Page images
PDF
EPUB
[merged small][graphic]

Abside et porche latéral de la cathédrale de Worms, dans le grand-duché de Hesse-Darmstadt.

Worms est l'une des villes principales du grand-duché de Hesse, dont Darmstadt est la capitale. Dès qu'on approche de ses murs en ruine, de sa vaste enceinte qu'animait jadis une population de quarante mille âmes réduite aujourd'hui à huit mille, le cœur se serre et on se

TOME XXX.- JUIN 1862.

[ocr errors][merged small]

sent pris de tristesse. Qui donc a ruiné Worms, l'ancienne ville impériale, si célèbre dans l'histoire d'Allemagne? Louis XIV. Ce fut lui qui d'un mot la fit mettre à feu et à sang par Créqui et Mellac, en 1689. Un seul de ses beaux édifices a été assez préservé de l'incendie pour

23

donner une idée de ses splendeurs. La cathédrale ou le dôme est un beau type des églises romanes à double abside. Elle a été commencée en 996 et achevée en 1016. Sa façade n'a rien de remarquable, mais ses portails latéraux sont très-intéressants. Notre gravure montre assez toute l'élégante solidité de sa double abside et de ses clochers. L'intérieur est orné de fresques byzantines et de bas-reliefs précieux du treizième siècle, de nombreuses statuettes, de riches tombeaux, de chapelles où flamboie le gothique fleuri, de spécimens d'art de toutes les époques, depuis les dixième et onzième siècles. La chapelle basse ou chapelle du baptême, Tauf-Capelle, située à gauche du portail méridional, est très-curieuse au pourtour de sa piscine, urne immense, sont figurés Jésus-Christ et ses apòtres. Une autre chapelle renferme les tombes des saintes Embede, Barbede et Wellebede, ainsi qu'un bas-relief représentant Daniel dans la fosse aux lions. Après sa cathédrale, Worms n'offre à la curiosité des étrangers que l'église gothique de Notre-Dame, œuvre du quinzième siècle; l'église de la Sainte-Trinité, rebâtie en 1725, et la synagogue, qui date du onzième siècle.

LES CHERCHEURS DE CRISTAL. PREMIER RÉCIT.

:

Voilà trois fois que le même rêve me poursuit, et chaque fois il avait une netteté à faire illusion. Cela ne peut être naturel c'est un avis que mon bon ange me donne. Eh bien, il ne sera pas dit que j'aurai perdu une si belle occasion! Notre dernière chèvre, il faut la vendre; le prix me permettra d'aller dans la montagne, et j'atteindrai enfin mon but, ce but si longtemps poursuivi.

Comme Joseph Ottmann prononçait résolument ces paroles, sa femme fut saisie d'un tremblement nerveux et croisa les mains avec une expression de désespoir.

- Encore, dit-elle, encore ton idée fixe! Ne seronsnous jamais délivrés de cette malédiction? Que de pertes, que de souffrances ne nous a-t-elle point causées? C'est la famine, c'est la mort qui s'attache à nous. M'en a-t-elle fait passer de ces nuits sans sommeil! Nous comptions autrefois parmi les personnes les plus heureuses du vil-' lage; nous possédions un grand chalet, des terres, des meubles, de l'argent comptant, du linge à foison; il y avait plus d'un habitant qui ne pouvait parler de nous sans envie que nous reste-t-il? Nous voilà logés dans une hutte, pauvres, seuls, en butte au mépris, dénués de tout. Et qui nous a plongés dans cette misère? Ton aveugle obs-¦ tination. Tu rêvais des trésors, tu croyais devenir aussi riche qu'un banquier de Genève ou de Bâle, et nous manquons de pain. Ni mes prières, ni mes larmes, n'ont pu te fléchir, n'ont pu te faire abandonner tes malheureux projets. De tout notre avoir, une seule chèvre nous est demeurée: elle nous fournit du lait pour notre premier repas, elle égaye nos enfants, elle est notre dernière ressource, et tu veux la vendre aussi ! La pitié n'a pas plus d'influence sur toi que la raison. Ah! je suis née dans un jour de malheur !

Et Mariette, couvrant sa figure de ses mains, laissa déborder les larmes qui gonflaient son cœur.

Joseph ne put les voir sans émotion; mais ses traits énergiques attestaient une volonté inflexible. Dans ses yeux légèrement hagards perçait l'exaltation d'une âme forte, qui n'abandonne qu'à la dernière extrémité un projet depuis longtemps conçu. Ses joues creuses, sa pâle figure, ses cheveux en désordre, son costume misérable, prouvaient la détresse à laquelle l'avait réduit son obstination; il n'était pas vaincu néanmoins par la mauvaise

[ocr errors]

fortune, et, précisément parce qu'il avait tout sacrifié aux ambitieux désirs que lui reprochait sa femme, il ne voulait pas rester accablé sous le poids de ses revers, traîner dans l'indigence une vie odieuse.

- Quand on a tant souffert, dit-il en se levant de son escabeau, une douleur de plus mérite-t-elle qu'on y pense? Dans le dénûment où nous sommes, qu'avons-nous à ménager? qui nous tend la main? qui nous offre son aide? que pouvons-nous espérer? Loin de me secourir, loin de me donner du travail, on nous tourne en dérision; plutôt que de végéter ainsi, mieux vaudrait......

Il s'arrêta pour ne point effrayer sa femme, et, d'un air triste, mais résolu, sortit de la maison.

Comme venait de le dire sa ménagère, il avait été autrefois un des paysans les plus fortunés de l'endroit. Ses parents lui avaient laissé du bien, et Mariette avait apporté une assez belle dot. Il cultivait lui-même ses terres, élevait quelques bestiaux, et, lorsque l'année touchait à sa fin, voyait avec plaisir que ses ressources augmentaient au lieu de diminuer, comme il arrive, hélas! dans un si grand nombre de maisons. Joseph, en conséquence, se donnait du bon temps. Il chassait pendant l'automne, et, comme il était agile et robuste, il poursuivait le gibier le plus difficile, mais le plus glorieux à surprendre; aussitôt que les premières brumes veloutaient, le soir, la surface des prairies ou des terres nouvellement labourées, il mettait son fusil en bandoulière, puis s'acheminait vers les hautes régions du Grimsel. Le pic noir, qui, par ses cris retentissants, annonce aux bergers l'approche des orages, ne l'en détournait même point, la persévérance dont l'avait armé la nature ne l'abandonnant jamais. Parvenu près des glaciers de l'Aar, il commençait à épier les bouquetins et les chamois, très-nombreux alors dans ces parages. Tandis que son œil perçant les guettait, qu'il marchait en silence et avec précaution au milieu des rochers, il voyait fréquemment travailler sur leurs parois les chercheurs de cristal, ou les rencontrait et leur adressait quelques mots. Les hardis explorateurs parvenaient souvent à conquérir un magnifique butin: ils lui montraient des masses transparentes qui pesaient jusqu'à vingt livres et même davantage. Or cette production naturelle était alors très-recherchée; on la payait un prix considérable, puisque la décoration d'un seul lustre coûtait vingt, trente et quarante mille livres. Les mineurs aériens descendaient dans les villes, offraient leurs trouvailles aux lapidaires, ou les taillaient eux-mêmes pour les vendre aux voyageurs curieux, aux graveurs sur pierres fines.

Chaque fois qu'Ottmann avait rencontré un des habiles fouilleurs, avait vu étinceler dans ses mains sa précieuse aubaine, il devenait pensif. On l'aurait mal connu si on l'avait pris pour un homme désintéressé; il aimait le bien, il aimait l'argent, il aimait à savoir son grenier rempli. Seulement, il aimait aussi à faire usage de ses florins, mangeait de la viande une fois par semaine, buvait le dimanche avec ses amis une bouteille de vin vieux, ne lésinait pas sur la toilette de sa femme, et donnait sans regret aux pauvres de la paroisse. La vérité, toutefois, est qu'il convoitait un peu trop la fortune; mais qui n'a point, dans ce bas monde, quelque faiblesse évidente ou cachée? Ottmann comparait donc malgré lui son divertissement périlleux et ingrat aux bénéfices des chercheurs de cristal. Le gibier qu'il lui arrivait d'abattre lui coûtait d'ordinaire plus qu'il ne valait, et encore avait-il bien de la peine à le rapporter. Ses compagnons de solitude faisaient, au contraire, des gains superbes, quand le sort les favorisait. Sans doute, ils bravaient de grands périls: pour atteindre les gisements de cristal, force leur était de gravir des pentes si roides que le moindre faux pas causait leur mort;

en d'autres lieux, ils descendaient ou se faisaient descendre, au moyen d'une corde, le long de parois inaccessibles. Là, suspendus entre la terre et le ciel, au-dessus de gouffres ténébreux ou de splendides glaciers, ils entamaient le roc dans lequel la nature jalouse avait caché son trésor. Mais lui, pendant ses chasses audacieuses, couraitil moins de dangers? Sa vie ne tenait-elle pas souvent à un fil, comme on dit vulgairement, et une ronce, une faible saillie, ne le préservaient-elles pas seules d'une chute effroyable? Puisqu'il se hasardait de la sorte, ne valait-il pas mieux mettre à profit son courage? Ses bénéfices accroîtraient sa chevance, lui permettraient un jour de mieux doter ses filles, et d'acquérir, en attendant, un estivage qu'il désirait (1).

Il se mit donc à inspecter les hauts pitons du Grimsel, les aiguilles surtout qu'on nomme les Zinken, pyramides aux flancs noirs qui dominent plusieurs champs de glace, et, par leurs teintes lugubres, forment une oppositiou tranchée avec les nappes splendides. Son œil attentif cherchait les lignes blanches et horizontales au moyen desquelles la nature indique la présence du quartz diaphane elles dessinent sur le gneiss ou le feldspath comme des veines saillantes, et laissent échapper çà et là, par quelques fissures, des gouttes d'eau qui suintent perpétuellement. Pourquoi la nature ne place-t-elle ces richesses que dans les sites les plus périlleux, où elle semble vouloir les dérober à la main de l'homme? Au-dessus de la région que fréquentent les chamois, au-dessus des mers de glace et des neiges éternelles, se dressent les pics menaçants qui les tiennent cachées sous leur solide armure, comme pour les soustraire aux yeux, comme pour les protéger contre les recherches avides. On ne les trouve que par exception dans les zones moyennes. C'est que les zones supérieures seules réunissent les conditions nécessaires à la formation du cristal. Ses prismes à six pans, surmontés d'une pyramide hexagone, ont besoin, avant tout, d'une eau pure qui tienne en suspension des molécules de silice, sans mélange d'autres éléments. Ces deux circonstances ne se réalisent à la fois que dans les infiltrations des hauts sommets. Plus bas, l'eau se charge de matières hétérogènes, et le cristal perd sa transparence ou se teint de diverses couleurs : l'oxyde de fer lui communique une nuance jaune; l'oxyde de manganèse, une nuance lilas qui le métamorphose en améthyste. Quand des substances plus épaisses s'amalgament avec le quartz, elles donnent naissance à une foule de composés, tels que l'agate, le porphyre et même la pierre à fusil. Or, à mesure que l'eau limpide qui tombe du ciel sur les hautes crêtes, soit en forme de pluie, soit en forme de neige, descend vers les basses terres, elle ramasse tantôt un des éléments qui colorent le cristal, tantôt ceux qui le rendent opaque. Voilà pourquoi les régions supérieures des montagnes sont l'officine où la nature engendre cette mystérieuse production.

Ottmann, le hardi chasseur, explora les districts les moins connus de l'Oberland. Il sortit même du Grimsel et entra dans le massif du Schreckhorn. Le sauvage aspect de ces lieux ne lui causa ni peur ni tristesse. Aux flancs de plusieurs cônes, il observa les indices de formations cristallines; mais tantôt ils lui semblaient dénoter un trop faible amas de prismes diaphanes, tantôt ils rayaient la pierre dans des endroits tout à fait inaccessibles. Joseph voulait exploiter un dépôt considérable, ou ne pas mettre la main à l'œuvre. Un soir, enfin, il trouva ce qu'il cherchait. Le jour allait finir; la lune pâle venait de se lever dans un ciel d'un bleu clair, au-dessus d'un nuage sombre

(*) On appelle estivages les hautes prairies où l'on mène les bestiaux pendant l'été et que la neige rend inabordables pendant l'hiver.

qui se déroulait comme une mer noire. Les premiers rayons de l'astre nocturne faisaient briller les paillettes du quartz; on eût dit une bande de diamants appliquée sur la paroi ténébreuse. Elle se réfléchissait dans un lac aussi sombre que les eaux imaginaires du Tartare, et y dessinait une splendide traînée. Ottmann, transporté de plaisir, éprouva des battements de cœur. Il lui semblait voir la ceinture d'une fée qui lui annonçait tous les trésors des Mille et une Nuits. Comme il était trop tard pour descendre dans les vallons inférieurs et chercher un gîte, le rude montagnard choisit une encoignure, au milieu des rocs, pour s'y abriter tant soit peu contre les vents; il y dormit comme un financier sur la couche la plus moelleuse.

Le lendemain, il regagna son village, embaucha les hommes de bonne volonté, en stipulant qu'il payerait leur travail, mais qu'il aurait seul des droits sur les gisements de cristaux. Les agiles compagnons, les mineurs intrépides, ne lui manquèrent point dans les trois paroisses de la vallée d'Hasli; aucun district de la Suisse ne renferme une population plus vaillante, plus robuste et plus audacieuse. Tout le monde y connaissait le caractère résolu de l'entrepreneur, tout le monde savait que ses promesses valaient de l'argent comptant. On se mit donc en marche comme pour une partie de plaisir. On plaisantait, on riait, on chantait, on se livrait à des jeux de main qui n'étaient pas très-délicats, on poussait les cris retentissants dont tous les montagnards aiment à frapper les échos de leur patrie. Tant que l'on côtoya les rives de l'Aar, l'expédition ne présenta aucune difficulté. Mais il fallut bientôt quitter les bords du'torrent, pénétrer dans des vallons plus étroits et dans des gorges latérales. La troupe laborieuse eut à gravir des pentes escarpées, des terrains sauvages semés de roches monstrueuses et mal affermies que la moindre cause semblait devoir précipiter sur eux. Ils longeaient çà et là une cascade étourdissante qui les inondait de pluie, marchaient parfois entre une muraille perpendiculaire et un abîme si profond, si noir, si redoutable qu'ils n'osaient y plonger la vue. Les sections les plus agréables du parcours étaient les bois de pins tiniers ou ceinbrots, élégants trappeurs qui s'avancent jusqu'aux frontières des neiges éternelles et bravent les plus froides températures, ou encore les verts tapis des almes ('), que parfument l'androsace et l'arnica.

La suite à la prochaine livraison.

ANDREA MANTEGNA.

Le célèbre peintre Andrea Mantegna, fondateur de l'école de Mantoue, naquit à Padoue en 1431. Il était le fils d'un paysan, et, comme Giotto, pendant son enfance il garda les troupeaux. Par bonheur, Francesco Squarcione, peintre padouan, fut pour lui un autre Cimabue. Cet artiste alors célèbre devina le génie du jeune pâtre, l'emmena dans sa maison, et l'éleva avec autant d'affection et de sollicitude. que s'il eût été son fils adoptif. Le Squarcione, ardent admirateur de l'antiquité, avait parcouru l'Italie méridionale et la Grèce. Il possédait un grand nombre de sculptures antiques, d'études et de dessins précieux, recueillis pour la plupart dans le cours de ses voyages. Ces richesses si rares à cette époque et sa réputation de savant professeur avaient attiré près de lui beaucoup d'élèves il dirigeait leurs études avec succès, quoique son enseignement fût plutôt théorique que pratique. Ses compatriotes l'avaient surnommé « le premier maître des peintres. »

On raconte qu'en 1441 Andrea, âgé de dix ans à peine,

(*) Alme est synonyme d'estivage,

[merged small][merged small][merged small][graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small]

pris en haine, ne cessa de le poursuivre de ses critiques amères. Andrea avait acquis, grâce à l'étude constante de l'antique, une grande pureté de style; mais on lui reprochait avec raison des formes d'une roideur trop sculpturale, et un coloris sans animation et sans éclat. Il eut le bon esprit de ne point s'aveugler sur ses défauts; et les sarcasmes du Squarcione, sans doute aussi l'influence des Bellini, contribuèrent à lui donner la volonté de se modifier et de grandir en talent.

Pendant toute la première période de sa vie, jusqu'en 1461, le Mantegna couvrit de peintures les principaux édifices de sa ville natale. En 1463, on le voit à

|

Vérone, travaillant à sa fresque de l'Enfant Jésus du cloître de Saint-Zénon, aux deux Triomphes dont il orna la façade de la maison du peintre Giaffino, en reconnaissance de l'hospitalité qu'il y avait reçue, puis à des décorations analogues sur d'autres maisons particulières, peintures dont les traces sont encore visibles de nos jours. Vers 1466, il séjourna quelque temps à Florence.

Le Mantegna avait trente-sept ans quand le marquis Louis de Gonzague l'appela près de lui à Mantoue. Il était alors dans toute la force de l'âge et la maturité du talent. Rien ne fut épargné pour retenir l'artiste à la cour des Gonzagues, nombreux et importants travaux, dons de toute

[graphic][subsumed][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors]
« PreviousContinue »