Page images
PDF
EPUB

1

Merveilles de l'ouïr; il faisoit des passages 1,

Plus content qu'aucun des sept sages 2.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantoit peu, dormoit moins encor:
C'étoit un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeilloit,
Le savetier alors en chantant l'éveilloit;
Et le financier se plaignoit

Que les soins de la Providence

exemples semblables. « Ce n'est pas seulement des hommes à combattre; c'est des montagnes inaccessibles; c'est des ravines et des précipices, etc.» (BOSSUET, Orais. fun. du prince de Condé.)

1 Passages. Ornement ajouté à un trait de chant, autrement dit des roulades. « Cet ornement, pour l'ordinaire assez court, est composé de plusieurs notes ou diminutions qui se chantent ou se jouent très-légèrement. C'est ce que les Italiens appellent aussi passo. » (J.-J. ROUSSEAU, Dictionnaire de Musique.)

2 Sept sages. Les sept sages de la Grèce étaient, suivant certaine tradition, Thalès, de Milet, Bias, de Priène, Pittacus, de Mitylène, Solon, d'Athènes, Chilon, de Sparte, Cléobule, de Lindos et Périandre, de Corinthe. Les quatre premiers sont les seuls qu'on reconnût généralement. On a conservé quelques-unes de leurs maximes: «< Connais-toi toi même ;rien de trop; l'infortune te suit de près; · qui donne la sagesse? l'expérience;

[ocr errors]

déplaît dans les autres ;

[ocr errors]

ne fais pas toi même ce qui te

heureuse la famille qui n'a pas

;

[ocr errors]

tant que tu vivras, pas que la vieillesse

trop de richesses et qui ne souffre pas la pauvreté; la société est bien gouvernée quand les citoyens obéissent aux magistrats, et les magistrats aux lois cherche à t'instruire : ne présume apporte avec elle toute la raison; parle qu'à propos; vertu est immortelle. >>

écoute beaucoup et ne

la volupté ne dure qu'un instant; la

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir 1,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire 2,
Que gagnez-vous par an?-Par an! ma foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur 3

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre ; il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;

5

Chaque jour amène son pain.

Eh bien ! que gagnez-vous, dites-moi, par journée?— Tantôt plus, tantôt moins le mal est que toujours

1 Vendre le dormir. Cette idée, qu'on pourrait prendre pour une saillie, n'en est pas une. Il est assez naturel à quiconque a beaucoup d'argent d'y voir l'équivalent de tout ce qu'on peut désirer; et l'on sait qu'un riche gourmand, mécontent de son estomac, se plaignait qu'on ne pût pas payer un digéreur, attendu qu'il trouvait que la gourmandise, fort bonne en elle-même, n'avait d'inconvénient que l'indigestion. (La HARPE, Lycée ou Cours de Litt.)— Sur l'infinitif employé substantivement, V. h. l., la Mort et le Mourant (p. 326, n. 2).

2 Or çà, sire Grégoire. La conversation du savetier et du financier ne serait pas indigne de Molière lui-même (CHAMF.). 3 Rieur. V. suprà, le Corbeau et le Renard (I, 2, p. 8, n. 3). J'attrape le bout. Expression familière qui en rappelle une autre de la même famille nouer les deux bouts. On notera le soin avec lequel le langage est approprié aux personnages.

Chaque jour, etc. Cette pensée rappelle celle de la Bible: Sufficit diei malitia sua. (MATH., VI, v. 34.)

6 Tantôt plus, tantôt moins. Ces réponses évasives sont bien dans les habitudes du peuple.

(Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes 1), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours

Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes 2 :
L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône3.
Le financier, riant de sa naïveté *,

Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avoit, depuis plus de cent ans,

Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa caye il enserre *
L'argent, et sa joie à la fois 6.

1 Honnêtes. Dans le sens de convenables, comme on dit d'une chose qu'elle a été vendue à un prix honnête. 2 On nous ruine en fêtes. Ailleurs le poëte dit :

Quoi donc toujours des dieux nouveaux !

L'Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,
Ni l'an fournir de jours assez pour tant de fêtes.

(Les Filles de Minée.)

Il est curieux de voir La Fontaine, dans ses réclamations déguisées, devancer les économistes du xvIIIe et du xixe siècle.

3 Prone (præconium). Instruction chrétienne que le curé ou le vicaire fait tous les dimanches dans la chaire, à la messe paroissiale.

Naïveté. Rime négligée.

5 Enserre. Vieux mot pour serre ou enferme, très-bien placé ici. ROUSSEAU ne s'en sert pas aussi heureusement, quand il dit au début de l'une de ses odes:

Tout ce que notre globe enserre...

6 Et sa joie à la fois. Vers plein de précision! Dans la Nouvelle de Bonaventure Des Periers, le savetier Blondeau jette dans la rivière le pot qui contenait le trésor; il y noya, dit l'auteur, toute sa mélancolie avec son pot.

Plus de chant1: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines 2. Le sommeil quitta son logis:

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines 3. Tout le jour il avoit l'œil au guet; et la nuit, Si quelque chat faisoit du bruit,

Le chat prenoit l'argent. A la fin le pauvre homme

1 Plus de chant. « Lors il commença de devenir pensif. Il ne chantoit plus, il ne songeoit plus qu'en ce pot de quincaille. » (DES PERIERS.)

2 Nos peines. Ce n'est pas là une périphrase oiseuse, nécessitée par la mesure et par la rime. Pour La Fontaine, it en est de l'or comme de la peste; il répugne à l'appeler par son

nom.

3 Alarmes vaines. « Quel intérêt dans ces détails!... Tout à l'heure on riait du savetier, on le plaint maintenant. Cette réflexion si rapide, ce qui cause nos peines, nous fait revenir sur nous-mêmes. Et ce trait si heureux, celui qu'il ne réveillait plus! c'est dans un seul hémistiche toute la substance de l'apologue. Cette facilité étonnante à nous faire passer d'un sentiment à un autre sans disparate et sans secousse est une espèce de magie qui est surtout nécessaire en racontant. (LA HARPE.) Rapprochez de ce passage l'aventure de Philippe et de Mena, décrite par Horace. (Ep. I, 7.)

[ocr errors]

Le chat prenoit l'argent. « Ainsi l'Harpagon de Molière, apercevant La Flèche, qui l'a entrevu à peine : « Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent. » (L'Avare, I, 3.) Et dans une autre scène, voyant Élise et Cléante qui se font des signes : « Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse. » (II, 5.) Dans la fable de FLORIAN, le pauvre devenu riche perd non-seulement sa gaîté, mais jusqu'à son caractère humain et complaisant :

Depuis qu'il m'appartient *,

Je ne suis plus le même :

Mon âme est endurcie, et la voix du malheur

N'arrive plus jusqu'à mon cœur.

(Le bon Homme et le Trésor.)

* Ce trésor.

S'en courut chez celui qu'il ne réveilloit plus : Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, Et reprenez vos cent écus.

FABLE III.

Le Lion, le Loup et le Renard.

Cff. Ésope, f. 233, 72; Contes indiens et fables indiennes de BIDPAÏ et de LOKMAN, 1778, in-12, t. II, p. 87 2.

[merged small][ocr errors]

1 S'en courut: s'en alla. Relégué dans ce vieux langage marotique que Boileau n'aimait pas. Pourquoi, disait-il, emprunter une autre langue que celle de son siècle?

2 Le même sujet se trouve traité dans la fable arabe suivante: « Le Lion étant malade, tous les animaux vinrent lui rendre visite à l'exception du Renard. Le Chacal alors s'approche et dit :

<«<< Seigneur, toutes les bêtes sont venues vous voir; le Renard seul a manqué à ce devoir. Son oubli est une offense envers Votre Majesté.

<< Informé de ces propos méchants, le maître du terrier alla trouver le Lion.

« Quel est le motif qui t'a retenu? lui demanda celui-ci. - «Seigneur, répondit le Renard, à la nouvelle de votre maladie, je me suis mis en quête d'un remède pour vous 3 N'en pouvant plus. Harmonie imitative.

« PreviousContinue »