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sa mère. Douze ou quinze habitants fumant au soleil l'entouraient et l'écoutaient. Voici ce qu'à l'instant même je notai de cet entretien :

LE CAPITAINE. Je vous dis que vous êtes tous des sauvages! (Les habitants se regardent les uns les autres en riant et en secouant la tête.) J'ai tort; vous êtes pires. Il y a beaucoup de sauvages qui sont plus hommes que vous. (Les rires redoublent.) Je ne ris pas, moi; je vous dis la vérité.

UN HABITANT. Eh! Georges, parce que depuis vingt ans tu roules ta vie dans toutes les parties du monde, il ne faut pas tant mépriser tes anciens amis; tu nous crois aussi plus sots que nous ne le sommes.

LE CAPITAINE. Non, vous n'êtes pas des sots: vous parlez même d'une manière assez drôle et qui m'amuse quelquefois, quand je comprends votre jargon, ce qui ne m'arrive pas toujours; mais, avec tout cela, vous n'êtes pas des hommes comme il vous faudrait l'être.

UN HABITANT. Qu'est-ce donc qu'il nous manque, Georges, pour être des hommes comme tu l'entends? On gagne sa vie comme on peut; après le travail, on se repose, et on cherche à s'égayer les uns les autres pour passer le temps.

LE CAPITAINE. Parmi vous, il y a d'honnêtes gens qui travaillent bien, qui n'ont pas de dettes, ne rendent pas leurs familles malheureuses, et économisent pour leur vieillesse. Il y en a aussi qui ne travaillent pas souvent dans la semaine et qui se font bien payer leurs journées, mais qui n'apportent guère de ce qu'ils gagnent à leurs femmes et à leurs enfants, ni aux caisses d'épargne; il paraît qu'ils sont au monde, ceux-là, pour faire la fortune des marchands de vin; c'est leur manière de rendre service à leurs semblables; à chacun sa vocation. Il y en a enfin, il faut bien vous le dire, de très-méchants qui ne savent que boire, dire des grossièretés, se disputer et se battre, et qui s'en vont de temps à autre réfléchir, bien malgré eux, dans une prison ou à l'hôpital; ces réflexions ne leur servent pas à grand'chose, et ils ne reviennent que pour recommencer à mal faire, ce qui les mènera tôt ou tard un peu plus loin et en des endroits où ils auront encore plus de temps pour réfléchir. Mais quand je dis que vous ne valez pas certains sauvages de ma connaissance, je ne m'adresse pas plus à ceux d'entre vous qui sont honnêtes qu'à ceux qui ne le sont pas; je parle de vous tous je ne vous trouve ni les uns ni les autres des hommes assez sérieux.

UN HABITANT. Sérieux! Pourquoi veux-tu que l'on soit sérieux? On l'est quand c'est le temps de l'être, et on n'en a l'occasion que trop souvent.

LE CAPITAINE. Vous ne me comprenez pas. Je veux dire que vous n'entendez pas la vie d'une manière assez sérieuse, assez raisonnable. Sans doute vous êtes sérieux quelquefois, malgré vous, « à votre corps défendant », quand vous sentez votre bourse vide, quand il vous faut vous appliquer à votre travail sous peine de mourir de faim, ou quand vous souffrez de maladie. Mais quel mérite y a-t-il alors à ne pas rire, à ne pas railler? Si ces jours-là vous ne parlez pas, si vous avez des visages renfrognés, si vous avez l'air d'être, comme dit la mère Jeanne, « tout assotés », ce n'est point par raison et par bonne volonté de bien penser, c'est par force et parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais, je vous le demande en conscience habituellement, quand vous n'avez sujet ni d'être tristes, ni d'être gais, quand vous êtes « au calme », dites-moi-le sincèrement, qu'y a-t-il de bon, de curieux, de beau, d'intéressant dans votre tête? Voilà plus de quinze jours que je suis ici près de ma mère je vous entends causer quatre à cinq heures par jour, et de quoi parlez-vous qui vaille la peine d'être écouté et retenu dans la mémoire? Vous répétez toujours

:

les mêmes choses, vous riez toujours des mêmes plaisanteries, et quand vous êtes de mauvaise humeur vous êtes insupportables, vos plaintes sont aussi monotones que vos bons mots. On dirait que vous ne savez rien de plus que quatre ou cinq vieilles phrases apprises par cœur ; si vous êtes instruits des choses les plus simples, de celles que tout homme doit connaître, si vous réfléchissez, si vous pensez par vous-mêmes, vous n'en êtes pas bien fiers, et vous gardez apparemment toute votre sagesse et tout votre savoir pour vous, car il n'en sort jamais rien de votre bouche. (Deux ouvriers murmurent.) Est-ce que ces vérités-là vous offensent? Si je ne peux parler librement, je me tais.

UN HABITANT. Parle, Georges, parle. On dit : « Franc comme un marin. » Si tu n'es pas juste, on essayera de te répondre.

LE CAPITAINE. A la bonne heure. Il se peut que j'aille trop loin; alors on me fera plaisir de me donner un avertissement amical; je ne suis pas venu ici pour me mettre mal avec mes compagnons d'enfance ; j'ai de l'amitié pour eux, et je ne leur ai pas montré jusqu'ici, je crois, un

mauvais caractère.

UN HABITANT. Non, non, continue.

(Quelques ouvriers se lèvent et s'éloignent en haussant les épaules.)

LE CAPITAINE. Il y a un an, j'étais à Taïti. Quelqu'un de vous sait-il où est Taïti? Bien loin, sur la mer, n'est-ce pas? Mais est-ce du côté de la Chine, de l'Afrique ou de la Nouvelle-Hollande? Personne ne répond. Je me doutais bien que vous n'aviez pas là-dessus des idées bien nettes. Est-ce qu'un être raisonnable ne doit pas désirer savoir à peu près ce qu'il y a sur la terre? Une petite carte géographique représentant tout le globe ne coûte cependant pas bien cher. Un jour où vous boiriez deux ou trois litres de moins, vous pourriez en acheter une, la clouer dans votre chambre, et quand on parlerait devant vous d'un pays, vous sauriez du moins où le trouver. J'étais donc à Taïti. A l'occasion d'une grande fête en l'honneur de la reine Pomaré, un officier de notre marine adressa un discours aux Taïtiennes, qui sont fort jolies, et aux Taïtiens, qui ne sont pas sots. Il leur fit un grand éloge du peuple français et de ses progrès surprenants en richesse, en moralité et en instruction. La lecture, disait-il, se répandait dans toutes les classes de la société, les arts fleurissaient, les sciences utiles étaient à la portée de tout le monde, la civilisation faisait des pas de géant jusque dans les villages... et ainsi de suite. Après la cérémonie, un vieillard, qui avait été autrefois conseiller et ministre du gouvernement taïtien, me prit à part et me dit en soupirant : « Ah! les Français » sont les enfants aimés de Dieu! Qu'ils sont heureux de » connaître tant de belles choses et d être tous si bons! >> J'aimerais mieux être né le plus pauvre des paysans ou » des ouvriers dans votre pays que d'avoir été l'un des » premiers dans cette pauvre île ignorante et sauvage! » J'avoue que, dans ce moment, je trouvai ces paroles du vieillard dignes et raisonnables. Je pris plaisir à ajouter encore aux éloges de la France que nous venions d'entendre. Mais, quand je fus seul, je pensai que mon éloquent compatriote pouvait bien avoir un peu exagéré; je me souvenais, à la vérité, qu'à mon départ de la France, on ouvrait de toutes parts avec ardeur des écoles, que l'on écrivait de petits livres et de petits journaux à bon marché pour propager des notions morales, l'instruction et le goût des arts. En vingt-cinq ans, me disais-je, des hommes aussi vifs, aussi prompts à tout comprendre, aussi spirituels que mes compatriotes, peuvent bien être parvenus à s'améliorer et à s'éclairer de telle manière qu'à mon retour je doive à peine les reconnaître. En 1830, les hommes instruits aimaient le peuple, et paraissaient bien résolus à partager

avec lui leur savoir, à l'aider à s'élever en intelligence et en dignité. La métamorphose doit être admirable, songeai-je quelques jours après tout en naviguant. J'étais impatient; mon cœur battait. J'arrive ici, dans ce village où je suis né, près de Paris « la grande ville», et il faut bien que vous me permettiez de vous dire ce que je vois et ce que je pense. Pas un seul d'entre vous n'est plus instruit qu'on ne l'était ici il y a vingt-cinq ans; pas un ne raisonne mieux que de mon temps; pas un ne cause mieux; pas un de vous ne cherche à s'instruire et à être meilleur; pas un d'entre vous n'étudie quoi que ce soit et n'ouvre seulement un bon livre. Où sont vos livres? les cachezvous? Pas un d'entre vous ne sait ce qui est le plus indispensable à un bon citoyen, et même, par exemple, l'histoire de son pays.Voilà le grand Benoît qui se récrie. Eh bien, Benoît, dis-moi comment la France était gouvernée il y a deux ou trois cents ans. Réponds! Tu restes muet, et personne ne prend la parole à ta place. Eh bien, il y a cent cinquante ans, que faisait-on en France? Tu n'en sais rien non plus. Ai-je donc tort? Les plus habiles d'entre vous pourraient raconter seulement ce qui s'est passé en France du vivant de leur père, ou au plus du temps de leur grand-père. Encore ferait-il, j'imagine, bien des erreurs. Est-ce qu'il n'est pas honteux pour un Français de ne pas savoir l'histoire de la France?· Passons à autre chose. Nous voyons d'ici le chemin de fer; c'est pendant mon absence qu'on l'a construit. Que l'un de vous me dise comment est venue cette invention-là, comment il se peut qu'une machine sans chevaux fasse rouler tous ces wagons, ou comment ces fils de fer qui sont au-dessus peuvent porter des nouvelles de Paris à Marseille en quelques minutes. Vous avez été té moins de ces merveilles; on les a décrites mille fois dans les journaux, dans les livres. Vous avez peut-être retenu les mots vapeur, électricité. Mais qu'est-ce que ces motslå signifient? Les gens, les livres qui peuvent vous donner les explications nécessaires sont partout; mais vous n'êtes pas curieux. Vous croyez être assez savants si vous êtes assez habiles pour ne pas mourir de faim. Avant-hier, Hardouin a voulu dire ce qui se passait dans l'intérieur d'une locomotive : il a parlé de chaudière, de piston, mais il s'est si bien embrouillé qu'il n'a jamais pu aller jusqu'au bout, et vous avez tous éclaté de rire en voyant qu'il n'en savait point là-dessus plus que vous; il y avait plutôt de quoi rougir tous jusqu'aux yeux! Hier soir, vers dix heures, le ciel était pur comme la mer Pacifique; j'ai demandé au fils Jaubert, qui a quatorze ans, où était l'étoile polaire, et il m'a répondu que personne au village n'était en état de la montrer; vous n'avez pas réclamé. Si l'on vous parlait ou de la distance qu'il y a d'ici aux étoiles, ou des nébulcuses, ou des étoiles doubles, vous répondriez comme le père Vaudey devant l'arc-en-ciel : « Bah! personne ne connaît rien à tout cela!» car c'est l'habitude des ignorants de se complaire à croire que personne n'en sait plus qu'eux. Vous avez pourtant toujours le ciel tout étendu sur vos têtes, et il semble qu'il serait bien simple et bien naturel de chercher à y lire quelque chose; vous devriez même en savoir plus là-dessus que ceux qui vivent dans les villes. Autre chose encore. Ce pauvre fonctionnaire de Taïti vous enviait votre goût de l'art est-ce que vous avez même l'idée de ce que c'est que l'art?...

UN HABITANT. Un mot, Georges, un seul mot. Vous tombez sur nous comme grêle; mais vos sauvages, Georges, qu'est-ce donc qu'ils savent de plus que nous? N'oupas que vous avez dit que nous étions pires que beaucoup de sauvages.

bliez

LE CAPITAINE. Et je le dis encore... Je parlais d'art. Eh bien, il n'y a pas un sauvage qui n'aime à orner sa cabane, ses armes, son bateau. Ils les décorent de peintures;

ils font avec leurs haches et leurs couteaux des sculptures en bois du mieux qu'ils peuvent. Et ici, y a-t-il un seul d'entre vous qui, dans ses loisirs, cherche seulement à embellir un peu l'extérieur ou l'intérieur de sa maison, ou ses instruments de travail? Vos outils sont laids et grossiers; il n'y a pas trace du moindre ornement dans vos maisons, pas une bonne gravure, pas un joli meuble : aussi n'avez-vous pas l'air de vous y plaire beaucoup, et vous n'y restez que le moins possible. On serait injuste de demander au sauvage de savoir ce qu'on n'a jamais enseigné dans son pays; mais tout ce qu'on peut y apprendre, il le sait. Vos chansons, pardonnez-moi d'être franc, sont pitoyables; quand vous avez pris un peu trop de vin, vous les criez ou plutôt vous les hurlez à faire peur aux passants. La plupart des pauvres sauvages ont des chants de religion, de guerre, de réjouissance, qui sont de vraies poésies où respirent l'enthousiasme, l'amour du sol natal, le respect des ancêtres, le dévouement. Cela vous paraît bien extraordinaire: rien n'est plus vrai cependant, et si vous aimiez à lire, je vous le prouverais. Et puisque je m'abandonne à vous dire tout ce que j'ai sur le cœur, laissez-moi ajouter quelque chose de plus sérieux encore et qui va vous sembler encore plus ridicule. Quelle religion avez-vous? Oh! je m'y attendais bien; ce mot religion n'a plus pour vous aucun sens, et un homme religieux ne peut être, à votre idée, qu'un bigot, un tartufe ou un imbécile; vous penserez de moi ce que vous voudrez cela m'est égal, je suis marin, et on sait que les marins ont presque tous des sentiments religieux. Tant pis pour vous si vous vous estimez plus hommes que nous, parce que vous ne croyez à rien. Eh bien, je n'ai pas visité un pays de sauvages sans y trouver une religion. Il n'y a pas dans l'Océanie, dans la NouvelleHollande, une seule peuplade, si petite et si misérable soitelle, où l'on ne croie sincèrement à un Dieu et à une vie future où l'on sera récompensé ou puni selon qu'on aura été bon ou méchant sur la terre. Cela vous fait pitié? Je m'en doutais. Vous croyez être bien plus intelligents et bien plus forts parce que jamais vous ne pensez à autre chose qu'à vos intérêts et à votre plaisir. Un Dieu, une âme, une autre vie! vieilles et sottes idées, n'est-ce pas, tout au plus bonnes pour les vieilles femmes et les enfants? Admirer, espérer, tressaillir à l'idée de la grandeur et de la beauté de l'univers, de l'ordre qui règne partout, de l'Etre puissant qui nous a donné la vie, l'intelligence, la parole, qui fixe l'heure de notre mort comme celle de notre naissance; rêver à l'infini, à tous les mystères qui nous entourent, tout cela n'est rien pour vous! Jamais vous n'y pensez, et bien certainement jamais vous n'en parlez !

UN HABITANT. Si je ne fais pas erreur, capitaine, il y a aujourd'hui bien des savants de la ville qui ne croient pas plus que nous à Dieu et à une autre vie.

LE CAPITAINE. C'est possible, et malgré leur science, je les plains tout comme vous. Mais, du moins, ceux-là se croient obligés d'expliquer pourquoi ils croient ou ne croient pas; ils disputent sur Dieu, sur l'autre vie, et lorsqu'on s'occupe tant de ces grandes idées, même pour se défendre d'y croire, il en reste toujours dans l'esprit quelque chose; tandis que ceux qui n'ont pas plus de savoir que de religion, qui n'aiment pas plus l'histoire que l'art ou la science, qui n'étudient rien, ne réfléchissent à rien, qui sont insouciants, indifférents, ignorants, sont réduits. à vivre à peu près uniquement comme s'ils n'étaient pas des hommes, comme si... Je m'arrête ; j'arriverais à vous dire des vérités trop dures.

UN HABITANT. C'est vrai que nous ne savons pas beaucoup de choses. Mais, après tout, nous ne sommes pas des anthropophages, nous!

LE CAPITAINE. Vous vous imaginez donc que tous les

sauvages mangent de la chair humaine? Il n'y a pas d'anthropophages aux îles Sandwich, aux îles Gambier, à Taïti, et en beaucoup d'autres pays qu'on appelle sauvages. D'ailleurs, si vous aviez à souffrir les tortures de la faim, la privation de toute nourriture animale; si vous étiez souvent réduits, comme en Nouvelle-Calédonie, à manger de la terre et des araignées, êtes-vous bien sûrs que vous n'arriveriez pas à ce que font des Européens même plus éclairés que vous, lorsqu'ils sont abandonnés, à la suite d'un naufrage, sur un radeau ou dans une île déserte? Je ne veux pas excuser le moins du monde ce crime affreux. Je ne veux vous comparer qu'aux sauvages qui ne sont pas assez bas dans l'échelle des êtres pour entrer ainsi en révolte contre la nature, à ceux qui vivent comme vous d'un rude travail, bravant courageusement les fureurs de la mer pour pêcher de quoi nourrir leur famille, luttant avec les animaux féroces, ou cultivant avec persévérance un maigre sol pour en faire sortir quelques pauvres légumes. Ceuxlå ont tout ce que vous avez de bon, et, de plus, ils ont tout ce que j'ai dit. N'ont-ils pas plus de mérite que vous à être ainsi, privés qu'ils sont de toutes les lumières et de tous les encouragements qui sont à votre portée? N'est-ce pas une chose honteuse que des habitants d'un village si voisin de Paris ne se soucient pas même de savoir l'histoire de leur patrie, ni celle du genre humain, ni la vie des grands hommes, ni les plus simples éléments des découvertes qui sont la gloire de la civilisation, ni ce qu'il faut sérieusement penser du but de la vie

En ce moment on entendit le tambour d'un régiment sur la grande route; les habitants s'empressérent d'aller voir défiler les soldats. Le capitaine resta seul avec le maître menuisier du village, qui lui dit :

- Mon cher Georges, tu as parlé dans le désert. Quand tu seras loin de France, dans dix ans, dans vingt ans, ils se rappelleront seulement que tu disais qu'ils valaient moins que des sauvages. Ils s'entêteront sur ce mot-là, et ne voudront pas comprendre que c'était seulement une manière de les faire rougir un peu de leur ignorance et de leurs mauvaises habitudes.

Il faudra bien qu'eux ou leurs enfants arrivent à des sentiments meilleurs. Le monde marche sous le souffle de Dieu, et, comme un navire fin voilier sous un bon vent, il emportera en avant, bon gré mal gré, tout l'équipage.

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obligation est approuvée par l'opinion. L'ignorance appauvrit moralement et matériellement, et met en danger la société tout entière; quiconque prive ses enfants d'instruction est tout à la fois un mauvais père et un mauvais citoyen. A valeur égale sous le rapport de la bonté et de l'honnêteté, un homme ignorant est moins homme qu'un homme instruit. Tous les Danois savent lire et écrire, et ils se servent bien de ces deux précieux instruments de toute amélioration intellectuelle et morale: ils savent l'histoire de leur patrie, ce qui fait qu'ils en comprennent les traditions, les tendances, et qu'ils sont moins exposés à de brusques revirements de passions politiques. Ils savent la géographie, et, par suite, leur intelligence et leur imagination peuvent parcourir le monde entier, et leur cœur s'intéresser au sort de tous leurs semblables. Ils savent assez d'arithmétique pour être en état de mettre de l'ordre dans leurs recettes et dans leurs dépenses, pour vendre et acheter sans graves erreurs. Ils possèdent enfin assez d'éléments des sciences pour sentir s'accroître en eux l'admiration naturelle qu'inspire ce merveilleux univers et la reconnaissance qui est due à son Auteur.

Voici comment un homme de beaucoup de cœur et de talent, M. Dargaud, qui a récemment séjourné en Danemark, apprécie la civilisation de ce pays :

« La richesse n'est qu'une des branches de la civilisation du Danemark; elle n'est pas la civilisation entière; il s'en faut. La civilisation du Danemark, et en particulier de la Fionie, c'est aussi son instruction: une instruction générale qui luit même dans la demeure de chaume des paysans, et qui comprend des notions d'agriculture, de géographie, d'histoire, de calcul, de philosophie pratique. La civilisation de ce pays est plus que cela; c'est encore l'instinct de son honneur national, l'aspiration à la liberté, à la dignité, la bravoure sur terre et sur mer; enfin, une merveilleuse identification avec la Bible, ce livre de tous les foyers, cette seconde âme, cette âme traditionnelle qui, en faisant de Dieu le génie intime de chaque famille, rend un peuple entier religieux, touche en lui la fibre de la conscience et développe le sentiment moral sous tous les toits.

>> Telle est, si je ne me trompe, la civilisation du Danemark. Elle est très-grande; elle est supérieure à la civilisation de l'Espagne et de l'Italie superstitieuses; à la civilisation de la France, où l'ignorance dénature les plus beaux élans; à la civilisation de l'Angleterre, trop endurcie en haut par l'accumulation de l'argent, trop corrompue en bas par les vices de la misère. »

De telles vérités blessent beaucoup de gens. Dès qu'on se hasarde à insinuer que la France pourrait bien ne pas être très-supérieure, sous tous les rapports, à tous les autres peuples, la vanité nationale s'indigne et proteste. Il en est ainsi d'un enfant gâté. Osez dire à sa mère qu'il n'est pas le plus beau, le plus spirituel, le plus instruit, le meilleur de tous les enfants de la terre, et vous verrez de quelle manière elle vous regardera. L'enfant trouve que sa

A midi, on sert un gâteau d'œufs et une soupe au lait, mère a bien raison et que vous avez l'esprit faux. Cepenpuis on fait une sieste d'une heure.

Après la sieste, on sert le café.

dant, si vous aimez l'enfant et sa mère, c'est votre devoir de leur dire qu'avec de semblables aveuglements on ne se

A cinq heures du soir, comme le matin à dix heures, on prépare que déception et malheur.

se partage des beurrées au lard.

Enfin, à huit heures du soir, on couvre la table de soupe, de pommes de terre et de viande.

Voilà, dira-t-on, un peuple qui n'est pas à plaindre, mais qui doit bien s'alourdir l'esprit! Riez-en à votre aise; mais plût à Dieu qu'en France, dans nos campagnes, on eût à la fois autant de bien-être et de souci qu'en Danemark de bien nourrir son intelligence!

Il y a des écoles dans tous les villages danois; les fils et les filles des paysans sont obligés de les fréquenter. Cette

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ceindre sa tête. Cette couronne, enrichie de breloques et de feuilles également en vermeil, passe de génération en génération sur le front des fiancées, riches ou pauvres. Le reste du costume offre un ensemble singulier: cheveux bouclés, enrubanés, flottant sur le cou; parfois même, au lieu de cheveux, une perruque de lin en guise de chevelure d'or; colliers à plusieurs rangs de perles en verre, verroteries, gants brodés, robe antique de satin noir, fichu émaillé de bijoux.

La veille du mariage (ordinairement un samedi), on voit arriver en longue file les parents et les amis, à cheval, en voiture, à pied, et chargés de provisions, qui consistent ordinairement en beurre, en fromage, en jambons.

Quelquefois les conviés sont au nombre de trois cents; lorsque la maison nuptiale est pleine, les voisins se disputent l'honneur de donner l'hospitalité à ceux qui n'y peuvent pas trouver place. Le dimanche matin, quand la toilette de la fiancée est terminée, le futur se rend à cheval au presbytère, avec tout son cortége; là se règle la marche de la procession vers l'église en tête, les musiciens, précédés du bedeau tenant à la main une baguette ou un fouet, puis le marié en habits de fête, ayant à ses côtés le plus notable de ses parents, ou bien escorté du soldat du quartier (reduman); à la suite, les chevaliers de la noce, huit ou dix demoiselles d'honneur, ayant pour costume un jupon vert, une camisole noire, des colliers de

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La Toilette de la Fiancée, en Norvége, par Tidemand. - Dessin de Dargent. perles en verre à plusieurs rangées, les doigts chargés de bagues de vermeil à breloques, les cheveux en longue tresse roulée et laissant pendre sur le dos, à profusion, de longs rubans de soie aux mille couleurs, à bordure argentée ou dorée. Après les filles d'honneur, la fiancée, dans sa toilette étrange; près d'elle marche une femme mariée, l'une de ses proches parentes, comme auprès du fiancé quelque parent notable; puis, à la suite, la foule des invités. Le cortége s'arrête devant l'église, et le prêtre vient bénir les futurs époux. Après la célébration du service religieux, la procession se reforme dans le même ordre, et toute la noce se rend à la maison du festin. Sur le perron de cette maison, le cortége est reçu par deux femmes l'une est la mère de l'époux ou de l'épouse, l'autre est la cuisinière en chef. La première introduit les convives dans les salles du festin, la seconde s'empare de la mariée et va dans la cuisine lui faire déguster les plats.

Est-ce un avis indirect des devoirs du ménage? est-ce une sorte de libation d'honneur? est-ce un vieil usage consacré par quelque superstition? L'épouse revient s'asseoir à table, entre son époux et le curé; une place d'honneur est réservée au soldat du quartier. Vers la fin du repas, le curé prononce un discours de circonstance; puis la jeune épouse va faire le tour des tables, escortée du soldat du quartier et d'un musicien; elle présente à chacun des convives une timbale d'argent nommée skænkkosa et remplie de bière forte. Chaque convive la vide et la replace sur un plateau que porte le soldat; il annonce à celui-ci de quelle manière il prétend contribuer à l'établissement des jeunes époux, et le soldat proclame à haute voix les libéralités de chacun. Pendant ce temps, le musicien joue l'air « des présents. »

Au festin succède la danse; c'est le curé qui ouvre le bal avec la mariée par une sorte de valse à lente cadence.

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