Page images
PDF
EPUB

Mais enfin il le faut. Je ne puis arrêter

[maine : Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une seEmployez-la; formez trois souhaits car je puis Rendre trois souhaits accomplis;

Trois, sans plus. Souhaiter, ce n'est pas une peine Étrange et nouvelle aux humains.

Ceux-ci, pour premier vou, demandent l'abondance; Et l'Abondance à pleines mains

Verse en leurs coffres la finance,

En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins : Tout en crève. Comment ranger cette chevance? Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut! Tous deux sont empêchés si jamais on le fut,

Les voleurs contre eux complotèrent;

Les grands seigneurs leur empruntèrent ; Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens Malheureux par trop de fortune.

Otez-nous de ces biens l'affluence importune,
Dirent-ils l'un et l'autre heureux les indigents!
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, trésors; fuyez et toi, déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos,

O Médiocrité, reviens vite ! A ces mots

▲ Empêchés. V. suprà, l'Ane chargé d'éponges et l'Ane chargé de sel (II, 7, p. 76, n. 5).

2 Empruntèrent. La Fontaine songe à ses contemporains. Sous Louis XIV, les grands seigneurs empruntaient beaucoup, surtout pour entrer en campagne.

3 O médiocrité, reviens vite, etc.

Auream quisquis mediocritatem
Diligit, tutus caret obsoleti

Sordibus tecti, caret invidenda

Sobrius aula.

(HOR., Ode II, 10, v. 5 et s.)

Quand La Fontaine parle de la médiocrité, c'est toujours d'inspiration. Il est bien au-dessus d'Horace. (CH. NODIER.)

La Médiocrité revient. On lui fait place :
Avec elle ils rentrent en grâce,

Au bout de deux souhaits, étant aussi chanceux 1
Qu'ils étoient, et que sont tous ceux

Qui souhaitent toujours et perdent en chimères
Le temps qu'ils feroient mieux de mettre à leurs
Le follet en rit avec eux 2.

Pour profiter de sa largesse,

[affaires :

Quand il voulut partir, et qu'il fut sur le point,
Ils demandèrent la sagesse :

C'est un trésor qui n'embarrasse point.

1 Chanceux. Malheureux.

2 Rit avec eux. La Fontaine, au commencement de cette fable, a établi que le follet était l'ami de ces bonnes gens, et s'intéressait véritablement à eux. Cependant le follet n'a aucun regret qu'ils aient perdu cette abondance tant désirée; il en est, au contraire, fort aise, parce qu'il voit qu'ils seront plus heureux dans la médiocrité. Peut-on rendre la morale plus aimable et plus naturelle? (CHAMFORT.)

3 N'embarrasse point. Rappelle le omnia mecum porto de Bias, fuyant Priène, sa patrie.

FABLE V.

La cour du Lion.

Cff. PHEDRE, IV, f. 12; Regnerii, Apologi Phædrii,
pars I, fab. xxxIII.

Sa majesté Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le ciel l'avoit fait maître.
Il manda donc pour députés

Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture
Avec son sceau. L'écrit portoit
Qu'un mois durant le roi tiendroit
Cour plénière 3, dont l'ouverture
Devoit être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin *.

1

1 Connaître. Bime remarquable, dit Ch. Nodier, parce qu'elle est un des premiers exemples de la prononciation italienne dans un livre classique.

2 Vassaux : ceux qui relèvent d'un seigneur à cause d'un fief. Ce terme a pour corrélatif celui de suzerain.

3 Cour plénière. Allusion aux assemblées solennelles que les rois de France tenaient le jour de quelque grande fête. Est-il nécessaire de faire remarquer combien tous les détails de ce début sont heureusement choisis, et comme ils contribuent à mettre la chose sous les yeux? Ut pictura poesis.

Fagotin. Nom d'un singe alors fameux à Paris par ses

tours.

Par ce trait de magnificence

Le prince à ses sujets étaloit sa puissance.

En son Louvre il les invita.

Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'ours boucha sa narine :
Il se fùt bien passé de faire cette mine;
Sa grimace déplut: le monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le singe approuva fort cette sévérité;
Et, flatteur excessif, il loua la colère *

Et la griffe du prince, et l'antre, et cette odeur :
Il n'étoit ambre, il n'étoit fleur

Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.

▲ L'envoya chez Pluton, etc. C'est-à-dire le fit mourir. Suivant la légende grecque, Pluton est le dieu des enfers.

2 Et, flatteur excessif, il loua la colère. Vers sans rime, précédé de trois rimes masculines de suite; double négligence qui ne se trouve corrigée dans aucune des éditions originales. L'abbé AUBERT a proposé la leçon suivante :

Le monarque, irrité,

L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.

Le singe approuva fort cette action sévère,
Et, flatteur excessif, il loua la colère, etc.

(Journal des Beaux-Arts, mai 1772.)

Des éditeurs se sont bornés à modifier le passage de la manière suivante :

Le monarque, irrité,

L'envoya chez Pluton faire

Le dégoûté.

(V. l'éd. de Montenaut, 1757.)

Cet artifice, qui répare la négligence signalée, a l'avantage d'être, comme dit Geruzez, conforme aux habitudes de La Fontaine, qui aime à varier la coupe de ses vers.

Ce monseigneur du lion-là

Fut parent du Caligula '.

Le renard étant proche: Or çà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le-moi parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,

Alléguant un grand rhume: il ne pouvoit que dire
Sans odorat 2. Bref, il s'en tire.

Ceci vous sert d'enseignement :

3

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire 3,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand 5.

1 Caligula. Caligula mit sa sœur Drusille au rang des divinités, et sévissait également contre ceux qui pleuraient sa mort et contre ceux qui ne la pleuraient point; les premiers insultaient, suivant lui, à son apothéose; les seconds se montraient insensibles à sa perte. (DION. CASS., Hist., lib. LIX, C. 2; SUET., Calig., 24.)

[blocks in formation]

Il ne faut, à la cour, ni trop voir ni trop dire.

s Répondre en Normand. Ce qui signifie ne dire ni oui ni non, répondre en termes ambigus. De cette réputation qu'ont les Normands est venu cet autre proverbe : Un Normand a son dit et son dédit. Le précepte du poëte n'est pas marqué au coin d'une morale très-rigoureuse.

« PreviousContinue »