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FABLE XII.

L'Amour et la Folie.

Cff. COMMIRE, f. 6, Dementia Amoren ducens. - LOUISE LABBÉ, OEuvres, éd. de 1762, p. 1 à 102: Débat de l'Amour et de la Folie.

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble:
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.
Une dispute vint: L'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux ;
L'autre n'eut pas la patience;

Elle lui donne un coup si furieux,

Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis 1,

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

Me semble chose assez commune:

On peut, sans grand effort d'esprit,
En appliquer l'exemple aux hommes.

Que de mouches voit-on dans le siècle où nous sommes !
Cette fable est d'Ésope, Aristote le dit.

1 Némésis. Déesse de la vengeance, qui avait pour mission de châtier les méchants.

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande :
Le dommage devoit être aussi réparé.

Quand on eut bien considéré 1

L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

FABLE XIII.

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Cff. Livre des lumières, ou la conduite des roys, composé par le sage PILPAY, indien, 1614, in-8o, p. 193-199, et ensuite p. 226 à 232; Contes et Fables indiennes, seconde partie,

chap. II, t. II, p. 262-270, et p. 306 à 314.

Je vous gardois un temple dans mes vers :
Il n'eût fini qu'avecque l'univers.

Déjà ma main en fondoit la durée

1 Quand on eut bien considéré, etc. Dans le récit de Louise Labbé, la Folie n'est pas condamnée sans avoir été entendue et défendue: Mercure se charge de sa cause, tandis qu'Apollon plaide celle de l'Amour.

Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé1,
Et sur le nom de la divinité

Que dans ce temple on auroit adorée.

2

Sur le portail j'aurois ces mots écrits 5:
PALAIS SACRÉ DE LA DÉESSE IRIS * ;
Non celle-là qu'a Junon à ses gages 5;
Car Junon même et le maître des dieux
Serviroient l'autre, et seroient glorieux
Du seul honneur de porter ses messages.
L'apothéose à la voûte eût paru :
Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu
Plaçant Iris sous un dais de lumière. ~
Les murs auroient amplement contenu
Toute sa vie ; agréable matière,
Mais peu féconde en ces événements
Qui des États font les renversements.

Au fond du temple eût été son image,

▲ Ce bel art qu'ont les dieux inventé. Apollon était honoré par les Grecs comme le dieu de la poésie. (Cff. suprà, le Meunier, son Fils et l'Ane, III, 1, p. 97, v. 7.)

2 Sur le portail. Ce vers et les cinq suivants ne disent pas grand'chose. Junon et le maître des dieux, qui seraient fiers de porter les messages de la déesse Iris; cela n'ajoute pas beaucoup à l'idée qu'on avait de Mme de La Sablière. Il faut, dans la louange, le ton de la vérité ; c'est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu'il honore et celui qui la reçoit et celui qui la donne.

3 J'aurois ces mots écrits. Inversion vicieuse.

4 Iris. Nom allégorique que le poëte donne à Mme de La Sablière. (V. suprà, les deux Rats, le Renard et l'OEuf, X, 1, p. 450, v. 1. V. aussi Phebus et Borée, VI, 3, p. 235, n. 1.)

A ses gages. Idée commune.

6 L'apothéose. Réception parmi les dieux. (V. suprà, les Obsèques de la Lionne, VIII, 12, p. 364, n. 2.)

Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas1,
Ses agréments, à qui tout rend hommage.
J'aurois fait voir à ses pieds des mortels
Et des héros, des demi-dieux encore,
Même des dieux 2: ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer ses autels 3.
J'eusse en ses yeux fait briller de son âme
Tous les trésors, quoique imparfaitement :
Car ce cœur vif et tendre infiniment
Pour ses amis, et non point autrement;
Car cet esprit, qui, né du firmament *,
A beauté d'homme avec grâce de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer.
O vous, Iris, qui savez tout charmer,
Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l'on aime à l'égal de soi-même
(Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour,

1 Son art de plaire et de n'y penser pas. Voilà un de ces vers qui font pardonner mille négligences. (CHAMFORT.)

2 Même des dieux. Entr'autres Jean Sobieski, qui depuis fut roi de Pologne.

3 Parfumer ses autels. Mlle de Montpensier dit, dans ses Mémoires, avec un dépit non déguisé, « que le marquis de La Fare et nombre d'autres passaient leur vie chez une petite bourgeoise savante et précieuse, qu'on appelait Mme de La Sablière. >>

4 Né du firmament. Les commentateurs relèvent ces quatre rimes masculines comme une négligence. Geruzez fait remarquer, à ce sujet, que le 2e et le 3o de ces vers (car ce cœur, etc.), doivent probablement être supprimés. La Fontaine les aura laissés par distraction après les avoir remplacés par le suivant.

Car c'est un mot banni de votre cour,
Laissons-le donc), agréez que ma muse
Achève un jour cette ébauche confuse.
J'en ai placé l'idée et le projet,

Pour plus de grâce, au devant d'un sujet
Où l'amitié donne de telles marques,
Et d'un tel prix, que leur simple récit
Peut quelque temps amuser votre esprit.
Non que ceci se passe entre monarques :
Ce que chez vous nous voyons estimer
N'est pas un roi qui ne sait point aimer :
C'est un mortel qui sait mettre sa vie
Pour son ami. J'en vois peu de si bons.
Quatre animaux, vivant de compagnie,
Vont aux humains en donner des leçons.

La gazelle, le rat, le corbeau, la tortue,
Vivoient ensemble unis: douce société !

Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Assuroit leur félicité.

Mais quoi ! l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,

Au fond des eaux, au haut des airs,
Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.
La gazelle s'alloit ébattre innocemment,
Quand un chien, maudit instrument
Du plaisir barbare des hommes,

Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit. Et le rat, à l'heure du repas,

Dit aux amis restants: D'où vient que nous ne sommes
Aujourd'hui que trois conviés?

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