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Jadis l'Olympe ' et le Parnasse
Étoient frères et bons amis.

FABLE XIV.

La Mort et le Malheureux o.

Cff. ESOPE, f. 20, 50, 146.

Un malheureux appeloit tous les jours
La Mort à son secours :

O Mort, lui disoit-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma torture cruelle !

A L'Olympe. Montagne de la Grèce, entre la Thessalie et la Macédoine, dont les anciens faisaient le séjour des dieux. Le Parnasse, montagne de la Phocide, dont ils faisaient le séjour d'Apollon et des Muses. L'Olympe désigne ici les grands, que le fabuliste regarde comme les dieux de la terre ; le Parnasse désigne les poëtes.

2 « Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Ésope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas

La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.

Elle frappe à sa porte 1, elle entre, elle se montre. Que vois-je ? cria-t-il : ôtez-moi cet objet!

Qu'il est hideux ! que sa rencontre

Me cause d'horreur et d'effroi !

N'approche pas, ô Mort! ô Mort ! retire-toi ~ !

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,

que j'y fais entrer, et qui est si beau* et si à propos que je n'ai pas cru le devoir omettre. » (Note de LA FONTAINE.) 1 Elle frappe à sa porte... Vers pittoresque.

2 N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi. Répétition qui n'est pas vicieuse : l'âme vivement émue redit naturellement le nom de la chose qui l'agite en bien ou en mal.

3 Mécénas fut, etc.... Mécène, que l'amitié d'Auguste, de Virgile et d'Horace ont illustré. Son nom désigne, par une fréquente antonomase, celui qui encourage les sciences, les lettres et les arts.

4 Quelque part. Dans les vers cités par SÉNÈQUE (Epist. CI, Opera, t. XI, p. 501, édit. VAR.):

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<<< Rendez mes mains débiles, rendez mes pieds faibles et boiteux, élevez une bosse sur mon dos, ébranlez toutes mes dents, tout ira bien, si vous me laissez la vie.»- Sénèque est

Quel est le sens de ce mot beau? M. Louandre pense qu'il signifie simplement vrai, juste; La Fontaine, dit-il, admire le passage de Sénèque, parce qu'il s'applique parfaitement à l'espèce humaine, où les individus qui ont peur de mourir sont en très-grande majorité. Ce n'est pas l'homme qui a écrit sur la mort du Sage cet admirable vers qui est dans tous les esprits, qui aurait pu approuver cet attachement déraisonnable de la vie. Nous croyons, pour notre part, que cette explication n'est guère admissible la finale de l'apologue: On t'en dit tout autant, écarte tout doute à cet égard,

Cul-de-jatte', goutteux, manchot, pourvu qu'en somme Je vive, c'est assez, je suis plus que content.

Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

loin d'approuver ce langage, comme le prouve le passage suivant : « Que souhaiter à un pareil homme, sinon que les dieux l'exaucent? » O honte ineffaçable de ces vers efféminés ! Monument odieux de la crainte la plus folle! Était-ce ainsi que Virgile mendiait sa vie, lorsqu'il s'écriait : Est-ce donc un si grand malheur que de mourir: Usque adeòne mori miserum est? (En. XII, 646.) Qu'est-ce que vivre de cette manière? C'est mourir longtemps. >>

1 Cul-de-jatte. Personne estropiée qui ne peut faire usage ni de ses jambes ni de ses cuisses pour marcher. - Manchot, estropié ou privé de la main ou du bras.

2 On. C'est le poëte lui-même qui aimait fort la vie.

FABLE XV.

La Mort et le Bûcheron.

Cff. ÉSOPE, f. 20; CORROZET, fab. 80.

2

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée ',
Sous le faix du fagot aussi bien
des ans
que
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?

1 Ramée. Se dit des branches coupées avec leurs feuilles.

L'autre à sa dame estandoit la ramée.

(CL. MAROT, Temple de Cupido.)

2 Sous le faix du fagot aussi bien que des ans. Ce vers a été critiqué comme offrant un mélange malheureux du langage figuré et du langage littéral. (Princ. de style, par HÉRISSANT.) L'auteur de ce blâme semble oùblier que le poëte, comme l'orateur, a ses franchises, et qu'avec le culte de la règle, poussé à l'extrême, il faudrait blâmer Racine et Bossuet d'avoir dit, l'un, dans Bérénice:

Et lorsqu'avec mon cœur ma main peut s'épancher.

L'autre, dans la péroraison de l'Oraison funèbre du prince de Condé « Versez des larmes avec des prières. » De combien de beautés de style ne nous priverait pas ce puritanisme littéraire! La vérité est que le début de cet apologue offre un tableau charmant qui échappé à l'analyse.

En est-il un plus pauvre en la machine ronde 1?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée *,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée,
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.

C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère 3.

Le trépas vient tout guérir,

A Machine ronde. La terre.

2 Point de pain... Vers d'une admirable concision.

Point de plaisir sans trouble et jamais de repos.

(CORN., Cinna, II, 1.)

Ce vers, dit Geruzez, a été trouvé de bonne prise par La Fontaine.

3 Créancier. Celui envers qui l'on s'est obligé à donner, à faire ou à omettre quelque chose.

4 Corvée. Impôt en nature que l'on exigeait autrefois des paysans pour la construction et l'entretien des routes: il consistait en un nombre annuel de journées de travail, de chevaux, de bœufs et de voitures; il frappait seulement le peuple, car on ne pouvait y assujettir que ceux qui travaillaient de leurs bras. C'était une des servitudes les plus cruelles et l'un des impôts les plus onéreux auxquels jamais peuple ait pu être condamné.

5 Tu ne tarderas guère. Cet hémistiche est susceptible d'une double interprétation : 1o Si tu m'aides, tu auras bientôt fait de recharger mon bois, c'est peu de chose que je te demande.- 2o Tu ne perdras rien à me laisser vivre, car tu ne tarderas guère (sous-entendu à revenir). La première interprétation nous paraît la vraie, comme s'accordant parfaitement avec la moralité (Plutôt souffrir que mourir),

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