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Ayant dans les airs leurs familles. Comme l'on conte en deux façons L'accident du chasseur, voici l'autre manière.

Un certain fauconnier ayant pris, ce dit-on,
A la chasse un milan (ce qui n'arrive guère),
En voulut au roi faire un don,

Comme de chose singulière :

1

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans ;
C'est le non plus ultrà de la fauconnerie.
Ce chasseur perce donc un gros de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie,

Par ce parangon 2 des présents,

ployer ce mot au lieu de celui de volatile. Ce dernier mot sert à désigner tout animal qui vole, ou les oiseaux en général. Du temps de notre poëte, ces deux mots avaient la même signification qu'ils ont aujourd'hui. Par une singulière bizar rerie de la langue, volatile est un substantif masculin, et volatille, un substantif féminin.

1 Ce cas n'arrive pas. Pléonasme. Il vient de dire cela n'arrive guère.

2 Parangon. Modèle parfait (vieux). Ce mot est d'origine espagnole; il est formé de la locution prépositive para con exprimant comparaison par exemple, la criatura PARA CON el criador, la créature en comparaison du créateur. On disait autrefois plus communément paragon. On trouve ce mot dans Nicot, qui le définit ainsi : « C'est une chose si excellemment parfaite, qu'elle est comme une idée, un sep, un estelon à toutes les autres de son espèce, et lesquelles on rapporte et compare à luy pour savoir à quel degré de perfection elles atteignent. Ainsi dit-on paragon de chevalerie, de prudhomie, de sçavoir. » Thrésor de la langue françoyse, 1606, in-folio, p. 469.)

Il croyoit sa fortune faite1:
Quand l'animal porte-sonnette,
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,

Prend le nez du chasseur, happe le pauvre

Lui de crier; chacun de rire,

sire.

Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi, Je n'en eusse quitté ma part pour un empire.

Qu'un pape rie, en bonne foi,

Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi
Bien malheureux, s'il n'osoit rire:

C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir sourci *,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi 3.

Il croyoit sa fortune faite, etc. Dans l'édition de 1708 et dans celle de 1729, on lit au lieu de ces vers :

Il croyoit sa fortune faite,

Lorsque sur ce chasseur l'animal se rejette;

Et de ses ongles tout d'acier,

Sauvage encore et tout grossier,
Happe le nez du pauvre sire:

Lui de crier, l'autre de rire.

2 Sourci. Au lieu de sourcil, pour la rime et par licence poétique. Les éditions modernes ont à tort mis souci.

3 Jupiter et le peuple immortel rit aussi. Au lieu de ce vers et des suivants, on lit dans l'édition de 1708:

C'est le plaisir des dieux. Jupiter rit aussi.

Bien qu'Homère en ses vers lui donne un noir sourci,
Ce poëte assure en son histoire

Qu'un rire inextinguible en Olympe éclata.

Petit ni grand n'y résista,

Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel fût assez grave ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison.

Il en fit des éclats 1, à ce que dit l'histoire 2,

Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel se montrât sage, ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison;
Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du chasseur l'aventure fatale
Enseigné de nouveau ? L'on a vu de tout temps
Plus de sots fauconniers que de rois indulgents.

4

1 Des éclats. Des éclats de rire. Ellipse.

2 A ce que dit l'histoire. Allusion à la scène comique rapportée par HoMÈRE :

ασβεστος δ ̓ ἄρ ̓ ἐνῶ ρτο γέλως μακάρεσσι θεοῖσιν,

'ως ίδον Ηφαιστον διὰ δώματα ποιπνύοντα.

(IL. A, v. 599-600.)

<< Pour le rire, c'est le partage des dieux. Homère dit que quand les immortels virent Vulcain qui boîtoit dans leur maison, il leur prit un rire inextinguible. (Psyché.) »

Plus de sots fauconniers, etc. Ce n'est point là tout à fait une moralité : la véritable serait celle que le lecteur tirerait lui-même du rapprochement de la circonstance principale de chacune de ces fables. Dans la première, le nez royal, pris par le milan comme un nez du commun:

Dire des courtisans les clameurs et la peine,

Seroit se consumer en efforts superflus.

Dans la seconde, où c'est le nez bourgeois du fauconnier,

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FABLE XI.

Le Renard, les Mouches, et le Hérisson.

ARISTOTE, Rhét., liv. II, ch. xx, rapporte cette fable qu'il attribue à Ésope. — Le duc de Bourgogne (manuscrit de la Bibliothèque nationale, n. 8511, fol. 119*).

Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil, et matois,

Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé 1.
Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,

Et le fit aux mouches manger.

Quoi se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le Ciel te confonde, animal importun !

Que ne vis-tu sur le commun !

1 Que nous avons mouche appelé. (V. suprà, l'Ours et l'Amateur des jardins, VIII, 9, p. 355, v. 6 et 7.)

*

Vulpes novitia et imperitia cecidit in laqueum propter alveos apium : hæ apes pupugerunt eam adeò acriter, ut esset cruentata a vertice usque ad pedes dolebat famam gentis vulpinæ læsam, et pudebat eam tam stolide sc captam fuisse. Tùm forte vidit vulpem aliam pratereuntem: Amica, inquit, expelle apes. Veterator respondit: Alice apes avidiores statim te sugerent.

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines.
Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines.
Garde-t'en bien, dit l'autre ; ami, ne le fais pas :
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.

Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle
Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas :
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.
Plus telles gens sont pleins, moins ils sont impor-

[tuns 1.

1 La Fontaine avait d'abord composé cette fable autrement on a retrouvé le brouillon de cette première manière entièrement écrit de sa main. Voici cette première version, telle que M. Walckenaër l'a publiée dans l'Histoire de la vie et des ouvrages de Jean de La Fontaine, in-8°, p. 498, première édition.

Le Renard et les Mouches.

Un renard tombé dans la fange,

Et des mouches presque mangé,
Trouvoit Jupiter fort étrange

De souffrir qu'à ce point le sort l'eut outragé.
Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importun essaim.
Le renard aima mieux les garder, et fut sage.
Vois-tu pas, dit-il, que la faim

Va rendre une autre troupe encor plus importune?
Celle-ci déjà soûle, aura moins d'âpreté.

Trouver à cette fable une moralité

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