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De nul d'eux n'est souvent la province conquise :
Un quart voleur 2 survient qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

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FABLE XIII.

Simonide préservé par les Dieux.

Cff. PHEDRE, liv. IV, f. 25; QUINTIL., Inst. Or., XI, c. 2. Quintilien dit naïvement au sujet du fait retracé dans cet apologue: « Tout ce récit sur les Tyndarides (Castor et Pollux) m'a bien l'air d'un conte, car le poëte n'en fait mention nulle part, et, certes, il n'aurait pas gardé le silence sur un événement aussi glorieux pour lui 3. »

4

La louange chatouille et gagne les esprits.
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.
Simonides avoit entrepris

4 De nul d'eux. Par aucun d'eux. Inversion forcée.

2 Un quart voleur. Pour un quatrième voleur. Dans ce sens quart était déjà suranné du temps de La Fontaine. On dit encore aujourd'hui un tiers pour une troisième ou tierce personne, et un tiers porteur.

3 Quamquam mihi totum de Tyndaridis fabulosum videtur; neque omnino hujus rei meminit usquam pocta ipse, profecto non tacitarus de tanta sua gloria.

4 La louange chatouille. Agamennon dans RACINE :

Ces noms de roi des rois et de chef de la Grèce
Chatouillaient de mon cœur l'orgueilleuse faiblesse.

(Iphigénie, I, 1.)

5 Simonide. Ancien poëte grec (558-468 avant J.-C.), dont il ne nous reste que quelques fragments: ses élégies sont la meilleure part de ses œuvres.

1

L'éloge d'un athlète ; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus 2.
Les parents de l'athlète étaient gens inconnus :
Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite;
Matière infertile et petite.

3

Le poëte d'abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux 5; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux;
Élève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étoient signalés davantage :
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.

L'athlète avoit promis d'en payer un talent 6 :

1 Athlète. On nommait athlètes ceux qui, dans la Grèce, paraissaient soit aux jeux olympiques, soit aux jeux néméens, pour y disputer le prix de la course, de la lutte, etc.

2 Récits tout nus. C'est-à-dire que la vie de son héros se composait de faits ordinaires qui ne l'élevaient pas au-dessus du commun des hommes.

3 Bourgeois. Anachronisme.

▲ Infertile. C'est-à-dire qui fournit peu de choses à dire.

5 Castor et Pollux. Fils de Jupiter et de Léda. Castor se distingua dans l'art de dompter les chevaux; Pollux, par son adresse dans le combat du ceste. Grâce à leur zèle, la mer Egée fut purgée des pirates qui l'infestaient; pour ce bienfait ils furent rangés au nombre des dieux et des constellations du zodiaque, où ils forment le signe des Gémeaux.

6 Talent. Poids d'or ou d'argent, qui était différent selon les divers pays où l'on s'en servait anciennement. Le talent attique représentait, suivant certains calculs, la somme de 5,580 francs. Du reste, sa valeur est très-contestée.

Mais, quand il le vit, le galant 1

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement,
Que Castor et Pollux acquittassent le reste 2.
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter 3 cependant :

Venez souper chez moi; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;
Soyez donc de la compagnie.

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange 4.
Il vient: l'on festine 5, l'on mange.

Chacun étoit en belle humeur,

Un domestique accourt 6, l'avertit qu'à la porte Deux hommes demandoient à le voir promptement. Il sort de table, et la cohorte ▾

N'en perd pas un seul coup de dent.

1 Le galant. Qui a des procédés nobles, qui est généreux. Il est employé ironiquement.

2 Que Castor et Pollux acquittassent le reste. L'esprit rabelaisien de ce vers rappelle ces paroles de Tibère, qui en sont la contre-partie : Deorum injurias diis curœ. (Ann., I, 73.) 3 Traiter. Régaler.

4 Peut-être qu'il eut peur... Vers charmants et de ceux que La Fontaine a souvent l'air de jeter comme sans dessein, et qui renferment presque toujours un sens profond. Ce trait est, de plus, remarquable par sa tournure vive et précise. Le gré de sa louange, pour l'expression de la reconnaissance à laquelle il avait droit en retour.

5 L'on festine. Style familier.

6 Un domestique accourt. Domestique, aussi déplacé ici que plus haut le mot bourgeois.

7 La cohorte. C'est-à-dire le reste de la compagnie.

8 N'en perd pas un seul coup de dent. Vers pittoresque.

Ces deux hommes étoient les Gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et, pour prix de ses vers
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers 2.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque ; et le plafond,

Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons *.
Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance * due au poëte,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria: Miracle! On doubla le salaire 5
Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'était fils de bonne mère "

Qui, les payant à qui mieux mieux 7,

Pour ses ancêtres n'en fît faire.

1 Les gémeaux. Voy. note 5, p. 35.

2 A l'envers. Ici le style tombe du familier au burlesque. 3 Échanson. Officier chargé de servir à boire à un roi, à un prince, etc. Par plaisanterie, toute personne qui sert à boire. ▲ Pour rendre complète la vengeance. Chamfort fait remarquer avec raison que Castor et Pollux ne jouent pas un beau rôle dans cette fable. Quel mal avaient fait ces pauvres conviés et ces échansons?

On doubla le salaire. Expression familière pour dire : le prix, la rémunération.

6 Il n'était fils de bonne mère. « Point n'était fils de bonne mère réputé, » dit RABELAIS (liv. I, chap. L).

7 A qui mieux mieux. A l'envi l'un de l'autre. Locution du style familier.

1

Je reviens à mon texte, et dis premièrement
Qu'on ne sauroit manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger 2, trafique de sa peine;
Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix 5.
Les grands se font honneur * dès lors qu'ils nous font
[grâce.

4

↑ Melpomène. Muse de la tragédie: elle est prise ici pour la poésie et désigne les poëtes en général. Hésiode nous a conservé les noms de Neuf Muses dans les trois vers suivants :

Κλείω τ', Ευτέρπη τε, Θάλειά τε, Μελπομένη τε,
Τερψιχόρη τ', Ερατώ τε, Πολύμνιά τ', Οὐρανίη τε
Καλλιόπη θ', ή σφεων προφερεστάτη ἐστὶν ἁπασέων.

2 Sans déroger. Sans déchoir. Allusion aux lois et coutumes qui interdisaient tout trafic ou négoce à la noblesse. Boileau exprime à peu près la même pensée dans son Art poétique (ch. IV):

Je sais qu'un noble esprit peut sans honte et sans crime
Tirer de son travail un tribut légitime;

Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoûtés de gloire et d'argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d'un libraire,

Et font d'un art divin un métier mercenaire.

3 Tenir..... en quelque prix. Un commentateur, M. Guillon, critique cette expression. On peut dire, suivant lui, tenir à honneur, mettre à prix, jamais tenir en prix. Il y a tout bonnement, dans les termes de La Fontaine, la métonymie de l'effet pour la cause : le prix est nommé pour l'estime. Cette métonymie est originale, mais non défectueuse.

4 Les grands se font honneur. C'est-à-dire quand ils nous protégent. LA BRUYÈRE va plus loin: « Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, ses enfants, et, après eux, les gens d'esprit : il les doit adopter, il doit s'en fournir et n'en jamais manquer; il ne saurait payer, je ne dis pas de trop de pensions, mais de trop de bienfaits, mais de trop de familiarités et de caresses, les secours et les services qu'il en tire. >>

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