FABLE XVI. Le Singe et le Chat. Cff. REGNERII, Apologi Phædrii. Divione, 1653, in-12, pars. II, fab. 28 1. Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat, Commensaux d'un logis, avoient un commun maître. D'animaux malfaisants c'étoit un très-bon plat : 2 Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pût 1 Dans Regnier, le singe et le chat sont, comme ici, près d'un foyer où rôtissent des marrons; mais leur attitude n'est point la même : le premier a les yeux fixés sur le foyer, l'autre dort d'un profond somme. L'occasion paraît excellente pour tirer à lui sans danger les châtaignes, en se servant de la patte du chat; mais le matou, que la douleur éveille aussitôt, et qui n'est pas endurant de sa nature, saute à l'instant sur le singe, et des griffes et des dents, vous l'arrange d'importance. 2 Ils n'y craignoient. Suivant Geruzez, l'adverbe y se rapporte à malfaire compris dans l'adjectif malfaisant. Ne se rapporte-t-il pas plutôt au mot logis? Quoi qu'il en soit, ce vers nous semble obscur. Les escroquer étoit une très-bonne affaire : Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avoit fait naître Certes, marrons verroient beau jeu. Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte, Écarte un peu la cendre, et retire les doigts; Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque1: Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes 1 Tire un marron, etc. Tableau parfait. C'est de cette fable que Mme DE SÉVIGNÉ disait : « Cela peint. Pourquoi n'écrit-il pas toujours de ce style? » (Lettres, t. I, p. 247, éd. F. Didot, 1860.) 2 S'échauder. Etre attrapé, éprouver quelque dommage. On dit dans le même sens: être échaudé. Ces deux expressións appartiennent au style familier. 3 Chamfort, tout en admirant cet apologue, «< digne de La Fontaine, » trouve que la moralité manque de justesse. A ses yeux, les princes qui servent un grand souverain dans ses guerres sont rarement dans le cas de Raton : ils FABLE XVII. Le Milan et le Rossignol. Cff. ABSTEMIUS, 92; Ésope, f. 2, 3; HÉSIODE, "Epya xaι nμepaι, v. 202 et suiv. 1. Après que le milan, manifeste voleur, sont toujours indemnisés de leur concours. Cette fable, ajoute-t-il, me semble s'appliquer beaucoup mieux à ces gens timides et prudents, ou bien encore à ces adroits fripons, qui, dans les affaires épineuses, se servent d'un homme moins habile à qui ils laissent tout le péril, se réservant à euxmêmes tout l'avantage. C'est, en effet, le sens que l'on attribue ordinairement à cette fable. 1 Hésiode a le premier donné cours à cet apologue. Voici le passage de ce poëte : « Voici ce que disait un jour l'Épervier à l'harmonieux Rossignol, qu'il emportait au sein des nuages entre ses ongles recourbés. Comme l'infortuné, percé des serres cruelles du ravisseur, se plaignait en gémissant, celui-ci lui adressa ces dures paroles : « Malheureux! pour<< quoi ces plaintes? Un plus fort que toi te tient en sa puis<<< sance. Tu vas où je te conduis, quelle que soit la douceur « de tes chants. Je puis, si je le veux, faire de toi mon repas; << je puis te laisser échapper. » Ainsi parla l'Épervier rapide, aux ailes étendues. Insensé qui voudrait résister à la volonté du plus fort! il serait privé de la victoire et ne recueillerait que la honte et le malheur. » (Trad. de M. PATIN.) 1 Un rossignol tomba dans ses mains par malheur. Vous verrez comme elle est jolie; Elle vous ravira: mon chant plaît à chacun. Vraiment, nous voici bien ! lorsque je suis à jeun, J'en parle bien aux rois. Quand un roi te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles : Ventre affamé n'a point d'oreilles *. 2 Ventre affamé n'a point d'oreilles. Ce proverbe se rencontre dans RABELAIS, qui renchérit encore sur l'expression, en ajoutant : «< il n'oit goutte. » (Liv. IV, ch. LXIII.) Il existait déjà dans l'ancienne Rome, où peut-être il est né d'un bon mot de Caton le censeur. L'histoire nous apprend que le peuple romain réclamant avec instance et hors de propos une distribution de blé, Caton, qui voulait l'en détourner, commença ainsi son discours : «< Citoyens, il est difficile de parler à un ventre qui n'a point d'oreilles. » [xxλɛπòv μÉv Éstiv, ☎ πολῖται, πρὸς γαστέρα λέγειν ὦτα οὐκ ἔχουσαν. (PLUT., Caton, c. vIII).] La seule moralité qui découle de cet apologue, c'est d'épargner au malheureux opprimé des prières inutiles. Cela n'est pas d'une grande importance. FABLE XVIII. Le Berger et son Troupeau. Cff. ABSTEMIUS, 127. Quoi! toujours il me manquera Toujours le loup m'en gobera! J'aurai beau les compter ! ils étoient plus de mille, Me suivoit pour un peu de pain, Et qui m'auroit suivi jusques au bout du monde ! 1 Notre pauvre Robin. Dans RABELAIS, le marchand dit à Panurge: «< Vous avez nom Robin-mouton. Voyez ce moutonlà, il ha nom Robin comme vous. » (Pantagr., liv. IV, ch. vi.) 3 Ah! le pauvre Robin mouton! La plainte de Doris, dans la fable 26e du 4o livre de D'ARDÈNE, la Tourterelle et le Serein, paraît imitée de ce passage: Ah! c'en est fait, l'oiseau vorace Je ne le verrai plus, cet oiseau si fidèle, Aussi vite qu'un trait, partir du fond des bois, A l'amour que j'avais pour elle! |