Ne volez plus de place en place, De passer, comme nous, les déserts et les ondes, C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr; 3 Se mirent à jaser aussi confusément Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvroit la bouche seulement. Il en prit 5 aux uns comme aux autres : Maint oisillon se vit esclave retenu. [nôtres, Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les Et ne croyons le mal que quand il est venu. 1 Imitez le canard, etc. Oiseaux de passage. 2 Aux trous, pour dans les trous. 3 Jaser. Babiller. 4 Cassandre. Allusion à Cassandre, fille du roi Priam. On sait, par Virgile, que cette femme était douée du don de la divination : elle prédit aux Troyens les malheurs qui les menaçaient, mais ses tristes prophéties ne furent pas écoutées. 5 Il en prit, il en advint. Dénouement rapide. Cff. celui des Animaux malades de la peste, VII, 1. FABLE IX. Le Rat de ville et le Rat des champs. Cette fable a été traitée par Horace (liv. II, sat. 6) avec une telle supériorité, que La Fontaine semble avoir renoncé de lutter avec l'original. Le poëte latin a été l'objet de nouvelles imitations dans les temps modernes : nous citerons notamment celles d'André Chénier, de Collin d'Harleville et surtout celle d'Andrieux. Autrefois le rat de ville 1 Reliefs d'ortolans. Forme elliptique, pour : inviter à partager des, etc. Ortolan. Petit oiseau de passage, d'un goût délicat. Sur le mot reliefs, voy. h. l., 2 En train de déguster les mets. Ellipse. f. 5. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le rat de ville détale 1, Le bruit cesse, on se retire: C'est assez, dit le rustique ; Mais rien ne vient m'interrompre ; Adieu donc. Fi du plaisir 5 Que la crainte peut corrompre ! ↑ Le rat de ville détale. Détaler, expression familière et pittoresque, qui signifie quitter brusquement la place, et malgré soi. 2 Ce n'est pas que je me pique, etc. « On se pique de somptuosité, de magnificence, relativement à un festin, mais non de festins magnifiques. » Cette observation d'un commentateur nous semble peu fondée. Il y a là tout simplement une ellipse: Ce n'est pas que je me pique (que je me glorifie) D'ENTRER EN PART DE TOUs, etc. 2 Fi du plaisir. Nouvelle ellipse: Je fais fi..., je dédaigne. FABLE X. Le Loup et l'Agneau. Cff. ESOPE, f. 101; PHÈDRE, I, f. 1. La raison du plus fort est toujours la meilleure1: La raison du plus fort, etc. Ce fut de tous les temps que, ployant sous l'effort (REGNIER, sat. 3o.) Plusieurs ne semblent voir dans cet apologue qu'une vérité triviale, que le faible est opprimé par le fort. Ce ne serait pas, dit Chamfort, la peine de faire une fable. Ce qui fait la beauté de celle-ci, c'est la prétention du loup qui veut avoir raison dans son injustice, et qui ne supprime tout prétexte et tout raisonnement que lorsqu'il est réduit à l'absurde par les réponses de l'agneau. L'explication de Chamfort ne nous semble pas tout à fait irréprochable. Il est évident que La Fontaine, en formulant sa moralité d'une manière absolue, ne l'a pas fait sans y mêler un grain d'ironie; car, à l'honneur de l'humanité, il faut bien reconnaître que la force ne triomphe pas toujours. Peut-être La Fontaine aurait-il échappé aux commentaires, s'il avait adopté simplement la maxime de Phèdre : Hæc propter illos scripta est fabula Qui fictis causis innocentes opprimunt. On ne lira pas sans intérêt le jugement porté sur cet apologue par Napoléon Ier, à l'occasion d'une anecdote que rapporte le Mémorial de Sainte-Hélène : « L'empereur a rencontré le petit Tristan, fils aîné de M. de Montholon, qui n'a guère que sept ans... Il l'a fait approcher entre ses Nous l'allons montrer tout à l'heure1. Un agneau se désaltéroit Dans le courant d'une onde pure. Un loup survient à jeun, qui cherchoit aventure, Qui te rend si hardi de toubler mon breuvage? Tu seras châtié de ta témérité 2. Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté Mais plutôt qu'elle considère deux jambes et a voulu lui faire réciter quelques fables, dont le pauvre enfant sur dix mots n'en comprenait pas deux. L'empereur riait beaucoup, condamnait qu'on donnât La Fontaine aux enfants qui ne pouvaient l'entendre, et s'est mis à expliquer ces fables à Tristan, à vouloir les lui rendre sensibles. Et rien de pļus curieux que ses développements, leur simplicité, leur justesse, leur logique... L'empereur trouvait qu'il y avait beaucoup trop d'ironie dans cette fable le Loup et l'Agneau, pour être à la portée des enfants; elle péchait d'ailleurs dans son principe et dans sa morale, et c'était la première fois qu'il s'en sentait frappé. Il était faux que la raison du plus fort fût toujours la meilleure; et si cela arrivait en effet, c'était là le mal, disait-il, l'abus qu'il s'agissait de condamner. Le loup donc eût dû s'étrangler en croquant l'agneau. >> (Mémorial de Sainte-Hélène; Paris, Bourdin, 1842; gr. in-8o, t. I, pp. 780-781.) 1 Tout à l'heure. Sur le champ. Cff. la Mort et le Mourant, VIII, 1. 2 Tu seras châtié, etc. Le loup ne laisse pas à l'agneau le temps de présenter sa défense; l'accusation et la condamnation sont tout un pour lui. |