Page images
PDF
EPUB

FABLE IX.

Le Loup et le Chien maigre.

Cff. ESOPE, f. 86, 35.

Autrefois Carpillon fretin

Eut beau prêcher, il eut beau dire,

guées des autres plaideurs. A la vérité les deux derniers

vers:

Des sottises d'autrui nous vivons au palais.

Messieurs, l'huître était bonne allez vivez en paix.

sont plus plaisants que dans La Fontaine ; mais ce mot sans dépens de La Fontaine équivaut à peu près à messieurs, l'huître était bonne.

<«<< La Fontaine ne s'est point piqué de la précision de Boileau. Il n'oublie aucune circonstance intéressante. Sur le sable l'huître est fraîche, ce qui était bon à remarquer : aussi dit-il formellement que le flot y venait d'apporter, et ce mot fait image.

« L'appétit des plaideurs lui fournit deux jolis vers qui peignent la chose (v. 3-4):

L'un se baissait déjà...

L'autre le pousse...

<<< Voilà comme cela a dû se passer. Le discours des plaideurs anime la scène. L'arrivée de Perrin Dandin lui donne un air plus vrai que celui de la Justice qui est un personnage allégorique *; je voudrais seulement que les deux plaideurs fussent à jeun comme ceux de Boileau, »>

* Ch. Nodier remarque justement qu'il y a de la part du satirique une singulière méprise de mots, à représenter la justice elle-même prise pour juge par les plaideurs ce n'est point la jusiice qu'il fallait dire: car la justice ne vit point au palais des sottises d'autrui, mais la chicane. (Lou.).

On le mit dans la poêle à frire.

Je fis voir que lâcher ce qu'on a dans la main,
Sous espoir de grosse aventure,

Est imprudence toute pure.

Le pêcheur eut raison; Carpillon n'eut pas tort:
Chacun dit ce qu'il peut pour défendre sa vie.
Maintenant il faut que j'appuie

Ce que j'avançoi lors de quelque trait encor3.
Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors du village,

4

S'en alloit l'emporter. Le chien représenta
Sa maigreur: Jà ne plaise à votre seigneurie
De me prendre en cet état-là ;
Attendez : mon maître marie
Sa fille unique, et vous jugez

Qu'étant de noce il faut, malgré moi, que j'engraisse.
Le loup le croit, le loup le laisse.

Le loup, quelques jours écoulés ",

Revient voir si son chien n'est pas meilleur à Mais le drôle était au logis.

Il dit au loup par un treillis :

[prendre ;

1 On le mit, etc. V. suprà, le petit Poisson et le Pêcheur (V, 3, p. 194 et s.)

2 Lors; pour alors.

3 Trait encor. Négligence qu'il était facile d'éviter en modifiant le premier hémistiche comme suit: ce qu'alors j'avançai. (CHAMFORT).

4 Jà. Déjà, à présent. Vieux langage.

5 Quelques jours écoulés. Construction qui rappelle l'ablatif absolu des Latins.

6 Son chien. « Sien à son compte, et non à celui de la bête, » comme l'ours pour les deux compagnons. (GERUZEZ.)

Ami, je vais sortir; et si tu veux attendre,
Le portier du logis et moi

Nous serons tout à l'heure à toi.
Ce portier du logis était un chien énorme,
Expédiant les loups en forme.

Celui-ci s'en douta. Serviteur au portier,
Dit-il; et de courir. Il étoit fort agile;

Mais il n'étoit pas fort habile :

Ce loup ne savoit pas encore bien son métier.

FABLE X.

Rien de trop.

Cff. ABSTÉMIUS, 186 : de Ovibus immoderate segetem depascentibus.

Je ne vois point de créature
Se comporter modérément.
Il est certain tempérament ?
Que le Maître de la nature

2

1 Expédiant. Étranglant.

2 Il est certain tempérament :

Est modus in rebus, sunt certi denique fines
Quos ultrà citàque nequit consistere rectum.
(HOR., Sat., I, v. 106 et 107.)

Veut que l'on garde en tout. Le fait-on? nullement;
Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guère.
Le blé, riche présent de la blonde Cérès 1,
Trop touffu bien souvent épuise les guérêts :
En superfluités s'épandant d'ordinaire,

Et poussant trop abondamment,

Il ôte à son fruit l'aliment.

L'arbre n'en fait pas moins : tant le luxe sait plaire !
Pour corriger le blé, Dieu permit aux moutons
De retrancher l'excès des prodigues moissons 2:
Tout au travers ils se jetèrent,

Gâtèrent tout, et tout broutèrent;
Tant que le ciel permit aux loups

D'en croquer quelques-uns : il les croquèrent tous;
S'ils ne le firent pas, du moins ils y tàchèrent.
Puis le ciel permit aux humains

De punir ces derniers : les humains abusèrent 3
A leur tour des ordres divins.

1 De la blonde Cérès :

Le blé, riche présent qu'à l'homme ont fait les cieux.

(PSYCHÉ, liv. II.)

2 L'excès des prodigues moissons. Réminiscence de Virgile. Au 1er livre des Géorgiques, le poëte nous montre le laboureur, qui

[ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

3 Les humains abusèrent.« Ne dirait-on pas que nous sommes bligés, enconscience, à conserver l'espèce? Si cela est,les Anglais, qui sont parvenus à les détruire dans leur île, sont de grands scélérats. » (CHAMFORT.)

De tous les animaux, l'homme a le plus de pente
A se porter dedans l'excès 1.

Il faudroit faire le procès

Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante Qui ne pèche en ceci. Rien de trop 2 est un point Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point 3.

Dedans l'excès. Dedans est employé pour dans.-Ailleurs notre poëte dit :

L'homme se porte en tout avec violence,

A l'exemple des animaux,

Aveugle jusqu'au point de mettre entre les maux

Les conseils de la tempérance.

(Poëme du Quinquina, in fine.)

2 Rien de trop. Maxime attribuée à Solon, l'un des sept

sages.

3 Qu'on n'observe point.

Id arbitror

Apprime in vita esse utile ut NE QUID NIMIS.

(TÉRENCE, Andrienne, act. I, sc. 1re, v. 61 et 62.)

« PreviousContinue »