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Cependant faites-moi la grâce

De prendre en don ce peu d'encens :
Prenez en gré mes vœux ardents,

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient; je n'en dirai pas plus :
Sur les éloges que l'envie

Doit avouer qui vous sont dus,

Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athène autrefois, peuple vain et léger',
Un orateur 2, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et, d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république *,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutoit pas. L'orateur recourut
A ces figures violentes

Qui savent exciter les âmes les plus lentes 5 :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put;
Le vent emporta tout 6; personne ne s'émut.

Au siècle dernier, Voltaire et d'autres illustres écrivains de son temps, n'étaient pas précisément dans la gêne. Sur le sens du mot Parnasse, V. suprà, Simonide préservé par les dieux (I, 13, p. 39, n. 1).

1 Dans Athène autrefois, peuple vain et léger.— Négligence. 2 Un orateur. Cet orateur était Démade.

3 Tribune. Dérivé immédiatement du mot bas-latin tribuna, siége élevé.

↓ Dans une république. Il y a dans ce vers et le précédent de la recherche, défaut très-rare chez notre poëte.

5 Lentes. Synonyme d'hésitantes, irrésolues. Peut s'expliquer par une ellipse: lentes à agir. Le poëte nomme clairement ces figures et ces mouvements oratoires qui parlent

au cœur.

c Le vent emporta tout. Allusion au dicton : autant en emporte le vent.

L'animal aux têtes frivoles 1,

2

Étant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter;
Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.
Cérès 3, commença-t-il, faisoit voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle :

Un fleuve les arrête ; et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle?
Ce qu'elle fit! un prompt courroux

4

L'anima d'abord contre vous *.

Quoi! de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ;
Et du péril qui le menace

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que Philippe 5 fait?

A ce reproche l'assemblée,

Par l'apologue réveillée,

Se donne entière à l'orateur.

Un trait de fable en eut l'honneur.

Nous sommes tous d'Athène en ce point, et moi

Au moment que je fais cette moralité,

[même,

1 L'animal aux têtes frivoles. Réminiscence d'HORACE : bellua multorum capitum. (Ep. I, 1, v. 76.)

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2 Étant fait à. Faire ici dans le sens d'accoutumer, habituer.

3 Cérès.Fille de Saturne et de Cybèle. Déesse des moissons. Les Athéniens étaient placés sous sa protection.

Contre vous. Voir la note précédente.

5 Philippe. De Macédoine.

6 Nous sommes tous d'Athène. Transition très-heureuse.

Si Peau-d'Ane' m'étoit conté,

J'y prendrois un plaisir extrême *.

Le monde est vieux, dit-on ; je le crois; cependant Il le faut amuser encor comme un enfant.

1 Peau-d'Ane. Suivant M. Walckenaer, c'est au conte de Peau-d'Ane, écrit pour l'amusement des enfants, que La Fontaine fait ici allusion, c'est-à-dire à l'œuvre de Ch. Perrault. Selon M. Geruzez, notre poëte pense à un autre conte portant le même titre, et qui termine le recueil de Nouvelles et joyeux devis de BONAVENTURE DES PERIERS. M. Fournier affirme enfin que La Fontaine songeait tout simplement à un vieux conte de nourrice. Quoi qu'il en soit de ces deux dernières opinions, il ne peut évidemment s'agir ici du conte de Perrault car celui-ci parut seulement en 1694, tandis que le second recueil de fables de La Fontaine (dont le livre VII fait partie) vit le jour en 1678.

2 J'y prendrois un plaisir extrême. La Fontaine peint ici les effets de son caractère. Il eut la constance d'aller voir, trois semaines de suite, un charlatan qui devait couper la tête à son coq et la lui remettre sur le champ. Il est vrai qu'il trouvait toujours des prétextes de différer jusqu'au lendemain. On avertit enfin La Fontaine que le lendemain n'arriverait pas il en fut d'une surprise extrême. (CHAMFORT.).

FABLE V.

L'Homme et la Puce.

Cff. ÉSOPE, f. 194, 62.

Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux, Souvent pour des sujets même indignes des hommes: Il semble que le ciel sur tous tant que nous sommes Soit obligé d'avoir incessamment les yeux,

Et que le plus petit de la race mortelle,

A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,

1

Doive intriguer l'Olympe et tous ses citoyens,
Comme s'il s'agissoit des Grecs et des Troyens 2.

Un sot par une puce eut l'épaule mordue.
Dans les plis de ses draps elle alla se loger.
Hercule, ce dit-il, tu devois bien purger
La terre de cette hydre au printemps revenue!
Que fais-tu 3, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race, afin de me venger!

1 Intriguer. Embarrasser.

2 Troyens. On sait que dans l'Iliade les dieux interviennent tour à tour dans la lutte engagée entre les Troyens et les Grecs.

3 Que fais-tu, etc? C'est-à-dire, pourquoi du haut de la nue n'en perds-tu pas ? — Construction surannée.

Pour tuer une puce, il vouloit obliger

Ces dieux à lui prêter leur foudre et leur massue 1.

FABLE VI.

Le Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître.

Cff. REGNERII Apologi Phædrii, pars I, p. 23, 1643, fab. 17.
Trésor des recréations, Rouen, 1611 2.

3

Certain chien, qui portoit la pitance 3 au logis,

1 Rapprochez de cet apologue l'anecdote suivante, concernant le roi d'Angleterre, Jacques II. Laissons parler BALZAC : « Un moucheron entra dans l'œil du roi Jacques d'Angleterre, un jour qu'il était à la chasse. Aussitôt l'impatience prit le roi; il descendit de cheval en jurant, ce qui lui était assez ordinaire; il s'appela malheureux, il appela insolent le moucheron, et lui adressant la parole: « Méchant << animal, lui dit-il, n'as-tu pas assez de trois royaumes que « je te laisse pour te promener, sans qu'il faille que tu << viennes te loger dans mes yeux? » (BALZAC, Entretiens, Leyde, Elzévir, 1659, in-12, p. 303 et 304.)

2 Walchius (Joh.), auteur alsacien du xvIIe siècle, auteur dé quelques fables, en a laissé une (la troisième), qui contient le récit d'une aventure arrivée à Strasbourg : c'est cette anecdote que La Fontaine a mise à profit dans le présent apologue; mais il lui a donné une tout autre moralité. (V. ROBERT, Fables inédites du xiie, du xine et du xive siècle, p. cxi, en note.) · On la trouve dans un recueil de contes imprimé à Rouen, en 1611, in-16, sous le titre de Trésor des recréations. C'est là probablement que La Fontaine l'aura puisée. (ID., p. cxv.)

3 Pitance, ration de vivres. Dans la moyenne latinité, le

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