FABLE XIV. Le Lion et l'Ane chassant. Cff. ÉSOPE, f. 99 et 130; PHÈDRE, II, 1 (sive 2). Le roi des animaux se mit un jour en tête1 Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers 2, daims et cerfs bons et Pour réussir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l'âne à la voix de Stentor 3. L'àne à messer 4 lion fit office de cor. [beaux. ↑ Un jour en tête. Cette fantaisie de chasser devait être trop fréquente chez le lion pour qu'il y ait de la justesse à employer cette expression se mit en tête; ce mot semble indiquer une fantaisie nouvelle, ou du moins assez rare. Cette critique de Chamfort n'est, à notre avis, qu'une pure chicane. 2 Sangliers. Ce mot est ici de deux syllabes, selon l'usage le plus fréquent de ce temps. 3 Voix de Stentor, c'est-à-dire forte, éclatante. Stentor est le nom d'un guerrier qui était au siége de Troie, et dont la voix retentissante avait, suivant Homère, l'éclat de cinquante voix humaines. Voici le passage auquel La Fontaine fait allusion: Ενθα στᾶσ' ἤυτε θεὰ λευκώλενος Ηρη, (Il., V, 784 et s.) C'est, d'ailleurs, le seul passage d'Homère dans lequel il soit question de Stentor. 4 Messer, terme tombé en désuétude. Aujourd'hui l'on dit encore messire. Le lion le posta, le couvrit de ramée, L'air en retentissoit d'un bruit épouvantable : N'ai-je pas bien servi dans cette occasion? L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère, Leur troupe n'était pas, etc. Est-ce vraisemblable? 2 C'est bravement crié. Bravement a un double sens qui rend plus piquante l'ironie du lion. Dans le vieux langage, si bien connu de La Fontaine, il signifiait de belle manière. Le sens de courage est de date plus moderne. LIVRE TROISIÈME. FABLE PREMIÈRE. Le Meunier, son Fils et l'Ane. A. M. D. M'. Cff. FAERN., f. 100, vel lib. V, f. 20. POGGI Facetiæ, éd. de 1797, in-18, t. I, p. 101 et t. II, p. 98-117. L'invention des arts étant un droit d'aînesse 2, 1 Ces initiales signifient A Monsieur de Maucroix. François de Maucroix, chanoine de Reims, ami intime de La Fontaine, naquit le 7 janvier 1619 et mourut le 9 avril 1708. 2 Droit d'aînesse, c'est-à-dire, l'invention en est due à des peuples venus avant nous. 3 Nous devons l'apologue, etc. Assertion très-hasardée. L'origine de l'apologue est probablement plus ancienne. Nathan, reprochant à David l'horreur de son crime; Joathan, fils de Gédéon, annonçant aux habitants de Sichem ce qu'ils avaient à craindre de l'ambition d'Abimelech, ont eu tous deux recours à la forme de l'apologue. Que les derniers venus n'y trouvent à glaner '. La feinte est un pays plein de terres désertes 2 ; Tous les jours nos auteurs y font des découvertes. Je t'en veux dire un trait assez bien inventé : 4 Autrefois à Racan 3 Malherbe l'a conté. Ces deux rivaux d'Horace 5, héritiers de sa lyre, 7 1 Que les derniers venus, etc. Admirons ici l'aimable modestie de notre poëte. 2 La feinte est un pays, etc. « Quelques découvertes que l'on ait faites dans le pays de l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues. » (LA ROCHEFOUCAULD.) 3 Racan. Le marquis de Racan, auteur d'un poëme pastoral intitulé les Bergerics. « A son retour de Calais, où il fut porter les armes en sortant de page, il consulta Malherbe sur le genre de vie qu'il devait choisir. Malherbe, au lieu de lui répondre directement là-dessus, lui raconta cet ingénieux conte du Pogge, dont La Fontaine a fait une de ses plus jolies fables: le Meunier, etc. » (D'OLIVET, Hist. de l'Acad. franç., p. 127, éd. de Paris, 1730.) 4 Malherbe. François de Malherbe, réformateur de la langue et de la poésie françaises. Boileau en fait un pompeux éloge dans son Art poétique. (Ch. Ier, v. 131 et s.) Rivaux d'Horace. Horace, né l'an 8 av. J.-C., ami d'Auguste et de Mécène, a laissé des odes, des satires et des épîtres. & Apollon, dieu de la poésie. 7 Pensers, expression poétique, pour pensées. Vainement offusqué de ses pensers épais. 8 Ne doit fuir. Latinisme plein de vivacité: vous qui n'ignorez rien, à qui rien n'échappe. (BOILEAU.) nil te fugit, A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense. J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, 7 1 Où buter, de quel côté je dois tendre, pour quelle carrière je dois opter. Expression tombée en désuétude. 2 Malherbe là-dessus, ellipse. On vous le suspendit, gallicisme. 4 Couple... rustre, employé ici adjectivement: rustique. Il est aussi substantif: c'est un vrai rustre, c'est un rustre. 5 S'éclata. Aujourd'hui l'on dirait éclata. La Fontaine a pour lui l'autorité de ses devanciers : Quelque gausseur, de rire s'éclatant. 6 Le plus âne, etc. Vers devenu proverbe. 7 Connoît, reconnaît s'aperçoit de. (PASSERAT.) |