Le corps qu'on y mettra sera cuit au four par la chaleur du foyer inférieur, et, en même temps, desséché par la flamme et la fumée qui l'envelopperont.

Il faut essayer le four. On y introduit par en haut un trépied en fer, soutenant un cercle du même métal, dans lequel un homme peut passer, et qui soutiendra le corps au milieu des flammes. Un prêtre descend dans le four. Il entre dans le cercle de fer; il s'accroupit les jambes repliées sous lui. Les mesures ont été bien prises. Le lama tiendra facilement dans le four.

Déjà, dans la hutte du mort, les cérémonies funéraires ont commencé. Des prêtres, accroupis en cercle autour du cadavre, font des prières avec ferveur. Le lama est assis sur un trône, revêtu de son costume de cérémonie, enveloppé dans les grands plis de son vêtement jaune. Il a sur la tête sa couronne jaune, à cinq pointes qui cachent son front. Le nom de cette couronne rappelle les montagnes du Thibet, d'où est venue la religion des Kalmouks; c'est le bonnet des montagnes (jamon choubzousim). Les mains jointes, les jambes repliées sous lui, le vieillard semble être en prières. Il a cet air de grandeur que donne la mort, lorsqu'elle ne vient que de frapper. On croirait qu'il médite, qu'il regarde encore avec bonté les siens, qu'il a quittés pour toujours.

genouillent devant l'entrée en prononçant les paroles sacrées: Om ma ni pat me chung.

Le reste des prêtres s'est réuni çà et là en cercle. Ils sont fort agités, très-inquiets de ce qui va leur advenir. Enfin, une députation du nouveau lama vient leur communiquer le testament de l'ancien. Le bétail et le mobilier leur sont partagés, à chacun suivant sa dignité. Ils apprennent en même temps que le chef de la horde a affecté aux frais des funérailles et aux gratifications à distribuer au clergé une somme de six cents roubles.

Ils vont en corps inspecter le four. Ensuite, ils se dirigent, le nouveau lama en tête, vers la demeure du défunt. Déjà les quinze prêtres administrateurs ont revêtu le costume de leurs fonctions. C'est d'abord le bitchan majak, cette chemise qu'on porte sur la peau, et qui forme une sorte de jupon retenu en haut et en bas par une ceinture très-làche. Puis, par-dessus, le chubi choubzousoun, courte chemise rouge, sans manches, et ouverte sur la poitrine. Enfin, le jika majak, rouge, et qui retombe à grands plis, en se rattachant au corps par une ceinture rouge qu'on ne serre pas. Quant au nouveau lama, il ne porte encore qu'une chemise rouge à manches courtes, retenue par une large écharpe jaune. Il ne reste plus maintenant à chacun qu'à prendre son manteau. C'est une grande pièce carrée, en soie, avec une large bordure jaune; elle est bariolée au milieu par une série de carrés alternativement jaunes et rouges. Deux des coins de ce tchengi choubzousoun sont attachés sur la poitrine. Il serre les épaules et flotte par derrière, donnant à ceux qui le portent un air singulier et presque sinistre.

On a remis au nouveau lama un petit pot en métal, d'un beau travail, qui est rempli d'eau bénite, et une belle plume de paon, qui lui servira de goupillon pour asperger les assistants. Le mort a été mis dans une bière. La procession sort de la hutte, le grand lama en tête, derrière lui le maître de théologie, puis le corps porté par huit prêtres, et enfin cinq prêtres qui agitent des clochettes, deux qui portent de longs tambours en cuivre, quatre autres qui frappent sur des tambourins, et deux jongleurs. Le cortège s'avance au milieu d'un tapage a§sourdissant. La foule l'accompagne, et le lama, tout en marchant, l'asperge d'eau bénite avec sa plume de paon.

Nous voici arrivés. Comme les cérémonies funèbres doivent être accomplies dans le plus grand secret, on a dressé une tente autour du four, et on écarte les profanes. Les prêtres musiciens se sont rangés en cercle devant l'entrée. On se hâte d'introduire le corps dans la tente. On le dépose sur le trépied, on lui enlève sa couronne et son vêtement flottant, qu'on remet au nouveau lama. Le cortége ira plus tard porter chez lui ces objets sacrés, avec grande pompe et musique.

Le corps est introduit dans le four. Deux barres de fer, scellées aux murs, soutiennent le cou, et empêcheront le cadavre de s'affaisser au milieu des flammes. Ensuite, on ferme à moitié le haut du four avec un chaudron renversé et sans fond. Le nouveau lama va s'asseoir sur un beau coussin, du côté de l'ouest. Il a sur son front la couronne du défunt, et il s'enveloppe dans un grand manteau jaune.

Le peuple entoure la tente, respectueux, mais impatient de voir. Enfin, on permet à quelques-uns de pénétrer. Ils entrent la tête nue; ils s'agenouillent devant le lama, et portent sur leur front les plis de son vêtement. Mais il en vient d'autres, il en vient toujours. Pour en finir, le nou- Sur son ordre, on met le feu. La flamme s'élève; bienveau lama sort de la tente, tenant à la main le chapelet du tot elle monte à une quinzaine de pieds. La chaleur dedéfunt. Il l'impose sur la tête aux fidèles. Puis, quand il vient insupportable et le cercle s'élargit. Chacun va se voit qu'ils sont trop nombreux, et que la journée ne suffi- réfugier vers les murs de la tente. D'où vient que le lama rait pas, il lève son chapelet sur les têtes du peuple. Il les reste senl tout près du feu, avec un prêtre qui tient debénit tons à la fois, et ensuite il rentre dans la tente, pour vant sa figure un écran? Vous ne devinez pas? Voyez ce reprendre ses prières. Cependant, tous ceux qui n'ont pas chandron qu'il a à ses pieds: il contient un mélange de eu le bonheur de voir le mort circulent autour de la tente, beurre, de graisse et de résine, que le lama doit verser poussant des gémissements, disant leur chapelet, et s'a-lui-même sur le feu, pour brüler mieux et plus vite son

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