FABLE V. Le Loup et le Renard. Cff. Roman du Renart et Renart le contrefait. Apologi Phædrii, pars I, fab. XVIII. Mais d'où vient qu'au renard Ésope accorde un point, Quand le loup a besoin de défendre sa vie, Matoiserie, tromperie, fourberie. Cette expression appartient au style familier. La Fontaine, qui semble ici mettre en doute la matoiserie du renard, lui avait jusque-là donné ce caractère, et en ce point il était d'accord non-seulement avec Ésope, mais encore avec les écrivains et les artistes du moyen âge. Le renard, symbole de l'astuce et de la ruse, est, en effet, le principal personnage de l'un de nos vieux romans les plus célèbres; et c'est encore comme type de l'astuce et de la ruse que son image est reproduite sur les édifices religieux. Cette observation de M. Louandre ne nous semble pas tout à fait exacte le renard de La Fontaine est un caractère fort complexe dans plusieurs circonstances, sa matoiserie est mise en défaut. Ainsi dans son procès avec le Loup (le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe, II, 2, p. 64 et s.), il est condamné sur sa mauvaise réputation, ainsi que son adversaire ; ailleurs (le Coq et le Renard, II, 11, p. 86 et s.), il est dupé par un vieux coq malin; ailleurs encore (le Renard et les Raisins, III, 10, p. 122 et 123), il paraît plutôt ridicule que spirituel lorsqu'il déclare les raisins trop verts. Ou d'attaquer celle d'autrui, N'en sait-il pas autant que lui? Je crois qu'il en sait plus; et j'oserois peut-être La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image 2 Deux seaux alternativement Notre renard, pressé par une faim canine, Voilà l'animal descendu, Tiré d'erreur, mais fort en peine, Car comment remonter, si quelque autre affamé, Et succédant à sa misère, Par le même chemin ne le tiroit d'affaire? [puits. Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vînt au Le temps qui toujours marche, avoit pendant deux Echancré, selon l'ordinaire, [nuits De l'astre au front d'argent la face circulaire 3. 1 Contredire mon maître. Ce petit prologue est assez peu piquant. Pourquoi commencer par contredire Ésope sur un point où l'on finit par convenir qu'il a raison? Il était mieux d'entrer tout de suite en matière, et de dire: Le renard, un soir aperçut, etc. (CHAMFORT.) 2 L'orbiculaire image. La forme ronde de la lune dans l'eau. 5 La face circulaire. Périphrase pour dire que la lune commençait à décroître. Sire renard étoit désespéré. Passe par là. L'autre dit : Camarade, Jupiter, s'il étoit malade, 1 Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets. Le reste vous sera suffisante pâture. Il descend; et son poids emportant l'autre part, Ne nous 3 en moquons point: nous nous laissons Sur aussi peu de fondement; Et chacun croit fort aisément 4 Ce qu'il craint et ce qu'il désire. [séduire 1 Faune. Fils de Picus, roi des Latins, et petit-fils de Saturne, mis au nombre des divinités champêtres, pour avoir donné aux hommes des connaissances sur l'agriculture. 2 Io, fille d'Inachus et d'Ismène, métamorphosée en vache par Jupiter. 3 Reguinde. Terme de fauconnerie. Reguinder se dit de l'oiseau qui fait une nouvelle pointe au-dessus des nues, c'est-à-dire qui s'élève en haut par un nouvel effort. » (LANGLOIS, Dictionnaire des chasses, 1739, in-12, p. 165.) 4 Chacun croit fort aisément, etc. Rappelle ce vers d'OVIDE: Prona venit cupidis in sua vota fides. MONTAIGNE a dit aussi : « Le monde va se pipant aisément de ce qu'il désire. » Et, depuis, AUBERT : Un œur troublé croit tout ce qu'il redoute. FABLE VI. Le Paysan du Danube. Cff. GUEVARRA, Marco Aurelio con el relox de principi (Valladolid, 1529, in-folio), traduit du castillan en français, par René Bertaut sieur de la Grise (Paris, 1531, in-4o), sous le titre de l'Horloge des princes. CASSANDRE, Parallèles historiques, 1680, in-12, p. 433-470, le Paysan du Danube. Recueil mémorable d'aucuns cas merveilleux, par JEAN Histoires DE MARCOUVILLE; Paris, Dallier, 1564, in-8°. prodigieuses, extraites de plusieurs auteurs, par P. BOAISTUAU; Paris, Macé, 1576, in-8°) (a). Il ne faut point juger des gens sur l'apparence. Il ne faut point juger des gens sur l'apparence. Il paraît singulier, dit Chamfort, que La Fontaine réduise à un résultat si médiocre le récit du fait intéressant qui constitue le fond de cet apologue. Le poëte nous donne effectivement plus qu'il ne nous promet. Est-ce une faute? 2 L'erreur du souriceau. (V. suprà, le Cochet, le Chat et le Souriceau, VI, 5, p. 239 et s.) (a) L'indication de ces deux derniers ouvrages a été faite, pour la première fois, par CH. NODIER: Mélanges tirés d'une petite bibliothèque; Paris, 1829, ch. xvIII. SOURCES PEU CONNUES D'UNE DES PLUS BELLES FABLES DE LA FONTAINE, p. 161. Marc-Aurèle, cité à tort par La Fontaine, n'ayant point dit un seul mot qui ait trait au Paysan du Danube, tous les commentateurs se sont mis en quête pour savoir où notre auteur avait pu prendre le sujet de sa fable. On découivrit d'abord ce sujet dans Cassandre et dans Guevarra; mais Ch. Nodier, en ndiquant comme source directe les Histoires prodigieuses de BOAISTUAU, paraît avoir rencontré juste. Me servit à prouver le discours que j'avance: Le bon Socrate, Esope 1, et certain paysan On connoît les premiers : quant à l'autre, voici Son menton nourrissoit une barbe touffue; Représentoit un ours, mais un ours mal léché 3 : 1 Le bon Socrate, Ésope. Ni Ésope, ni Socrate ne passent, en effet, pour avoir été des types de beauté. 2 Marc-Aurèle. Dans le livre que nous a laissé sur luimême cet empereur romain, il ne parle d'aucun paysan de ce genre. C'est là une fiction de Guevarra. Ce Guevarra, prédicateur de Charles-Quint, et successivement évêque de Cadix et de Mondonedo, publia en 1559 l'ouvrage précité (MarcoAurelio, etc.), dans lequel se trouve l'apologue du Paysan du Danube, qu'il attribue gratuitement à Marc-Aurèle. 3 Mal léché. Mal tourné. Selon les anciens, notamment suivant Ovide et Pline, la femelle de l'ours donnerait à ses petits, en les léchant, la forme qu'ils doivent avoir. De là on dit, au figuré, d'un homme mal tourné que c'est un ours mal léché. Buffon semble avoir indiqué la source de cette erreur : il la rapporte simplement à la lourdeur de l'ours, qui paraît encore plus disgracieuse dans les jeunes que dans les adultes. (Cff. suprà, les Frelons et les Mouches à miel, I, 19, p. 53, n. 5.) 4 Sayon. Ce mot est employé ici pour désigner un habit grossier. Il dérive de sagum, sorte de manteau court qui, chez les Romains, remplaçait la toge en temps de guerre. |