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elle et moi, appuyés à une fenêtre d'où nous avions vue sur le jardin de la maison que nous habitions à Ostie... Là, seuls et sans témoins, nous goûtions une ineffable douceur à nous entretenir ensemble; oubliant le passé et n'envisageant que l'avenir, nous cherchions entre nous quelle devait être cette vie éternelle des saints, que l'œil de l'homme n'a point vue, dont son oreille n'a point entendu parler, et que son cœur naturel ne comprend pas. Mais nous tournions nos cœurs vers vous, nous les ouvrions avidement à ces eaux célestes dont vous êtes la source vivante, afin qu'après nous en être abreuvés autant que nous pouvions le faire, nous fussions capables de nous élever en quelque mesure à l'intelligence d'un si grand mystère.

>> Comme nous étions arrivés à cette conclusion, que toutes les jouissances charnelles, que tous les plaisirs, que toute la splendeur de la vie corporelle, ne sont absolument rien auprès des délices de cette autre vie, remplis d'un enthousiasme croissant, nous nous élevâmes plus haut et nous parcourùmes graduellement tous les objets matériels, jusqu'au ciel lui-même, avec le soleil, les étoiles et tous les astres. Puis nous nous enfonçàmes plus avant encore dans ces profondeurs, continuant de penser à vous, de parler de vous, d'admirer vos ouvrages; enfin nous arrivâmes à nos âmes, mais nous passâmes encore par-dessus pour atteindre cette région de la plénitude infinie, où vous nourrissez éternellement vos élus de l'aliment de la vérité, où la vie est la sagesse même, où tout ce qui existe puise l'existence, et non-seulement tout ce qui existe, mais ce qui a existé et ce qui existera, tandis qu'elle-même n'a point été faite, mais existe aujourd'hui telle qu'elle a été et sera toujours, ou, pour mieux dire, elle n'a point été et ne sera point, mais elle est seulement, puisqu'elle est éternelle... Et pendant que nous parlions en nous élançant avec ardeur vers cette céleste contrée, nous en touchâmes le bord d'un coup d'aile de notre cœur; et, après ces prémices de vie spirituelle, nous redescendimes, en soupirant, à ces accents de notre bouche, à cette parole humaine qui ne naît que pour mourir, souffle fugitif, pur néant, Seigneur, auprès de votre Verbe éternel, qui vit en lui-même sans vieillir jamais et qui renouvelle toutes choses!

>> Nous disions done: Si une âme pouvait s'élever complétement au-dessus du tumulte de la chair, se délivrer des vains fantômes de la terre, des eaux, de l'air et des cieux, échapper à elle-même en s'oubliant, en oubliant ses pensées, ses imaginations et ses rêves, et toute langue humaine, et toutes les choses qui commencent et qui finissent (car si elle les écoute, elles lui disent: Nous ne nous sommes point faites nous-mêmes, c'est l'Éternel qui nous a créées); si donc toutes se taisaient... et qu'alors cet Être éternel lui parlat lui-même, non pas par la voix d'aucune créature, ni même par celle d'un ange ou d'une nuée du ciel, mais directement lui-même et lui seul, comme en ce moment où le vol de notre pensée nous a élevés jusqu'à la sagesse éternelle et suprême... et si cet état se continuait, si cette âme se sentait absorbée, abimée dans le bonheur de sa sublime vision, de telle sorte que ce court moment, cet éclair d'intuition, après lequel nous avons tant soupiré, fût pour elle une vie immortelle, ne serait-ce pas là l'accomplissement de cette parole: Entre dans la joie de ton Seigneur?

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C'est surtout l'infini de la grandeur et de la durée, c'est T'absolu que saint Augustin envisage ici avec ravissement. D'autres considéreront plutôt dans le ciel la cité bienheureuse et sainte où il n'y aura plus ni deuil, ni douleur, ni mal moral; où la pureté du cœur, la paix, l'amour mutuel, régneront sans limites et sans fin; où ceux qui se

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nous

sont rencontrés et aimés sur la terre se verront réunis pour ne plus jamais se séparer. Quel que soit le genre d'idéal que notre espérance ait placé dans le royaume éternel, quand nous avons conscience qu'il est sorti de ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur en nous, pouvons lever les yeux vers lui avec confiance, nous pouvons le chérir comme notre plus précieux trésor, sans nous laisser troubler par le doute. Le monde à venir, l'univers invisible serait-il trop étroit pour contenir ce que notre âme est capable d'embrasser? Prendrons-nous cette injurieuse précaution de restreindre notre esprit et notre cœur, de peur qu'ils ne dépassent l'âme infinie du Créateur? A ceux qui nous demandent nos preuves, nous répondons avec une parfaite assurance qu'il ne s'agit pas ici de mathématiques, que nous sommes hors du domaine de la science, que d'ailleurs les sentiments de notre cœur sont des arguments tout aussi légitimes, tout aussi solides que les raisonnements de notre intelligence. Vous voudriez me défendre d'ajouter foi au sentiment sous peine d'encourir l'épithète malsonnante de mystique, et moi je ne vous permets pas de dépouiller l'âme humaine, de n'y laisser vivante que la seule raison. C'est arracher les ailes de l'oiseau, sous prétexte qu'elles peuvent l'égarer et que ses pieds sont plus sûrs. L'homme non-seulement conçoit l'immortalité, mais encore il y aspire, il l'aime, il ne peut pas s'en passer: nous en concluons avec assurance qu'elle n'est pas une chimère, qu'elle est une réalité non moins certaine que si elle était visible et palpable. L'immortalité, en effet, n'est pas pour nous un luxe, mais un besoin, une nécessité; sans elle, tout se rapetisse, tout s'obscurcit et s'étouffe dans les étroites limites de cette vie terrestre si courte, si incertaine, et le mot désespéré de Salomon: «Tout est vanité », devient le sommaire de notre triste sagesse. Avec l'immortalité, tout se relève, tout s'agrandit; la moindre de nos actions, la moindre de nos paroles, a un retentissement indéfini, et nous en percevons l'éternel écho; les ombres les plus noires s'éclairent; la souffrance prend une signification et devient l'épreuve; contre l'injustice nous avons un recours, contre la tristesse une consolation et une espérance; le mot de désespoir disparaît de la langue de l'homme; nous échappons tout d'un coup aux lois aveugles qui régissent l'aveugle matière; nous sommes, ce que nous avons conscience d'être, de la race de Dieu; quelque chose de son esprit réside en nous, et il nous est donné, par la vertu de notre désir, de nos efforts, de fortifier, d'accroitre en nous cet élément spirituel; greffés à jamais sur la substance divine, nous vivons avec elle et comme elle, dans une communion toujours plus intime et plus glorieuse.

PROMENADES ALPESTRES.

Suite. Voy. les Tables du t. XXIX, 1861.
XXI.

Étendu sur l'herbe à l'ombre d'une pauvre maisonnette, épuisé de chaleur, de fatigue et de faim. Parti de Bormio à cinq heures; arrivé jusqu'ici sans rencontrer âme qui vive. Il m'a fallu un trajet extraordinaire pour être sorti des États d'Autriche sans avoir vu ni douanier, ni gendarme. Marché à la boussole et à vue d'œil; descente par une forêt parsemée de blocs gigantesques; bien gouverné, puisque me voici à mon but l'Osteria della Rosa. Rêves trompeurs de mon imagination, ce n'est pas même un cabaret, puisque la porte est close! Ne pouvant faire mieux, je me répare par le repos en savourant le paysage. Courage et espérance, et reprenons notre marche jusqu'à l'Osteria della Motta, à une heure au-dessus de celle-ci.

Et ici, je m'arrête et me demande si j'ai bien le droit de plaisanter: qui sait si mon pêcheur n'est pas un ichthyologiste dévoué, se consacrant à éclaircir le problème de savoir si la différence des espèces se rapporte à la diffé– rence des deux fleuves, l'un du nord, l'autre du midi, ou à celle des deux lacs, dont l'un, le Blanc, tire ses eaux des glaciers, et l'autre, le Noir, de l'infiltration des prai

A la Motta, ainsi nommée de la belle montagne qui enclave à gauche le col du Bernina, portes ouvertes, mais buffet vide. Bien que tout le monde soit occupé aux foins, on a cependant eu pitié du pauvre voyageur. Repas singulier et peu rafraîchissant: ni pain, il n'y en a pas; ni polenta, on n'a pas le temps d'en faire; fromage de Gruyère et saucisson miracle d'imagination pour transformer le premier en tranche de pain, et quelques potées de petit-ries? D'après son costume et sa tournure, il doit être Allelait complètent le festin.

:

mand, et j'en fais un professeur venu au Bernina pour la

même pour la géographie physique. Sans trop croire à mon hypothèse, j'en tire seulement la morale que dans les jugements à vue d'œil, du sérieux au ridicule il n'y a souvent qu'un pas.

L'hôtelier me paraît disposé à me laisser philosopher toute la soirée. Toute la maison n'est occupée que d'une noce. Bonnes gens, belle gaieté, triste mariée.

La suite à une autre livraison.

L'homme n'a pas été placé sur la terre uniquement pour y vivre, mais pour y grandir, pour y déployer, selon les desseins de Dieu, les richesses et les forces de sa nature. GUIZOT.

Soyez comme le bois de sandal, qui embaume la hache qui le frappe. Proverbe indien.

Contrée magnifique à étudier! il faudrait s'y fixer pen-géographie zoologique, comme je voudrais y venir moidant un mois. Le Bernina est un foyer de glaciers digne d'être comparé au mont Blanc et à la Jungfrau plus de 4 000 mètres de hauteur! On voit de magnifiques champs de neige et de glace couronnés par des cimes qui ne doivent pas être inabordables. Nul doute que ces glaciers ne soient en voie de s'étendre les montagnards sont bien payés pour le savoir, puisque leurs pâturages s'en vont. On affirme ici qu'il y a trois siècles, la vallée qui s'ouvre sur Pontresina, et que remplit aujourd'hui un si haut glacier en cascade, était presque entièrement dégagée. Variation digne du plus sérieux examen, et dont il faudrait s'appliquer à démontrer nettement l'authenticité; elle s'accorderait avec les observations faites sur les glaciers de l'Oberland et aussi avec mes observations sur la limite ancienne des sapins. Urgence de recueillir, de comparer, de conclure. Nulle part le champ d'études ne parait plus favorable qu'ici. Belle réciproque des observations faites ailleurs sur le développement des anciens glaciers pour connaître l'amplitude de l'oscillation, ne faut-il pas joindre à la connaissance du maximum celle du minimum? Question effrayante de géographie physique à poser devant la Suisse et même devant l'Europe: Est-il vrai que les gla-portants sont payés de nos jours, dans les ventes publiques, ciers soient soumis à une loi de développement périodique, et sont-ils appelés à reprendre, un jour l'étendue que les moraines et les roches polies nous montrent avoir été occupée autrefois? Faut-il se représenter ces cantons, aujourd'hui si florissants, devenus un Groënland continental? Sans que la politique soit assez avisée pour s'en douter, la nature, par un mouvement insensible, pousserait donc les nations du Nord sur le chemin de leur décadence et préparerait une époque où les nations du Midi reprendraient prépondérance! Quelles suites terribles d'un phénomène méconnu et abandonné jusqu'ici à la surveillance des påtres! Ces pensées excitées par la magnificence des sites, par l'air, la senteur des foins, la retentissante turbulence des eaux, n'ont cessé de m'obséder depuis que je suis en vue des glaciers je veux, pour mes vacances prochaines,

revenir au Bernina.

Au milieu de ces préoccupations sérieuses, intermède comique un peu au-dessous du col, le lac Blanc, entouré du paysage le plus austère; un monsieur en habit vert à longues basques, boutons jaunes, chapeau noir, debout sur un îlot: il pêche à la ligne! Sa passion a fait de lui un sectateur de la vie érémitique; il peut bien dire avec le Psalmiste: Similis factus sum pelicano solitudinis. C'est un vrai pélican: il s'est construit sur le rivage un nid en pierres sèches, et peut-être quand le poisson mord bellement y passe-t-il la nuit. Je l'appelle; mais il ne me répond pas plus qu'Archimède au soldat romain: son hameçon l'absorbe. S'il y a des gens qui tuent le temps violemment, celui-ci préfère tuer le sien à petit feu. Il varie sans doute ses plaisirs en se transportant du lac Blanc au lac Noir: il y a, dit-on, des espèces de poissons différentes dans l'un et dans l'autre. L'un des lacs correspond par l'Adda avec l'Adriatique, et l'autre par l'Inn avec la mer Noire, et la barre qui les sépare l'un de l'autre est si basse que souvent, noble communauté des deux mers! ils se confondent en un seul.

НОВВЕМА.

Le paysagiste Hobbema, dont les ouvrages les plus im

jusqu'à 80000 et 100 000 francs (et l'on en a vu dépasser ce chiffre), fut, pendant longtemps, si profondément oublié que les marchands effaçaient sur ses tableaux sa signature et y substituaient le nom de Jacob Ruysdaël ou celui de Salomon son frère, ou même le nom moins illustre de Decker, qui fut leur contemporain et leur imitateur. Pas un de ses ouvrages ne se trouve mentionné dans la publication de Gérard Hoët, qui ne comprend pas moins de 220 catalogues des principales ventes faites en Hollande, de 1684 à 1738. On rencontre son nom pour la première fois dans une vente faite à la Haye, en 1735, où un paysage, signalé comme « capital », fut payé 40 florins; unt autre paysage fut vendu 71 florins à Amsterdam, en 1739; c'était encore une œuvre importante, paysage magistral, selon le catalogue, et que le peintre Lingelbach avait orné de figures, ou, comme on disait, « étoffé ». D'autres tableaux ne dépassaient pas alors les prix de 12 ou 13 florins. Peu à peu les chiffres s'élevèrent; et, à la fin du siècle, le talent de l'artiste paraît avoir été estimé par ses compatriotes à un prix assez haut, quoique fort éloigné encore de ceux auxquels les grandes collections de tous les pays se disputent aujourd'hui ses œuvres.

Hobbema n'avait pas été cependant, de son vivant, un peintre obscur, puisque des artistes, qui jouissaient d'une grande faveur en Hollande au milieu du dix-septième siècle, tels que Berghem, Lingelbach, Adrien VandenVelde, Wouvermans, ne dédaignèrent pas de peindre dans ses paysages des personnages et des animaux. Le rapprochement de ces noms permet de déterminer à peu près le temps où il vécut et le pays qu'il habita; car on en est ré-duit aux conjectures sur tout ce qui le concerne. Son origine hollandaise a même été mise en question. Cependant on a remarqué que la forme de son nom, Meindert ou Minderhout Hobbema, est frisonne, et que d'ailleurs il a toujours peint des sites de la Hollande, particulièrement de Groningue et de Frise. C'est dans cette dernière pro

vince que l'on a retrouvé la plupart de ses tableaux. Selon les Hollandais Van-Eynde et Van-Willingen, il serait né dans celle de Gueldre, au village de Middelharnuis, et il aurait appris son art à Harlem, auprès de Salomon Ruysdaël. Hobbema, en effet, a représenté l'entrée du village de Middelharnuis dans un tableau qui fait partie de la galerie de feu Robert Peel; mais on n'a reconnu dans aucune de ses peintures les environs de Harlem, que les deux Ruysdaël ont si souvent reproduits. Rien ne prouve donc la vérité de ce que les écrivains que nous avons cités ont affirmé au sujet de sa naissance et de son éducation.

Ce qui peut éclaircir cette dernière question intéresse surtout dans la vie des artistes. On voudrait connaître quel fut le maître d'Hobbema et quels élèves il a formės. Tous ceux qui ont étudié ses paysages les ont comparés à ceux

de Jacob Ruysdaël. On en cite quelques-uns où les deux peintres ont copié les mêmes modèles : ces ressemblances matérielles ne sont pas les seuls points par où ils se rapprochent; leurs ouvrages présentent encore beaucoup d'analogie dans la manière de composer et de peindre. On en a conclu qu'ils se sont connus et qu'ils ont même dû être liés d'amitié. « A les voir, dit l'auteur de l'Histoire des peintres de toutes les écoles, peindre les mêmes sites, s'imiter l'un l'autre, se prêter leurs tableaux pour être calqués et reproduits, on peut croire que Jacques Ruysdaël et Minderhout Hobbema furent amis, qu'ils voyagèrent ensemble, qu'ensemble ils battirent la plaine, les buissons et les bois, et qu'ils échangèrent plus d'une fois de bons offices, des conseils, de graves et dignes louanges, sans qu'on puisse dire précisément si Hobbema fut le disciple de Jacques

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Ruysdaël, étant du reste, suivant toute apparence, du même | âge que lui. » Mais quelles que soient les similitudes qu'on aperçoive entre deux artistes, les divergences sont encore plus faciles à découvrir; et plus profond est leur sentiment de la beauté, plus leur talent pour le rendre est puissant, plus ils doivent différer dans leurs productions, lors même qu'ils représentent des objets identiques. Ruysdaël et Hobbema ont été frères et condisciples par les études qu'ils ont faites en commun et par un égal amour de la nature; ils l'ont imitée à peu près avec la même science; mais ils ne la voyaient pas avec les mêmes yeux : tous deux avaient une âme, qui a passé dans leurs ouvrages. Celle d'Hobbema, qui n'y paraît pas autant, parce qu'elle fut plus calme et plus sereine, n'en est pas moins présente dans ses peintures, et visible pour des yeux attentifs. Heureux de tout ce qu'il contemplait, l'artiste a mis son effort à rendre fidèlement les impressions qu'il gardait en

(1) Ce tableau fait partie de la collection de M. Pesez, à Bruxelles.

lui; il s'est effacé dans son œuvre. Il faut, pour le bien apprécier, aimer comme lui sincèrement et profondément la nature. Il parle à moins d'imaginations que Ruysdaël, parce qu'il est moins passionné que lui, et aussi il est moins poëte et ne touche pas autant ceux qui, jusque dans un paysage, veulent partager les émotions d'une âme humaine.

DANSEUSE JAPONAISE.

Sous ce titre : « Musique et danse au palais du Mikado ()», Siebold a publié, dans son bel ouvrage sur le Japon (Nippon), une estampe où l'on voit six musiciens accroupis et une danseuse.

Deux des musiciens jouent d'une petite flûte semblable à la nôtre; un troisième, d'un petit fifre; un quatrième tambourine sur une espèce de grand tam-tam; un cin(') Ou Daïri, l'un des deux souverains japonais.

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priment la gaieté. Elle semble imiter les mouvements et le chant d'un oiseau.

L'ouvrage figure d'autres instruments de musique, mandolines, guitares, tympanons, hautbois, conque marine, grelots, sonnettes, claquettes en bois, cymbales, cloches, etc. Un de ces instruments a la forme d'un poisson et est suspendu à deux chaînettes. Le P. Charlevoix se borne à dire que la musique des Japonais est détestable et que leurs instruments ne méritent pas qu'on en parle. Mais il faut avouer que c'est là un sujet sur lequel nous ne sommes pas encore en état de porter un jugement.

La musique occidentale moderne, depuis la découverte de l'harmonie, que ne pratiquaient pas les anciens et qui est inconnue des Orientaux, est fondée sur la faculté que

possède l'oreille humaine de percevoir, d'apprécier, d'unir les sons produits par les divisions les plus simples d'une corde ou d'un tube sonore. C'est un principe incontestable. Comme il est fondé sur l'organisation humaine, il est difficile d'imaginer ou de concevoir, au moins à présent, une musique différente. Les musiques orientales, africaines, océaniennes ou autres, paraissent à nos compositeurs des combinaisons étrangères à la science, et inspirées seulement par le caprice. Il est vrai que les peuples qui ne connaissent que celles-là éprouvent quelque plaisir à les entendre. Mais il n'est pas moins vrai que tous les hommes sont ou deviennent sensibles aux charmes de la musique européenne: elle est de plus en plus goûtée, par exemple, en Turquie et en Perse. Dès qu'elle pénètre

dans un pays, elle y reste parce qu'elle est conforme aux principes de l'organisation humaine. Au contraire, le peu de musique japonaise, chinoise, indienne ou nègre, que l'on connaît en Europe, ne produit que l'effet d'un petit bruit sans conséquence et qui meurt sans laisser de trace.

MALEMORT.

NOUVELLE.

Le vent d'automne sifflait lugubrement à travers les branches à demi dépouillées des chênes rabougris de la pauvre Sologne; il ridait en passant la surface morne des pâles flaques d'eau qui se sont creusé un lit dans ce sol de glaise et y croupissent indéfiniment; il chassait par rafales la lourde averse le long des routes inondées, au tracé incertain, aux ornières profondes, et qui, s'élargissant toujours, empiètent sur la propriété voisine sans jamais soulever la moindre réclamation de la part des riverains, tant la terre, réputée mauvaise, est incapable de couvrir les frais d'un procés.

Un voyageur, embourbé dans ce maudit pays, maugréait à chaque pas, bronchant tantôt contre un tronc d'arbre à fleur de terre, tantôt plongeant jusqu'aux chevilles dans un trou marécageux. L'approche de la nuit, rembrunissant encore le ciel d'un gris plombé, ne permettait pas de voir å vingt pas devant soi, et la pluie qui lui fouettait le visage et alourdissait ses vêtements trempés lui rendait de minute en minute la marche plus pénible.

au but. A l'agréable description que m'en a faite Arthur, ce doit être là Malemort. Je vais enfin me retrouver en face d'aimables et riants visages. Un bon accueil, un bon feu, un bon lit et surtout un succulent souper réparent bien des fatigues. Je crois entendre déjà le franc rire de l'espiègle et jolie miss Emma, voir briller les doux yeux de sa grave sœur aînée, miss Isabelle, au récit de mes aventures tragi-comiques. Si le père et le frère sont un peu solennels, les jeunes filles sont charmantes. Allons, je n'aurai pas acheté trop cher les plaisirs de l'arrivée... pourvu que j'arrive. Il me semble voir miroiter de l'eau entre le château et moi. Rien ne manque au manoir féodal, pas même les fossés. J'espère du moins trouver le pont-levis baissé.

Après avoir longé le bord de l'eau avec précaution, j'arrivai à un étroit pont de pierre qui me conduisit à une espèce de poterne enfouie dans l'épaisseur du mur. Je cherchai le marteau à tâtons et frappai à coup redoublés. Le bruit résonna dans le vide; personne ne vint. La pluie tombait toujours. Je recommençai sans plus de succès. Enfin, au bout d'un quart d'heure, la lumière de la tourelle s'ébranla, et une voix sourde grommela de l'autre côté de la poterne :

--- Qui done frappe si fort? Qui peut venir à une pareille heure et par un pareil temps?

Ouvrez d'abord, nous nous expliquerons ensuite.

Je n'ouvre pas comme cela au premier venu! Vous n'avez qu'à pousser jusqu'au bourg de la Ferté pour y passer la nuit. C'est l'affaire d'une petite heure.

Une énergique protestation de ma part attira enfin à l'une des hautes fenêtres du château un second personnage, qui s'écria avec le pur accent britannique :

Je crois que c'est la voix de mon ami Daniel! Ouvrez vite, Brigitte, et introduisez-le.

Ah! murmurai-je (car ce voyageur c'était moi), on ne m'y reprendra plus à m'embarquer sur l'itinéraire d'un ami britannique itinéraire illustré des renseignements peu courtois qu'on arrache à grand'peine aux naturels de ces contrées sauvages. Voilà deux heures que je patauge Mais Brigitte, mue par l'esprit d'hostilité qui existe entre dans cette effroyable fange, sans être, que je sache, plus les vieilles servantes et les jeunes maîtres, se mit en devoir avancé qu'au départ. Ces prétendus grands chemins res d'aller à sa cuisine chercher les clefs, puis revint le plus semblent à des landes désertes qui n'ont ni commencement lentement qu'elle put, et tira un à un, avec poids et mesure, ni fin. Pour m'achever, la nuit se fait de plus en plus noire, les barres et les verroux qui fermaient la forteresse. En et me voilà au centre d'un carrefour où s'entre-croisent une me voyant ruisselant d'eau et de boue, Arthur insista pour douzaine de routes. Laquelle prendre? Laquelle conduit au me conduire de suite à la chambre qu'il me destinait. domaine de Malemort? Un nom de joli présage! Je serais C'était une grande pièce, à tentures vert sombre, avec un tenté de croire qu'il a mis en fuite le petit rustre dégue- lit à baldaquin et rideaux verts; deux ou trois fauteuils et nillé que mes instances et mes gros sous avaient décidé à trois ou quatre chaises en tapisserie verte, que se dispume servir de guide. Je n'ai pas plutôt prononcé ce nom taient les teignes et la poussière, étaient éparpillés dans ce sinistre, que le petit drôle s'est enfui à toutes jambes. L'in- désert. L'ensemble était triste, nu, glacial à donner le vitation de ce flegmatique Arthur est un véritable guet- frisson. Arthur s'en excusa il ne m'attendait plus; il apens. Voyons! repassons ses indications: « Quand vous avait compris que j'avais renoncé à cette partie de plaisir. serez au bout de la clairière, vous tournerez à droite, vous (Plût au ciel que j'eusse eu cette heureuse inspiration! ) marcherez toujours devant vous. » C'est, parbleu, ce que je Les meubles qui devaient être envoyés de Paris n'étaient fais depuis une heure et demie! « Vous trouverez un car- pas encore arrivés, etc. Sommée de faire du feu pour me refour, et vous prendrez à gauche. » A gauche de quoi? Du sécher, la vieille Brigitte y mit tant de bonne volonté que chemin que j'ai suivi jusqu'ici, c'est clair. « Vous aperce- j'endossai en grelottant le pantalon d'été trop court et la vrez bientôt la maison, un carré long affectant la forme redingote trop étroite que me prêtait libéralement mon d'une tombe, flanqué de deux tourelles formant l'avant-hôte; je n'avais pas fini cette toilette improvisée qu'une garde; une fois là, il vous sera facile de vous orienter. » Qui, facile, avec l'aide du soleil et du beau temps qui m'ont faussé compagnie, et qui ne m'ont pas l'air de visiter souvent ce bienheureux pays! Certes, je ne choisirai pas la Sologne pour en faire loco rusticandi, comme on dit en droit; un lieu de champêtre et agréable récréation! Mais, Dieu soit loué! j'aperçois là-bas une lumière qui point à travers le brouillard, et, ma foi, cabane ou château, je m'y tiens; j'y coucherai, dussé-je tomber au milieu d'une bande de voleurs.

A mesure que j'avançais, la lumière devenait de plus en plus distincte; elle partait d'une tourelle demi-gothique, demi-moderne, faisant saillie à l'angle d'un long bâtiment noir. Enfin, me dis-je en me frottant les mains, je touche

impitoyable fumée de bois vert, me prenant à la gorge et aux yeux, me chassait au salon. Là devaient s'être réfugiées la vie, la gaieté, la jeunesse, qui semblaient avoir déserté toutes les autres parties du château. Cependant aucun bruit de voix, aucun rire frais et éclatant ne m'annonçait une joyeuse bienvenue. Je poussai l'un des battants de la lourde porte, et je vis à l'autre bout de la pièce, assis devant un triste feu de charbon de terre, mon ami Arthur, le coude appuyé sur un guéridon massif et la tête dans ses mains. Il semblait absorbé par quelque noire préoccupation. Il ne m'entendit pas entrer, et lorsque arrivé près de lui je lui adressai la parole, il tressaillit et se leva.

- Vous vous étonnez de me trouver seul, me dit-il; mon père est parti hier avec mes sœurs pour la Suisse;

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