Page images
PDF
EPUB

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras',

Arbitre expert sur tous les cas.
Jean lapin pour juge l'agrée.

Les voilà tous deux arrivés

Devant sa majesté fourrée.

2

Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez, Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause. L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre 3,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autrea.

1 Gros et gras.

Et vient, bien fourré, gros et grás.

(VOLTAIRE, fable du Loup moraliste.)

L'un était gras à lard,

C'était l'aîné; sous son hermine,

D'un chanoine il avait la mine,

Tant il était dodu, potelé, frais et beau.

(FLORIAN, le vieux Chat et le vieux Rat.)

2 Grippeminaud. Autre nom burlesque emprunté de RABELAIS, liv. V, ch. II, intitulé : « Comment nous passasmes le guischet habité par Grippeminaud, archiduc des chats fourrez *. »

3 Le bon apôtre. Homme de bien. Ironie.

Ne vous y fiez pas,

C'est un matois; il fait le bon apôtre.

(J.-B. ROUSSEAU, liv. I, épitre 1.)

4 En croquant l'un et l'autre. Le dénouement de cet apologue ressemble un peu à celui de l'Huître et les Plaideurs, sauf qu'il est plus tragique pour les parties disputantes. - La morale en est peu consolante : les honnêtes gens seraient faits pour être d'abord dupes, et puis victimes?

* Le premier président du Parlement de Paris, suivant les commentateurs de Rabelais.

Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportants' aux rois.

FABLE XIII.

La Tête et la Queue du Serpent.

Cff. PLUTARQUE, Vie d'Agès et de Cléomène, t. VII, p. 311 de la traduction d'Amyot, éd. de Clavier, 1802, in-8°.

Le serpent a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et queue et toutes deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques cruelles :

Si bien qu'autrefois entre elles
Il survint de grands débats
Pour le pas.

La tête avoit toujours marché devant la queue.
La queue au ciel se plaignit,

1 VARIANTE : se rapportant. Cette leçon est celle de toutes les éditions modernes; la nôtre est celle de toutes les éditions originales. Si elle forme aujourd'hui une faute grammaticale, il n'en était pas de même du temps de notre poëte; Molière, Boileau et Racine offrent de fréquents exemples de la déclinaison de ce participe. Ce ne fut que vers 1680 que l'Académie se détermina à ne plus le décliner. (V. RAYNOUARD, Journal des savants, mars 1824, p. 149.)

Et lui dit :

Je fais mainte et mainte lieue

Comme il plaît à celle-ci :

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?
Je suis son humble servante 1.

On m'a faite, Dieu merci,

Sa sœur, et non sa suivante.
Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même sorte :
Aussi bien qu'elle je porte
Un poison prompt et puissant,
Enfin voilà ma requête :
C'est à vous de commander
Qu'on me laisse précéder,
A mon tour, ma sœur la tête.
Je la conduirai si bien,

Qu'on ne se plaindra de rien.

Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchants effets.
Il devroit être sourd aux aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors 3, et la guide nouvelle

4

1 Je suis son humble servante. Expression ironique et familière, comme on dit : je suis votre serviteur, pour marquer un refus.

2 Poison..... puissant. Erreur d'histoire naturelle : malgré le proverbe in caudâ venenum, il n'y a point de poison dans la queue du serpent.

3 Lors, pour alors. Est d'un usage fréquent dans nos premiers poëtes : « D'autres dedans m'incita lors. » (CL. Marot, le Temple de Cupido.) — « O combien lors y aura de veuves! » (MALH.) « O que lors dans ses deux rivages ! » (RACAN, Ode à Louis XIII.)

Guide. Le mot guide était autrefois féminin; mais, du

Qui ne voyoit, au grand jour,

1

Pas plus clair que dans un four 1, Donnoit tantôt contre un marbre. Contre un passant, contre un arbre : Droit aux ondes du Styx elle mena sa sœur

2

Malheureux les États tombés dans son erreur!

temps de La Fontaine, il n'était plus employé au féminin que pour rappeler les titres d'anciens ouvrages ascétiques, tels que la Guide des pécheurs, etc. Cependant ce changement d'usage était, à cet égard, assez récent, car le Dictionnaire de Nicot, imprimé en 1606, fait encore guide féminin. Aujourd'hui le mot guide est encore féminin, mais dans une acception toute spéciale; il désigne alors la lanière de cuir qu'on attache à la bride d'un cheval attelé à une voiture, et qui sert à le conduire.

1 Pas plus clair que dans un four. Comparaison triviale. • Aux ondes du Styx elle mena sa sœur, C'est-à-dire à la mort. Périphrase,

FABLE XIV.

Un Animal dans la Lune 1.

[ocr errors]

Pendant qu'un philosophe assure

Que toujours par leurs sens les hommes sont dupés, Un autre philosophe3 jure

Qu'ils ne nous ont jamais trompés.

Tous les deux ont raison, et la philosophie
Dit vrai quand elle dit que les sens tromperont
Tant que sur leurs rapports les hommes jugeront ;
Mais aussi, si l'on rectifie

L'image de l'objet sur son éloignement,
Sur le milieu qui l'environne,

Sur l'organe et sur l'instrument,

Les sens ne tromperont personne.

La nature ordonna ces choses sagement :

1 Le chevalier Paul Neal, un des membres de la Société royale de Londres, crut avoir aperçu au travers de son télescope un éléphant dans la lune; mais on découvrit bientôt que cet éléphant était simplement un insecte fourvoyé entre les deux vers du télescope. Ce fait porta La Fontaine à émettre, sur les erreurs de nos sens, des réflexions philosophiques auxquelles il lui a plu de donner le titre de fable. La même anecdote a inspiré à Samuel Butler, l'auteur d'Hudibras, un poëme satirique, intitulé l'Eléphant dans la Lune.

2 Un philosophe. Démocrite.

3 Un autre philosophe. Épicure.

« PreviousContinue »