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1875, June 4. Subscription Fund.

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PRÉFACE.

Cette édition des Fables de LA FONTAINE s'adresse particulièrement aux élèves des classes supérieures de l'enseignement secondaire.

Il est, nous le savons, dans les athénées et les colléges, un préjugé défavorable à notre poëte : à raison des traditions depuis longtemps suivies et de l'usage établi de mettre entre les mains des enfants les apologues de La Fontaine, bien des jeunes gens s'imaginent que ce recueil est au-dessous d'eux, et ils croiraient déroger s'ils délaissaient Corneille et Racine pour le Bonhomme. Grande est leur erreur. La Fontaine est l'un de ces rares écrivains qui ont le privilége de convenir et de plaire à tous les âges : «Les œuvres parfaites offrent, comme le dit M. de Sacy, « une matière infinie d'étude et de contemplation. L'âge change et les impressions changent avec lui. Que goûte d'abord un enfant dans une fable de La

I

Fontaine? L'histoire elle-même, si naïvement racontée, la sottise du Corbeau qui laisse échapper son fromage, l'innocence du pauvre Agneau que le Loup emporte et dévore. Quelques années plus tard, ce sont les grâces de la poésie qui frappent et enchantent. Plus tard encore, sous le poëte se révèle le penseur. Dans ces fables légères, comme dans un drame à cent actes divers, apparaît le tableau même du monde et de la vie. Reprenons donc de temps en temps ces bonnes lectures, ne fût-ce que pour nous contrôler nous-mêmes et réformer, s'il y a lieu, notre jugement. »

Oui, reprenons ces bonnes lectures, à un âge où nous sommes à même de goûter autre chose que la partie anecdotique de l'œuvre. Arrivé au terme des études humanitaires, l'élève nous paraît être dans les meilleures conditions pour recueillir le plus grand avantage de la lecture des classiques : c'est le moment où l'intelligence et la mémoire font leurs grands approvisionnements, où l'imagination est en pleine floraison, c'est l'âge aux sentiments généreux. Peut-il alors rien désirer de mieux, que de rencontrer un guide qui donne à ses différentes facultés une direction salutaire, et favorise leur développement harmonique? Si nous consacrions, à cet âge de la vie, quelques-unes des heures que nous livrons à la littérature facile, en aurions-nous du regret?

Ceci nous amène à déterminer le caractère des notes qui accompagnent les fables de La Fontaine.

Une première catégorie d'observations a pour but de provoquer un travail purement intellectuel, de cultiver, par l'étude d'un classique moderne, cette gymnastique de l'esprit qui trouve tant à s'exercer au contact des grands écrivains de la Grèce et de la Rome antiques. A ce point de vue, nous attirons l'attention du lecteur sur la vérité ou la vraisemblance des pensées, sur la justesse des déductions, quand l'occasion s'en présente; convaincu que l'élève dont le jugement s'épanouit ne doit pas jurare in verba magistri, nous le forçons à réagir sur sa lecture, à se l'assimiler, de manière à soumettre toutes les réflexions qui passent devant les yeux de son esprit au contrôle de ce droit sens que tout homme heureusement doué porte au fond de son âme.

Toujours au point de vue du développement de l'intelligence, nous avons attaché la plus grande importance aux rapprochements. Pour tout esprit curieux, c'est déjà une jouissance de chercher à découvrir les origines de telle idée, de telle image, de tel sujet. C'est de plus un bénéfice réel pour l'esprit qui, en comparant les manières diverses dont la même pensée a été traduite par les maîtres de l'art, saisit de mieux en mieux toutes les faces d'une chose qui, vue sous un certain angle, ne lui aurait donné qu'une lumière imparfaite. Ce travail de com

paraison entre La Fontaine et ses devanciers, nous l'avons, en nous resserrant dans de justes bornes (nous l'espérons du moins) étendu aux imitations avouées ou aux analogies fortuites qui nous ont frappé dans les successeurs de l'immortel fabuliste.

Enfin, notre commentaire renferme un certain nombre de notes que l'on peut considérer comme de pure érudition. Les unes sont de simples notes grammaticales; d'autres tendent à rendre compte de l'étymologie de certains mots surannés qui se rencontrent par-ci par-là dans La Fontaine. D'autres enfin cherchent à donner la clef de certains passages dont

faut demander le sens à l'antiquité ou au moyenâge, à des usages oubliés ou à des proverbes, en un mot, à des sources difficiles à classer.

Mais si nous nous en étions tenu là, notre travail eût été incomplet. Nous avons donc fait appel à cette faculté précieuse du goût, que tous nous possédons en germe, et qui trouve un précieux aliment dans le commerce des écrivains de génie. Cet appel, l'élève le remarquera dans ces notes mesurées où l'on signale à son attention les principales beautés de La Fontaine, et où l'on tâche de lui en découvrir le secret. Cet appel, il le reconnaîtra encore dans ces observations où on lui fait voir qu'à La Fontaine, comme à Homère, il arrive parfois de sommeiller. Ici nous ne craignons pas de voir se dresser devant nous l'ombre de celui qui voua au sommeil de nom

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