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Un vrai mouton de sacrifice :

On l'avoit réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard corbeau disoit, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paroît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant 1 à ces mots il s'abat.
La moutonnière 2 créature

Pesoit plus qu'un fromage; outre que sa toison
Étoit d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème *.

5

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,

Que le pauvre animal ne put faire retraite

Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau“, Le donne à ses enfants pour servir d'amusette 7.

1 Sur l'animal bélant, etc. Harmonie imitative.

2 Moutonnière, adjectif de la création de notre poëte. 3 Pesait plus qu'un fromage, allusion piquante à la fable dù Corbeau et le Renard (1, 2).

4 Polyphème, le plus célèbre des Cyclopes, géants monstrueux, qui, suivant la légende, n'avaient qu'un œil au milieu du front.

5 Empêtra, embarrassa (impedire).

6 Bien et beau, bel et bien, bel et beau, locutions adverbiales et familières qui signifient tout à fait, entièrement.

7 Le donne à ses enfants, etc.

Ai fanciulletti suoi per giuoco diede.

(VERDIZOTTI, l'Aquila e'l Corvo.)

Lors un pasteur, qui veid cette folie,
Accourt bien tost, puis le prend et le lie,
Les esles couppe, et, sans aultre desbat,
A ses enfants le baille pour esbat.

(CORROZET, f. 69.)

Il faut se mesurer

1 ; la conséquence est nette :

2

Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.

L'exemple est un dangereux leurre *.

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seiOù la guêpe a passé, le moucheron demeure*.[gneurs;

4 Se mesurer:

Versate diù quid ferre recusent

Quid valeant humeri.

(HOR., De Art. poet., v. 39, 40.)

2 Volereaux, petits voleurs, style familier. Diminutif dont La Fontaine paraît avoir enrichi la langue.

3 Leurre (lorum), dans le sens propre, morceau de cuir façonné en forme d'oiseau, dont les fauconniers se servent pour rappeler les oiseaux de fauconnerie lorsqu'ils ne reviennent pas au réclame.

▲ Où la guêpe a passé, etc. Verbe devenu proverbe.— Rappelle la pensée d'Anacharsis, suivant les uns, de Solon, suivant les autres, qui comparait les lois aux toiles d'araignées, où se prennent les petites mouches, tandis que les grosses passent à travers. RABELAIS l'a reproduite aussi: «< Or çà, nos loix sont comme toiles d'araignées; or çà, les simples moucherons et petits papillons y sont prins; or çà, les gros taons mal faisans les rompent, or çà, et passent à travers. » (Liv. V, ch. XII.)

FABLE XIII.

Le Paon se plaignant à Junon,

Cff. PHÈDRE, III, f. 18.

Le paon se plaignoit à Junon '.
Déesse, disoit-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure :
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature ;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps *.
Junon répondit en colère :

Oiseau jaloux, et qui devois3 te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,

4 Junon, épouse de Jupiter, la reine des dieux. Est ordinairement représentée sur un char traîné par deux paons. Le paon est l'oiseau de Junon, comme la colombe est l'oiseau de Vénus.

2 L'honneur du printemps...

Avril, l'honneur et des bois

Et des mois.

:

VAR. devrois.

(REMY BELLEAU.)

Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col1
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades 3, qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés 3.

1 Toi que l'on voit porter, etc. Description pittoresque : elle rappelle les vers suivants de PHÈDRE :

Nitor smaragdi collo præfulget tuo,

Pictisque plumis gemmeam caudam explicas.

2 Nué, nuancé.

3 Panades. Se panader a été fait du nom français du paon lui-même, comme se pavaner, qui est l'emploi ordinaire, a été fait du nom latin. (CH. NODIER.) M. Géruzez dit à ce sujet : «On a tort de donner comme synonymes se panader et se pavaner le paon se panade lorsqu'il étale sa queue, il se pavane lorsqu'il marche orgueilleusement. Ainsi, au figuré, on devra dire d'un homme qu'il se panade lorsqu'il est chargé de pierreries et de riches étoffes, et qu'il se pavane quand sa démarche est orgueilleuse. Il y a des gens qui se pavanent et se panadent tout ensemble.»>

4 Boutique. Manque de noblesse. Bottega, d'où nous avons fait boutique, vient du mot botta, qui signifie le plein-ceintre que formait sur la rue, dans les villes marchandes et toutes romanes de l'Italie, la salle basse destinée au travail. Lorsque Philippe Strozzi fit bâtir son palais somptueux, l'un des plus beaux monuments de Florence, il avait résolu de faire au rez-de-chaussée molte BOTTEGHE per entrata de suoi figliuoli, autant d'ouvertures de plein-ceintre qu'il voulait donner d'entrées particulières à ses fils.

5 Tout animal n'a pas, etc.

ἀλλ ̓ οὔ πως ἅμα πάντα δυνήσεαι αὐτὸς ἑλέσθαι.
ἄλλῳ μὲν γὰρ ἔδωκε θεὸς πολεμήια ἔργα,

Nous vous avons donné1 diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,
Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir 2 ;
Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, Je t'ôterai ton beau plumage.

ἄλλῳ δ ̓ ὀρχηστύν, ἑτέρῳ κίθαριν καὶ ἀοιδήν·
ἄλλῳ δ ̓ ἐν στήθεσσι τίθεῖ νόον ευρύοπα Ζεύς

ἐσθλόν, κ. τ. λ.

(HOм., I., XIII, v. 729 et s.)

« Onc ne furent à tous toutes grâces données. » (MONTAIGNE.) 1 Nous vous avons donné.- Rappelle le vers de VIRGILE:

Ast EGO, quæ divam incedo regina, Jorisque

Et soror et conjux...

(EN. I, v. 50-51.)

2 La corneille avertit, etc. La corneille fait ici double emploi, car elle sert aussi pour le présage et elle est de la même espèce que le corbeau :

Sæpe sinistra cava prædixit ab ilice cornix.

(VIRG., Eclog., I, v. 18.)

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