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La dispute est d'un grand secours :
Sans elle on dormiroit toujours.
Nos pèlerins s'égosillèrent.

Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.
Le renard au chat dit enfin :

Tu prétends être fort habile :

En sais-tu tant que moi? J'ai cent ruses au sac.
Non, dit l'autre : Je n'ai qu'un tour dans mon bis-
Mais je soutiens qu'il en vaut mille. [sac ';

Eux de recommencer la dispute à l'envi.

Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise 2.

Le chat dit au renard: Fouille en ton sac, ami;
Cherche en ta cervelle matoise

Un stratagème sûr : pour moi, voici le mien.
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,

Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut 3

1 Bissac. Sac ouvert en long par le milieu et fermé par les deux bouts, en sorte qu'il forme comme un double sac.

2 Noise. Querelle, dispute. Appartient au style familier. Ce mot a successivement reçu des acceptions différentes. Au XVIe siècle, noise signifiait déjà, comme aujourd'hui, dispute sérieuse sur un sujet frivole. Témoin ces vers de CHARLES IX à Ronsard :

Et croi, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu'entre nous viendra une bien grande noise.

Dans des temps plus éloignés, le mot noise avait le sens de bruit, tumulte, cris de joie, etc. Noises de femmes (causeries bruyantes) était une locution populaire. « La noise que ilz (les Sarrazins) menoient de leurs cors sarrazinois estoit espouvantable à escouter. » (JOINVILLE).

3 Mit cent fois en défaut. Les dérouta en cent manières différentes.

Tous les confrères de Brifaut 1.
Partout il tenta des asiles 2;

Et ce fut partout sans succès;

La fumée y pourvut 3, ainsi que les bassets.
Au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.

Le trop d'expédients peut gâter une affaire :
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout

[faire,

N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon *.

▲ Tous les confrères de Brifaut. Tous les chiens de chasse. Synecdoque. (V. Suprà, le Lièvre et la Perdrix, V, 17, p. 218, n. 3.)

2 Partout il tenta des asiles. Partout il tenta de se mettre à l'abri dans des asiles. Ellipse hardie, mais heureuse.

3 La fumée y pourvut. Quand un renard est dans un terrier, on l'enfume pour l'en chasser; à sa sortie il trouve les chiens bassets en embuscade.

▲ N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon. Chez les Grecs avait cours le proverbe suivant :

Πολλ ̓ οἶδ 'ἄλωπηξ, ἀλλ' ἐχῖνος ἔν μέγα.

Multa novit vulpes, sed erinaceus unum magnum.

FABLE XIV.

Le Trésor et les deux Hommes.

Cff. AUSONE, épigr. 22 et 23.

Les deux épigrammes d'Ausone sont elles-mêmes la traduction de deux distiques sur le même sujet, tirés de l'Anthologie grecque. Voyez AusOnII Opera, édit. 1730, in-4o, p. 20,

Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse 1,
C'est-à-dire n'y logeant rien,

S'imagina qu'il feroit bien

De se pendre, et finir lui-même sa misère,
Puisque aussi bien sans lui la faim le viendroit faire :
Genre de mort qui ne duit pas 2

1 Logeant le diable en sa bourse. L'origine de cette expression proverbiale est racontée fort agréablement dans une petite pièce de vers de MELLIN de Saint-GelaIS :

Un charlatan disoit en plein marché
Qu'il montreroit le diable à tout le monde :
Si n'y eust nul, tant fut-il empesché,
Qui ne courust pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde

Il leur desploie, et leur dit : « Gens de bien,

Ouvrez vos yeux, voyez, y a-t-il rien? »

-(( Non,» dit quelqu'un des plus près regardans.
- « Et c'est, dit-il, le diable, oyez-vous bien,
Qu'ouvrir sa bourse et ne rien voir dedans. »

2 Qui ne duit pas. Qui ne convient pas. Duire (de ducere), convenir, plaire, être à la convenance de quelqu'un. Expression familière et surannée. Ailleurs, notre poëte dit :

Tout vous duit, l'histoire et la fable.

(A Mm la duchesse de Bouillon.)

A gens peu curieux de goûter le trépas 1.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devoit se passer l'aventure :
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,

Sans compter. Ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L'homme au trésor arrive, et trouve son argent
Absent 2.

Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme!
Je ne me pendrai pas ! Et vraiment si ferai 3
Ou de corde je manquerai.

Le lacs étoit tout prêt ; il n'y manquoit qu'un homme:
Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

Ce qui le consola peut-être,

Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau. Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.

1 Peu curieux de goûter le trepas. Mais qui veulent avaler la coupe tout d'un trait. Plaisanterie d'un goût contestable. La Fontaine a dit plus heureusement ailleurs :

On n'a pas le loisir de goûter la lumière.

(Poëme du Quinquina.)

2 Absent. Ce petit vers de deux syllabes exprime merveilleusement la surprise de l'avare en voyant la place vide et son argent disparu. (CHAMFORT.)

3 Et vraiment si ferai : c'est-à-dire, je ferai ainsi. A la rigueur il faudrait : si ferai-je.—Le flegme avec lequel l'avare

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs ;
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre 1,
Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parents, ou pour la terre.

Mais que dire du troc que la Fortune fit?
Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit :
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;

Et celui qui se pendit

S'y devoit le moins attendre.

prend et exécute brusquement une résolution aussi désespérée, est-il bien dans la nature ?

La Fontaine est plus vrai dans la fable 18 du 1. IV, p. 179 et suiv., ou, pour peindre le désespoir d'un autre avare, qui vient aussi de perdre son trésor, il dit :

Voilà mon homme aux pleurs.

Il a le moins de part, etc. JEAN DE MEUNG (Roman de la Rose, v. 5421), exprime avec beaucoup d'énergie les tourments que l'argent exerce contre ceux qui l'enferment :

Ainsi Pécune se revanche

Comme dame royne et franche
Des serfs qui la tiennent enclose,
En paix se tient et se repose
Et fait les malheureux veiller

Et soucier et travailler :

Sous pied si court les tient et dompte,
Qu'elle a l'honneur et eux la honte,
Et le tourment et le dommage, etc.

LE BRUN a dit à son tour:

Le Ciel hait l'avare, et son crime
N'est jamais sans puniti on:
Car toujours de sa passion
Il est dupe, esclave ou victime.

(L'Avare et le Voleur, II, 26.)

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