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Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis 1 étoit bloquée :

On les avoit contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandoient fort peu, certains que le secours
Seroit prêt dans quatre ou cinq jours.
Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus :
En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? Que peut-il faire

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

1 Ratopolis. Mot composé, qui signifie ville des Rats.

FABLE III.

Le Héron.

Cff. CAMERARIUS, Gulæ deditus 1

Un jour, sur ses longs pieds, alloit je ne sais où
Le héron au long bec emmanché d'un long cou2:
Il côtoyoit une rivière.

L'onde étoit transparente ainsi qu'aux plus beaux
La commère la carpe y faisoit mille tours

Avec le brochet son compère 3.

Le héron en eût fait aisément son profit 4:

[jours;

1 Dans cette fable de Camérarius, un gourmand est invité à un grand repas à la campagne. Chemin faisant, il rencontre une poire; bien loin de la ramasser, il la dédaigne d'une manière outrageante. Cependant un torrent qu'il devait traverser s'étant subitement enflé, il se voit forcé de rétrograder à jeun; et alors il est tout heureux de retrouver sa poire qu'il essuye avec précaution: maigre soulagement pour un ventre affamé.

2 Un jour, sur ses longs pieds, etc. Ces deux vers parlent tout ensemble à l'esprit, aux yeux et à l'oreille. On s'étonne à bon droit que Voltaire les ait critiqués, en regardant comme une puérilité la répétition du mot long. (Siècle de Louis XIV, art. LA FONTAINE.)

3 Avec le brochet son compère. Ailleurs :

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cicogne.

(Suprà, le Renard et la Cicogne, I, 16, p. 46)

Le héron en eût fait, etc.

Le galant en eût fait volontiers un repas.

(Suprà, le Renard et les Raisins, III, 10, p. 123.)

Tous approchoient du bord; l'oiseau n'avoit qu'à

[prendre.

Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivoit de régime ', et mangeoit à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau 2
S'approchant du bord 5, vit sur l'eau

Des tanches qui sortoient du fond de ces demeures 4.
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendoit à mieux,
Et montroit un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace 5.

Moi, des tanches! dit-il; mói, héron, que je fasse
Une si pauvre chère! Eh! pour qui me prend-on!

1 Vivoit de végime. Manière de vivre où l'on s'observe beaucoup sur la qualité et la quantité des aliments et des boissons.

2 L'oiseau, etc. Nul poëte n'a autant varié sa versification par la césure et le repos de ses vers, par la manière dont il entremêle les grands et les petits, par celle dont il croise ses rimes. Rien ne contribue autant à sauver la poésie française de l'espèce de monotonie qu'on lui reproche. Le genre dans lequel La Fontaine a écrit est celui qui se prêtait le plus à cette variété de mesure de rimes et de vers; mais il faut convenir qu'il a été heureusement aidé par son génie, par la finesse de son goût et la délicatesse de son oreille. (CHAMFORT.)

3 S'approchant du bord. Ce vers forme contraste avec celui où le poëte représente les poissons qui tous approchaient du bord.

4 Sortaient du fond de ces demeures. N'est point indifférent : cela commence à sentir la bourbe.

5 Le rat du bon Horace, etc. Allusion à ces vers du poëte latin :

cupiens varia fastidia cond
Vincere tangentis male singula dente superbo.

(II. sat. 6, v. 86, 87.)

u

La tanche rebutée, il trouva du goujon.

De goujon! c'est bien là le diner d'un héron!
J'ouvrirois pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!

Il l'ouvrit pour bien moins: tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;
On hasarde' de perdre en voulant trop gagner,
Gardez-vous de rien dédaigner.

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L'avarice perd tout en voulant tout gagner.

(La Poule aux OEufs d'or, v, 13, p. 213.)

2 Suivant Walckenaer, le fond de cet apologue est tiré d'un ancien conte arabe. On a cité les anciens fabliaux, t. iv, p. 227, du recueil de LEGRAND D'AUSSY, et MARIE DE FRANCE, t. II, p. 140, fable 21. Si La Fontaine a connu quelques unes de ces sources, c'est par l'intermédiaire d'auteurs plus modernes. - Voyez aussi un morceau de Rabelais contre les vœux exagérés des hommes (nouveau prologue du ive livre).

3 Mogol. Contrée au nord de la Chine.

Follet. Sorte de lutin familier qui, selon le préjugé populaire, est plus malin que malfaisant.

Tiennent la maison propre, ont soin de l'équipage, Et quelquefois du jardinage.

Si vous touchez 1 à leur ouvrage,

Vous gâtez tout. Un d'eux près du Gange autrefois
Cultivoit le jardin d'un assez bon bourgeois.
Il travailloit sans bruit, avec beaucoup d'adresse,
Aimoit le maître et la maîtresse,

Et le jardin surtout. Dieu sait les Zéphyrs 3,
Peuple ami du démon, l'assistoient dans sa tâche !
Le follet, de sa part, travaillant sans relâche,
Combloit ses hôtes de plaisirs.

Pour plus de marques de son zèle, Chez ces gens pour toujours il se fût arrêté, Nonobstant la légèreté

A ses pareils si naturelle;

Mais ses confrères les esprits

Firent tant que le chef de cette république,
Par caprice ou par politique,

Le changea bientôt de logis.

Ordre lui vint d'aller au fond de la Norwége
Prendre le soin d'une maison

En tout temps couverte de neige ;

Et d'Indou qu'il étoit on vous le fait Lapon *.
Avant que de partir, l'esprit dit à ses hôtes :
On m'oblige de vous quitter;

Je ne sais pas pour quelles fautes:

1 Si vous touchez. L'emploi de la seconde personne est un latinisme. Dans le style ordinaire, on dirait : si l'on touche. 2 Gange grand fleuve des Indes qui se jette dans le golfe de Bengale.

3 Zéphyrs.V. suprà, le Chêne et le Roseau (1, 20, p. 57, n. 2). Lapon. Notez l'allure dégagée de ce vers.

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