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Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème 1 !
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N'auroit pas cependant un tel tour inventé ;
Non point par peu d'esprit : est-il quelqu'un qui nie
Que tout Anglois n'en ait bonne provision?
Mais le peu d'amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.

Je reviens à vous, non pour dire
D'autres traits sur votre sujet ;
Tout long éloge est un projet

même sens : y laisser ses os, sa peau, SES BOTTES (populaire). Les houseaux étaient des espèces de bottines ou de brodequins qui se fermaient avec des boucles et des courroies. Il paraît que c'était une chaussure particulière aux Parisiens dans le XIIe siècle; car JEHAN DE MEUNG, décrivant de quelle manière Pygmalion habilla sa statue, dit :

N'est pas de hosiaux estrenée,
Car el n'est pas de Paris née.

(Roman de la Rose, v. 2151. Éd. 1814.) <<< Le Chicquanou sonnant à la porte, feut par le portier recongneu à ses gros et gras houseaulx. » (RABELAIS, Pantagruel, liv. IV, ch. XII.)-Ce mot figure encore au Dictionnaire de l'Académie, qui toutefois le déclare suranné.

1 Il faut changer de stratagème, Le poëte dit ailleurs, dans la fable le Chat et le Renard (IX, 13, p. 440):

N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.

Il est assez difficile de concilier ces deux préceptes.

2 N'auroit pas... un tel tour inventé. Ceci ne s'accorde guère avec cette pénétration dont le poëte fait honneur aux insulaires. Il l'a senti sans doute, car il se hâte d'ajouter : Non point par peu d'esprit.

3 Que tout Anglois, etc. A la lecture de ce vers la bile de Chamfort s'allume: « Quoi! dit-il, tous les Anglais ont de l'esprit ! il n'y a point de sots chez eux! A quoi La Fontaine songeait-il en écrivant cela? »

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Peu de nos chants, peu de nos vers,
Par un encens flatteur amusent l'univers,
Et se font écouter des nations étranges 2.
Votre prince vous dit un jour

Qu'il aimoit mieux un trait d'amour
Que quatre pages de louanges.

Agréez seulement le don que je vous fais
Des derniers efforts de ma muse.

C'est

peu de chose; elle est confuse

De ces ouvrages imparfaits.

1 VARIANTE. Dans l'édition des fables de 1694, on lit :

Je reviens à vous, non pour dire
D'autres traits sur votre sujet

Trop abondant pour ma lyre
Peu de nos chants, etc.

De cette manière il y a un vers sans rime.

2 Des nations étranges. Pour dire les nations étrangères. J'ai circuy (parcouru) maint contrée estrange.

(CL. MAROT, Temple de Cupido.)

Corneille a aussi employé cette expression; mais elle était déjà vieille du temps de La Fontaine.

3 Votre prince. Charles II. Ce prince était mort en 1685, et au moment où La Fontaine écrivait, son frère Jacques II, chassé du trône, vivait à Saint-Germain.

FABLE XXI.

Le Soleil et les Grenouilles.

Cff. Le P. COMMIRE, t. I, p. 248, et t. II, p. 134: Sol et Ranæ. (V. suprà, VI, 12, p. 253.) (a).

Les filles du limon tiroient du roi des astres
Assistance et protection:

Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres,
Ne pouvoient approcher de cette nation;
Elle faisoit valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, grenouilles, veux-je dire,
(Car que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?)

Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.

L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,

Firent bientôt crier cette troupe importune:
On ne pouvoit dormir en paix.
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auroient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits

(a) Cette fable (de Commire) fut d'abord imprimée sur une feuille volante, avec ce titre Appendix ad fabulas Phædri, ex Bibl. Leidensi, etc. Juxta exemplar editum Amstelodami typis Buningenis, ad insigne Josue. Parisiis, 1672, in-8°. La fable de La Fontaine est traduite du latin du P. Commire.

Contre l'œil de la nature 1.

Le soleil, à leur dire, alloit tout consumer;
Il fallait promptement s'armer,
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu'il faisoit un pas,
Ambassades coassantes
Alloient dans tous les États :
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde
Rouloit sur les intérêts
De quatre méchants marets 2.
Cette plainte téméraire
Dure toujours ; et pourtant
Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le soleil se pique 3,
Il le leur fera sentir :

La république aquatique

Pourroit bien s'en repentir.

L'œil de la nature. (V. suprà, un Animal dans la Lune, VII, 14, p. 319, v. 5 et n. 3.)

2 Dans les trois éditions du recueil du P. Bouhours, celle de Paris, 1693, p. 14, celle de Hollande, même année, p. 18, celle de Paris, 1701, p. 13, on trouve marets; et il est évident que ce mot a été écrit ainsi par l'auteur pour rimer avec intérêts; car cette ortographe n'était plus en usage de son temps. Dans le dictionnaire de Furetière, 1690, on trouve marest et marais, mais nulle part marets.

3 Se pique.

Se piquer, se sentir offensé.

On a dit que cette fable était une allusion aux différends des Hollandais avec Louis XIV. Sans donner aux Hollandais, représentés par les grenouilles, les torts que

FABLE XXII.

La ligue des Rats (a).

Une souris craignoit un chat

Qui dès longtemps la guettoit au passage.

-

leur attribue La Fontaine, nous pensons que cette allusion pouvait être dans la pensée du poëte. Le soleil est, en effet, l'emblème de Louis XIV, et la république aquatique s'applique très-bien à la Hollande. Un mot sur l'emblème du grand roi. A la naissance de Louis XIV on ne vit en France, et dans toutes les cours où résidaient les ambassadeurs français, que ballets et réjouissances. Partout, d'un commun accord, on avait choisi pour emblème de ce prince l'image du soleil. La rencontre de sa naissance avec le jour que les anciens consacraient à ce dieu, et qu'on a depuis nommé dimanche, donna l'idée d'une médaille qui représentait un enfant dans le char du soleil, et dont la légende était : ORTUS SOLIS GALLICI (naissance du soleil français); autour étaient les signes du zodiaque dans la position où ils se trouvaient le 5 septembre 1638. En 1662, un antiquaire nommé d'Ouvrier imagina la célèbre devise de Louis XIV, dont le corps est le soleil dardant ses rayons sur le globe du monde, et l'âme : nec pluribus impar. Cette devise continuait les cent autres devises faites pour Louis XIV, et où se retrouve presque toujours le soleil.

(a) Cette fable ne figure pas dans l'édition de Coste, et son authenticité est contestée par plusieurs commentateurs de notre poëte, notamment par Ch. Nodier et Louandre.

Voici à cet égard le jugement de CH. NODIER: « Quant à la Ligue des Rats, qui est, par bonheur, une des pièces apocryphes de la première édition posthume, il n'y a que le plus

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