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Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine

Se peut souffrir; une demi-douzaine Mettra la mer à sec et tous ses habitants. Adieu joncs et marais, notre race est détruite ; Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens 1, ne raisonnoient pas mal 2.

FABLE XIII.

Le Villageois et le Serpent.

Cff. ÉSOPE, f. 153, 173; PHèdre, IV, 17; Ysopet I, f. 10.

Ésope conte qu'un manant 3,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant
A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile, rendu,

▲ Pour un pauvre animal, grenouilles, à mon sens, etc. Il faudrait pour de pauvres animaux.

2 Pas mal. Voici, dit CHAMFORT, une de ces vérités épineuses qui veulent être dites avec finesse et mesure. La Fontaine y en met beaucoup, et ce dernier vers, malgré son apparente simplicité, laisse entrevoir tout ce qu'il ne dit pas.

Manant, paysan. V. suprà, l'Hirondelle et les petits Oiseaux (I, 8, p. 21, n. 4).

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer 1
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère 2.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur 3, son sauveur et son père.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras ! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;

4

1 Loyer la récompense, le salaire. V. infrà, l'Homme et la Couleuvre (X, 2). REGNIER dit, en parlant de la cour, qu'elle est un pays étrange :

Où les lois par respect sages humainement,
Confondent le loyer avec le châtiment.

(Sat. III.)

Cette acception, qui a vieilli, s'est conservée dans la langue

poétique :

Afin qu'en ta vieillesse un livre en maroquin
Aille offrir ton travail à quelque heureux faquin,
Qui, pour digne loyer de la Bible éclaircie,

Te paye, en l'acceptant, d'un « Je vous remercie. »

(BOIL., sat. VIII, v. 221-224.)

Très-peu de gré, mille traits de satire,
Sont le loyer de quiconque ose écrire.

(VOLT., Ép. à la duchesse du Maine.)

2 Colère. Transposition d'idées. C'est la colère qui lui revient avec l'âme. (GERUZEZ.)

3 Contre son bienfaiteur, etc. Énumération progressive qui fait ressortir l'ingratitude du serpent.

Il vous prend. Gallicisme.

Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue et la tête. L'insecte1, sautillant, cherche à se réunir 2; Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :

2

Mais envers qui? c'est là le point 3.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

L'insecte. Le mot insecte appliqué au serpent est d'une complète inexactitude. C'est par des fautes de ce genre que La Fontaine a donné droit à VOLTAIRE de dire de lui : « Ce n'était pas un homme d'un goût toujours sûr... et c'est encore un défaut remarquable dans lui de ne pas parler correctement sa langue. >> Ces réserves faites sur certaines incorrections, Voltaire admire vivement notre poëte, et déclare que ses Ouvrages iront à la dernière postérité (Louandre).

2 Cherche à se réunir. On pourrait peut-être critiquer cherche à se réunir pour réunir les trois portions de son corps; mais La Fontaine a visé à la précision.

3 C'est là le point. Rappelons-nous que la morale de La Fontaine ne doit pas être jugée trop sévèrement. Nous en avons ici une nouvelle preuve le fabuliste semble s'être souvenu de CICERON, qui dit, en citant Ennius: Beneficia male locata malefacta arbitror; et avoir oublié la belle maxime chrétienne : Benefacite his qui oderunt vos (MATH., V, 44).

FABLE XIV.

Le Lion malade et le Renard,

Cff. ÉSOPE, f. 91, 157; HoR., Ep. I, v. 73 ;
PHILIBERT HÉGÉMON, f. 9.

De par le roi des animaux 1,
Qui dans son antre étoit malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de lion, très-bien écrite :
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute :
De chaque espèce on lui députe.
Les renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison :

Les pas empreints 2 sur la poussière

De par le roi des animaux. Ces formules, prises dans la société des hommes, et transportées dans celle des bêtes, ont le double mérite d'être plaisantes et de nous rappeler sans cesse que c'est de nous qu'il s'agit dans les fables.

2 Les pas empreints, etc. Ces vers, dont la construction est négligée, offrent une réminiscence d'HORACE :

Olim quod vulpes ægroto cauta leoni

Respondit, referam : « Quia me vestigia terrent
Omnia te adversùm spectantia, nulla retrorsùm.

(Ep. I, v. 73 et s.)

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;

1

:

Pas un ne marque de retour
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon, mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre *,
Et ne vois pas comme on en sort.

FABLE XV.

L'Oiseleur, l'Autour et l'Alouette.

Cff. ABSTEMIUS, f. 3; YSOPET I, f. 46; I, f. 61.

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.

1 Pas un ne marque de retour. Peut-être était-il d'un goût sévère de s'arrêter là, et de ne pas ajouter les vers suivants, qui n'enchérissent en rien sur la pensée (CHAMFORT).

2 Je vois fort bien comme l'on entre, etc.

Ailleurs LA FONTAINE dit, en parlant du greffe :

Le greffe tient bon,

Quand une fois il est saisi des choses;

C'est proprement la caverne au lion :

Rien n'en revient.

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