FABLE X. Le Milan, le Roi, et le Chasseur (a). A S. A. S. MONSEIGNEUR Le prince de CONTI 1. Comme les dieux sont bons, ils veulent que les rois Qui fait le plus beau de leurs droits, Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes ▲ Prince de Conti. François-Louis, prince de La Rochesur-Yon et de Conti, né à Paris en 1664, et mort le 22 février 1709, l'un des amis et des protecteurs de notre poëte. 2 C'est l'indulgence, etc. Ailleurs, en parlant de la clémence : que les rois sont semblables aux dieux. C'est par là (Aux Nymphes de Vaux.) 3 L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas. Cette pensée est de MONTAIGNE: « Les grands, dit-il, me donnent (a) La Fontaine cite lui-même Bidpaï comme l'auteur qui lui a fourni son sujet. ROBERT (ouvrage précité, t. II, p. 350), dit à ce sujet : « Je n'ai rien trouvé de semblable dans les diverses traductions ou imitations du philosopbe indien, »> Loin que vous suiviez ces exemples, Mille actes généreux vous promettent des temples. Apollon, citoyen de ces augustes lieux, Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre. Je sais qu'on vous attend dans le palais des dieux : Par ce temps à peine bornées! Et la princesse et vous n'en méritez pas moins. Pour témoins j'en prends les merveilles Par qui le Ciel, pour vous prodigue en ses présents, De qualités qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles Voulut orner vos jeunes ans. Bourbon de son esprit ses grâces assaisonne 2: Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie ; prou s'ils ne m'ôtent rien, et me font assez de bien quand ils ne me font pas de mal. » Nous la retrouvons dans BEAUMARCHAIS qui fait dire à Figaro : « Je me crus trop heureux d'en être oublié (du ministre), persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. » (Barbier de Séville, I, 2.) 1 Chez vous. Ces vers et ceux qui suivent prouvent que cette fable fut composée lors du mariage du prince de Conti avec Marie-Thérèse de Bourbon, célébré le 29 juin 1688. 2 Ses grâces assaisonne. Inversion vicieuse. Ce que fit un oiseau de proie1. Un milan, de son nid antique possesseur, Étant pris vif par un chasseur, D'en faire au prince un don cet homme se propose. Va tout droit imprimer sa griffe Sur le nez de sa majesté. [sonne. Quoi! sur le nez du roi ? Du roi même en per Il n'avoit donc alors ni sceptre ni couronne ? 1 Ce que fit un oiseau de proie. Cela me rappelle, dit Chamfort, une transition aussi brusque, mais plus plaisante, de Scarron, je crois. La voici : « Des aventures de ce jeune prince à l'histoire de ma vieille gouvernante, il n'y a pas loin, car nous y voilà. >> Après ce vers dans l'édition de Londres, de 1708, et dans quelques autres, on lit les vers suivants, que l'auteur a retranchés : Je change un peu la chose. Un peu? j'y change tout: Car c'est une étrange femelle : Rien ne nous sert d'entrer en raison avec elle. Elle va m'alléguer que tout fait est sacré : Je n'en disconviens pas, et me sais pourtant gré D'altérer celui-ci. C'est à cette licence Que je dois l'acte de clémence Par qui je donne aux rois des leçons de bonté ; Le monde est un marchand mêlé; Ne sont estimés tels que par comparaison. Je ne lui donne pas un éloge affecté ; Revenons à l'oiseau, le fait est mémorable. Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un Le nez royal fut pris comme un nez du commun. L'oiseau garda son poste: on ne put seulement Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente, Le maudit animal à la serre insolente Nicheroit là malgré le bruit, Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis : Bien peu, même des rois, prendroient un tel modèle ; 1 C'auroit été tout un. est égal. - C'est tout un : il n'importe, cela 2 En efforts impuissants. Rappelle la définition que La Fontaine nous a donnée ailleurs de la cour. (V. suprà, les Obsèques de la Lionne, VIII, 13, p. 361, n. 5.) 3 Le leurre. (V. suprà, le Corbeau voulant imiter l'Aigle, II, 12, p. 90, n. 3.) Le poing. Pour qu'il vienne se placer dessus. C'est ce qui s'appelle réclamer en terme de fauconnerie. Et le veneur l'échappa belle; Coupables seulement, tant lui que l'animal, Que les hôtes des bois ; étoit-ce un si grand mal? Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure 1. Ne touche aux animaux pour leur sang épancher : Peut-être y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros Ce qu'il fut autrefois, il pourra l'être encore. Qu'avec les animaux de forme nous changeons; Tantôt humains, puis volatilles 1 Pilpay fait, etc. Au lieu de ce vers, on trouve ceux qui suivent dans les éditions précédemment citées : Si Je craignois quelque censure, Je citerois Pilpay touchant cette aventure, De la tirer d'un lieu par le Gange traversé. 2 Au siége de Troie. M. Geruzez remarque, avec raison, à propos de ce passage sur la transmigration des âmes, que les Indiens ne songeaient guère au siége de Troie, et que ce n'est point Pythagore qui a donné le dogme de la métempsycose aux Orientaux, mais ceux-ci qui l'ont donné à Pythagore. 3 Volatilles. Volatille se dit seulement des oiseaux bons à manger. La nécessité de la rime a forcé La Foutaine d'em |