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J'en dirai quelque jour les raisons amplement 1.
J'aperçois le soleil : quelle en est la figure?

Ici-bas ce grand corps 2 n'a que trois pieds de tour;
Mais si je le voyois là-haut, dans son séjour,
Que seroit-ce à mes yeux que l'œil de la nature 3?
Sa distance me fait juger de sa grandeur;
Sur l'angle et les côtés ma main la détermine *.
L'ignorant le croit plat; j'épaissis sa rondeur :
Je le rends immobile, et la terre chemine.
Bref, je démens mes yeux en toute sa machine :
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon âme, en toute occasion,

Développe le vrai caché sous l'apparence;

1 Amplement. La Fontaine n'a pas tenu sa promesse. 2 Ici-bas ce grand corps, etc. Ce prologue serait excellent, dit Chamfort, si l'on faisait une coupure après le 15. vers, et que l'on passât tout de suite au 30, c'est-à-dire si l'on biffait à partir du vers: Ici-bas, etc., jusqu'à celui commençant ainsi : Quand l'eau courbe, etc., exclusivement.

L'œil de la nature. Le soleil nous fait voir tous les objets en général; il est donc figurément l'œil universel et, par suite, l'œil de la nature. Cette belle périphrase se retrouve chez les devanciers de notre poëte :

Il voit ce beau soleil, l'œil de Dieu et du monde.

(REMY BELLEAU, Complainte de Prométhée.) Cet astre, âme du monde, œil unique des cieux.

(Regnier DesmarETS, sonnet 2.)

J.-B. ROUSSEAU en a fait usage à son tour: La demeure de l'Envie est cet:

Antre noir, séjour des tristes ombres,

Où l'œil du monde est sans cesse éclipsé.

(Allég. 3.)

4 La détermine.

--

La se rapporte à distance.

Je ne suis point d'intelligence

1

[prompts, Avecque mes regards, peut-être un peu trop Ni mon oreille 2, lente à m'apporter les sons.

Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse3: La raison décide en maîtresse.

Mes yeux, moyennant ce secours,

Ne me trompent jamais en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune 5.
Y peut-elle être? Non. D'où vient donc cet objet?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La lune nulle part n'a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,
L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent
Un homme, un boeuf, un éléphant.
Naguère l'Angleterre y vit chose pareille.
La lunette placée, un animal nouveau
Parut dans cet astre si beau;

Et chacun de crier merveille.

↑ Avecque. V. suprà, les Loups et les Brebis (III, 12, p. 126, n. 4).

2 Ni mon oreille. Ni avec mon oreille. Ellipse.

3 Ma raison le redresse. « Un aviron, dit MONTAIGNE, semble courbe dans l'eau. Il n'importe pas justement qu'on voye la chose, mais comment on la voye. >>

Ne me trompent jamais, etc. Vers remarquable par son énergique précision.

3 Au corps de la lune. Du moins d'après l'opinion populaire qui est fort ancienne: car saint Clément d'Alexandrie prétend que le surnom de Gorgonios, donné à la lune, vient de la prétendue face qu'on y découvre. Voyez, sur cette idée, un livre intitulé: La sphère de la lune composée de la tête de la femme (Paris, 1632, in-8o).

Il étoit arrivé là-haut un changement

3

Qui présageoit sans doute un grand événement 1.
Savoit-on si la guerre entre tant de puissances
N'en étoit point l'effet? Le monarque accourut :
Il favorise en roi ces hautes connaissances.
Le monstre dans la lune à son tour lui parut.
C'étoit une souris cachée entre les verres :
Dans la lunette étoit la source de ces guerres. [çois
On en rit. Peuple heureux! quand pourront les Fran-
Se donner, comme vous, entiers à ces emplois 4? ·
Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire:
C'est à nos ennemis de craindre les combats,
A nous de les chercher, certains que la Victoire,
Amante de Louis, suivra partout ses pas.

Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire.
Même les filles de Mémoire 5

↑ Qui présageoit un grand événement. Allusion aux erreurs de l'astrologie.

2 Quand pourront, etc. VOLTAIRE nous offre une réminiscence de ce passage dans la Henriade:

Quand pourront les Français

Réunir, comme vous, la gloire avec la paix.

3 Les François. L'Angleterre était en paix avec toutes les puissances, tandis que la France faisait à la fois la guerre à la Hollande, à l'Espagne et à l'Empire.

4 Entiers à ces emplois. Dans les premières éditions de Cinna, on lit:

Et sont-ils morts entiers avecque leurs desseins?

Corneille substitua par la suite: sont-ils morts tout entiers? Cette expression s'est conservée, l'autre est tombée hors de

cours.

5 Les filles de Mémoire. Les Muses, filles de Jupiter et de Mnémosyne, déesse de la mémoire. V. suprà, Simonide préservé par les dieux (I, 13, p. 38, n. 1).

Ne nous ont point quittés; nous goûtons des plaisirs :
La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
Charles en sait jouir : il sauroit dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant, s'il pouvoit apaiser la querelle,
Que d'encens! est-il rien de plus digne de lui ??
La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars 3 ?
O peuple trop heureux ! quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-

1 Charles. Charles II, roi d'Angleterre.

[arts?

2 De lui. On voit par ces vers que cette fable a été composée vers le commencement de l'année 1677. Alors les puissances se trouvaient épuisées par la guerre, et désiraient la paix. L'Angleterre, qui seule était restée neutre, devint, par cette raison, l'arbitre des négociations qui se poursuivaient à Nimègue.

3 Du premier des Césars. Qui fit toujours la guerre.

LIVRE HUITIÈME.

FABLE PREMIÈRE.

La Mort et le Mourant.

Cff. ABTSEMIUS, 99.

La mort ne surprend point le sage :
Il est toujours prêt à partir,

S'étant su lui-même avertir

Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas! embrasse tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne

Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine ;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière

Est celui qui vient quelquefois

Fermer pour toujours leur paupière,
Défendez-vous par la grandeur;

Alléguez la beauté 2, la vertu, la jeunesse ;

1 Sage. Non deterret sapientem mors. (CICERON, Tuscul.) 2 Alléguez la beauté, etc. Rapprochez de ce passage l'élégie de PROPERCE sur la mort du jeune Marcellus :

Nirea non facies, non vis exemit Achillem, etc.

(Eleg., III, 16, v. 27.)

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