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AVERTISSEMENT.

Voici un second recueil de fables que je présente au public 1. J'ai jugé à propos de donner à la plupart de celles-ci un air et un tour un peu différent de celui que j'ai donné aux premières, tant à cause de la différence des sujets, que pour remplir de plus de variété mon ouvrage. Les traits familiers que j'ai semés avec assez d'abondance dans les deux autres parties convenoient bien mieux aux inventions d'Esope qu'à ces dernières, où j'en use plus sobrement pour ne pas tomber en des répétitions; car le nombre de ces traits n'est pas infini. Il a donc fallu que j'aie cherché d'autres enrichissements, et étendu davantage les circonstances de ces récits, qui d'ailleurs me sembloient le demander de la sorte. Pour peu que le lecteur y prenne garde, il le reconnoîtra lui-même : ainsi je ne tiens pas qu'il soit

Ce recueil formait la troisième et la quatrième partie, deux volumes in-12, 1678 et 1679. Il contenait cinq livres.

2 C'est-à-dire la première et la seconde partie qui contenaient les six premiers livres; ils avaient paru en 1668 et en 1669, in-12 et in-4o, et ils furent réimprimés en 1678 avec la troisième et la quatrième partie.

nécessaire d'en étaler ici les raisons, non plus que de dire où j'ai puisé ces derniers sujets. Seulement je dirai, par reconnoissance, que j'en dois la plus grande partie à Pilpay, sage indien. Son livre a été traduit en toutes les langues. Les gens du pays le croient fort ancien, et original à l'égard d'Esope, si ce n'est Ésope lui-même sous le nom du sage Locman. Quelques autres m'ont fourni des sujets assez heureux. Enfin j'ai tâché de mettre en ces deux dernières parties toute la diversité dont j'étois capable.

Il s'est glissé quelques fautes dans l'impression. J'en ai fait faire un errata; mais ce sont de légers remèdes pour un défaut considérable. Si on veut avoir quelque plaisir de la lecture de cet ouvrage, il faut que chacun fasse corriger ces fautes à la main dans son exemplaire, ainsi qu'elles sont marquées par chaque errata, aussi bien pour les deux premières parties que pour les dernières.

LIVRE SEPTIÈME.

FABLE PREMIÈRE.

Les Animaux malades de la peste.

Cff. JEAN RAULIN, Sermon de la pénitence; GUILL. GUEROULT, le premier livre des Emblèmes, p. 40, éd. de Lyon, 1540, in-8°; HAUDENT, Trois-cent-soixante-six apologues d'Ésope, liv. II, fable 9.

Un mal' qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron 2,

↑ Un mal, etc. Les six premiers vers renferment une période pleine qui se soutient d'un bout à l'autre. Qu'on la relise, l'oreille est occupée, l'esprit content, le cœur remué: c'est la suspension qui produit une partie de ces effets. (BATTEUX.)

2 Capable d'enrichir en un jour l'Acheron. Sophocle, décrivant aussi une peste au commencement de l'OEdipe-Roi, avait dit :

"Αιδης στεναγμοῖς καὶ γόοις πλουτίζεται.

Or, La Fontaine avait fort étudié les anciens : « Ce qu'on ne s'imaginerait pas, dit l'abbé d'Olivet, c'est qu'il faisait ses délices de Platon et de Plutarque. J'ai tenu les exemplaires

Faisoit aux animaux la guerre

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés:
On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitoit leur envie 2;
Ni loups ni renards n'épioient
La douce et l'inocente proie3;
Les tourterelles se fuyoient :

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis *,

qu'il en avait ; ils sont notés de sa main à chaque page, et j'ai pris garde que la plupart de ses notes étaient des maximes de morale ou de politique qu'il a semées dans ses fables. >> 1 Faisoit... la guerre. BOILEAU a dit :

A qui la faim, la soif partout faisaient la guerre.

Nul mets n'excitoit leur envie. C'est ce que VIRGILE a exprimé avec tant de charme, dans la description de son épizootie: Labitur infelix studiorum atque immemor herbæ,

Victor equus.

(Georg., III, v. 498.)

3 Innocente proie. Cette proie n'offre plus que de douces et innocentes victimes aux loups et aux renards, à qui les vengeances célestes ont dessillé les yeux sur leurs rapines et leurs perfidies.

▲ Les tourterelles se fuyoient, etc. Peut-on mieux exprimer la désolation que par ce vers : les tourterelles se fuyoient! Ce sont de ces traits qui valent un tableau tout entier. (CHAMFORT.) BOCCACE termine d'une manière analogue sa description de la peste de Florence: « Et qui plus grande chose est, et quasi incroyable, les pères et mères fuyaient de servir et visiter leurs enfants. » (Décameron, 1re journée.)

Mes chers amis. On a souvent signalé l'art avec lequel le lion commence l'aveu de ses crimes. Les animaux sont ses chers amis, car le commun malheur a effacé les distances

Je crois que le ciel a permis1

Pour nos péchés 2 cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;

Peut-être il obtiendra la guérison commune.

3

L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents

On fait de pareils dévoúments.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence

L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait ? Nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger'.

Je me dévoùrai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;

sociales; en outre, il se sert de ces termes affectueux, parce que cette affabilité, en lui conciliant les esprits, doit tourner à son avantage personnel.

1 Permis, etc. Le ciel n'est pas l'auteur du mal, il ne fait que le permettre. Cette idée est irréprochable au point de vue religieux. Écoutez BOSSUET: « Quand Dieu laisse sortir du puits de l'abîme la fumée qui obscurcit le soleil, selon l'expression de l'Apocalypse, c'est-à-dire l'erreur et l'hérésie; quand... il permet à l'esprit de séduction de tromper les âmes hautaines, etc. » (Oraison fun. de la reine d'Angleterre.)

2 Pour nos péchés, etc. Plus humble et plus pieux que pour nos forfaits.

3 L'histoire, etc. Cette sage conseillère des princes, comme l'appelle BOSSUET. (Oraison funèbre de la duchesse d'Orléans.)

Le berger. Il semble qu'il voudrait bien escamoter un péché aussi énorme. (CHAMFORT.)

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