FABLE IX. L'Homme qui court après la fortune, et l'Homme qui l'attend dans son lit'. Qui ne court après la Fortune? Je voudrois être en lieu d'où je pusse aisément De ceux qui cherchent vainement Cette fille du Sort de royaume en royaume, Quand ils sont près du bon moment, L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe. Pauvres gens ! je les plains, car on a pour les fous Plus de pitié que de courroux. Cet homme, disent-ils, étoit planteur de choux; riques que ceux qui lui sont envoyés par le sommeil, si l'homme ne songeait qu'à remplir ses devoirs, à élever sa petite fortune par le travail, il ne perdrait pas un temps qui ne reviendra jamais; il ne s'exposerait pas, de gaîté de cœur, lui et les siens, à une ruine presque certaine, du moins à des privations. Le poëte grec Théocrite a mis dans la bouche d'un pêcheur qui veut corriger son camarade de la manie de croire aux promesses des songes, cette réflexion judicieuse et parfaitement exprimée : <<< On peut mourir de faim avec des songes d'or.» (Tissot.) 1 Cette fable semble être tout entière de l'invention de La Fontaine. ROBERT (Fables inédites du x11o, du xine et du XIVe siècle), renvoye à SAINT CYRILLE, liv. III, ch. 4. 2 Fantôme. Antithèse de mots et d'idées. Et le voilà devenu pape ! Ne le valons-nous pas? Vous valez cent fois mieux : Mais que vous sert votre mérite? La Fortune a-t-elle des yeux? Et puis, la papauté vaut-elle ce qu'on quitte, Qu'on en faisoit jadis le partage des dieux *! Elle vous cherchera: son sexe en use ainsi. Certain couple. d'amis, en un bourg établi, Vous savez que nul n'est prophète Le repos, le repos. Répétition pleine de charme, expression d'un sentiment vrai. 2 Le partage des dieux. Si l'on en doit croire Épicure, les dieux vivaient dans un doux repos, restant étrangers aux intrigues, aux révolutions et aux guerres de notre pauvre planète. Immortali ævo summa cum pace fruuntur. En son pays 1 : cherchons notre aventure 2 ailleurs. Cherchez, dit l'autre ami : pour moi, je ne souhaite Ni climats ni destins meilleurs. Contentez-vous; suivez votre humeur inquiète : Il arriva le lendemain En un lieu que devoit la déesse bizarre Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien. 5 Je ne puis héberger cette capricieuse ? On me l'avoit bien dit, que des gens de ce lieu 1 En son pays. Proverbe emprunté aux Saintes Écritures : Nemo propheta acceptus est in patria suá. (Luc, IV, 24.) • Cherchons notre aventure. Plus exactement : cherchons aventure. 3 Ou, si l'on veut, l'avare. Exemple de correction. Au coucher, au lever. S. e. du roi. Le coucher est l'heure à laquelle le roi reçoit ceux qu'il admet à lui faire leur cour, avant qu'il se retire pour se coucher (ACAD.). Héberger. Recevoir chez soi, loger. Appartient au style familier. 1 : Adieu, messieurs de cour; messieurs de cour, adieu. Celui-ci, pendant son voyage, Tourna les yeux vers son village Plus d'une fois, essuyant les dangers Des pirates, des vents, du calme et des rochers, Qu'il tira de ses longs voyages, Ce fut cette leçon que donnent les sauvages: 1 Surate: ville de l'Hindoustan, à l'entrée du golfe de Cambaye. 2 Et s'embarquer. La correction grammaticale exigerait la répétition de la préposition de. Le poëte sacrifie la grammaire à la vivacité du tour. 3 Armé de diamant. Image qui met en mémoire ce passage d'HORACE : et le tunica tectum adamantina de l'ode 6' cod. lib. 4 Pirates: écumeurs de mer, qui courent les mers pour voler. Dérivé du grec περárns, qui tente la fortune, aventurier. Demeure en ton pays, par la nature instruit 1. Ce qui lui fit conclure en somme Qu'il avoit à grand tort son village quitté. Revient en son pays, voit de loin ses pénates 3, Ce que c'est que la cour, la mer et ton empire, 1 Par la nature instruit. Construction négligée. 2 Ses pénates. Son habitation, sa demeure. Les dieux pénates, les dieux domestiques des anciens païens. 3 Heureux qui vit chez soi, etc. O bienheureux celui qui, loin retiré de la foule importune, Vivant dans sa maison, content de sa fortune, A, selon son pouvoir, mesuré ses désirs. (RACAN, Stances sur la retraite.) ▲ Fortune, etc. La Fontaine est toujours animé, toujours plein de mouvement et d'abondance, lorsqu'il s'agit d'inspirer l'amour de la retraite, de la douce incurie, de la médiocrité dans les désirs. Voyez cette apostrophe et ton empire, Fortune! et puis cette longue période qui semble se prolonger comme les fausses espérances que la Fortune nous donne, et l'adresse avec laquelle il garde pour la fin sans que l'effet aux promesses réponde. Ce sont là de ces traits qui n'appartiennent qu'à un grand poëte. (Chamfort. ) |