Elle passoit pour un oracle. 1 L'oracle étoit logé dedans un galetas : Là, cette femme emplit sa bourse, Et, sans avoir d'autre ressource, D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville, Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire, Moi devine on se moque eh! messieurs, sais-je Je n'ai jamais appris que ma croix de par Dieu. [lire? 1 Dedans un galetas. On lit la note suivante dans l'édition de Malherbe par Ménage (p. 272) : « Ce poëte employe indifféremment dans et dedans, sous et dessous, en quoi il a été suivi par MM. de Port-Royal. Dedans et dessous ne sont plus du bel usage. » Galetas, logement pratiqué sous les combles, et ordinairement lambrissé de plâtre. Tout logement pauvre et mal en ordre. L'étymologie de ce mot est très controversée. 2 Sibylle. Les anciens appelaient de ce nom certaines femmes auxquelles ils attribuaient la connaissance de l'avenir et le don de prédire. (Cff. VIRG., En. VI, v. 99 et s.) 3 Devine. Pour devineresse. On dit devin, mais devine ne se dit pas, si ce n'est parmi le peuple, dont La Fontaine emprunte ici le langage pour ajouter à l'illusion. Notons qu'il met ce mot dans la bouche d'une femme qui ne sait pas même lire. Point de raisons : fallut deviner et prédire *, Et gagner malgré soi plus que deux avocats. On s'en seroit moqué : la vogue étoit passée L'autre femme se morfondit 6. L'enseigne fait la chalandise ". J'ai vu dans le palais une robe mal mise Gagner gros les gens l'avoient prise Pour maître tel, qui traînoit après soi ▲ Fallut. On rencontre dans RABELAIS la même ellipse du pronom : « Les faut-il pas touts deux brusler? - Fault. » (Pantagruel, V, c. XXIX.) 2 Et prédire. Ces vers rappellent l'aventure de Sganarelle : <<< Que diable est ceci, messieurs? De grâce, est-ce pour rire ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin. » (MOLIÈRE, le Médecin malgré lui, I, 6.) 3 Un manche de balai. Dans la croyance populaire, les sorcières se rendaient au sabbat en traversant les airs sur un manche de balai. Sabbat. L'assemblée nocturne que, suivant l'opinion populaire, les sorciers tiennent pour adorer le diable. 5 Métamorphose. C'est-à-dire la pratique ténébreuse de ceux qui se rendent à cette réunion diabolique, et qui s'y transforment en divers animaux. 6 Se morfondit. Attendit inutilement qu'on vînt encore la consulter dans sa nouvelle demeure. 7 Chalandise. Le concours des chalands ou acheteurs. FABLE XII. Le Chat, la Belette et le petit Lapin. Cff. Contes et fables indiennes de BIDPAï et de LOCKMAN, traduits par Galland et Cardonne, 1778, in-12, t. II, p. 342. 1 Du palais d'un jeune lapin Dame belette, un beau matin, Le maître étoit absent, ce lui fut chose aisée. Parmi le thym et la rosée. Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours 3, 1 Du palais. La Fontaine possède à un degré éminent l'art d'embellir l'idée par l'expression. Ce passage en est une nouvelle preuve. 2 Ses pénates. V. suprà, l'Homme qui court après la fortune et l'Homme qui l'attend dans son lit (h. l., p. 303, n. 2). 3 Ses tours. On trouve dans Ducis une réminiscence de ce gracieux passage : Vois moi, tous les matins, Broutant, trottant, sautant, égayer mes destins Entre les fleurs et la rosée. (Le Hibou et le Rat.) De tous les écrivains du siècle de Louis XIV, La Fontaine semble presque le seul qui ait regardé la nature ailleurs que dans les poëmes des anciens, et qui ait joint à l'étude une observation minutieuse et naïve. Les beautés du spectacle de la nature qu'il a décrites étaient simples et vulgaires, comme Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours. Que l'on déloge sans trompette 1, Ou je vais avertir tous les rats du pays. C'étoit un beau sujet de guerre, Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant3 ! Je voudrois bien savoir, dit-elle, quelle loi A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Jean lapin allégua la coutume et l'usage: Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis il pouvait les rencontrer dans ses promenades... La Fontaine décrivant un printemps de France, un printemps ordinaire, loin du ciel de la Grèce ou de l'Italie, La Fontaine montrant le lapin qui trotte à travers le thym et la rosée, est aussi poëte que les anciens le furent jamais. (VILLEMAIN, Cours de Litt. franç.; tableau du xvme siècle, 3° partie.) 1 Sans trompette: sans faire de bruit. 2 Qu'en rampant. La dame au nez pointu voudrait dégoûter Jeannot lapin, car elle n'est pas bien sûre de ses droits. 3 Est-ce une loi plus sage? - La loi du premier occupant était, au surplus, favorable à Jean lapin, puisque la belette était venue après lui. La Harpe fait au sujet de ce plaidoyer, Or bien 1, sans crier davantage, Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis 3. C'étoit un chat, vivant comme un dévot ermite, Un chat faisant la chattemite *, les réflexions suivantes : « Est-il possible de mieux discuter une cause? Tout y est mis en usage, coutume, autorité, droit naturel, généalogie. On y invoque les dieux hospitaliers. Ce sérieux, qui est si plaisant, excite en nous ce rire de l'âme que ferait naître la vue d'un enfant heureux de peu de chose.>> (Éloge de La Fontaine.) 1 Or bien. Expressions tout à fait à leur place dans la bouche d'un plaideur. 2 Rapportons-nous. Il faudrait à la rigueur : Rapportons nous EN. 3 Raminagrobis. Nom comique tiré de RABELAIS : « Nous avons ici, près la Villaumère, un vieux poëte; c'est Raminagrobis, lequel en seconde nopce espousa la grande gourre dont naquit la belle Bazoche. » (Pantagruel, liv. III, c. xxi.) Suivant les uns, ce nom se composerait des mots Raoul, hermine et gros bis, ce qui signifie proprement, dit-on, un chat qui fait le gros monsieur sous sa robe d'hermine. Suivant d'autres, ce nom est une corruption de domine Grobis (grobis, dans le vieux français, signifie fier, important). D'autres voyent dans Raminagrobis un composé des deux mots raminu et grobis: ramina veut dire chat; grobis ou grosbis éveille l'idée d'importance; Raminagrobis désignerait donc un chat d'importance. En résumé, l'étymologie de ce nom est très-incertaine. 4 Chattemitte. Catta mitis, la chatte douce. Tant bien sçavoit faire la chatte mitte. (GUILL. HAUDENT, 331, v. 8.) V. encore RABELAIS, liv. IV, second prologue. |