Sage ou non, je parie encore. On mit près du but les enjeux '. Ni de quel juge l'on convint. Notre lièvre n'avoit que quatre pas à faire; J'entends de ceux qu'il fait lorsque, prêt d'être atteint 2, Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes 3, Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, D'où vient le vent, il laisse la tortue Aller son train de sénateur. Elle part, elle s'évertue; Enjeux. Enjeu ce que l'on met au jeu en commen çant à jouer, pour être pris par celui qui gagnera. 2 Prêt d'être atteint. V. suprà, le Cygne et le Cuisinier (III, 11, p. 125, n. 1). 3 Calendes. A la rigueur il faudrait: aux calendes grecques. C'étaient les Romains, et non les Grecs, qui avaient des calendes dans leur calendrier: et cette expression les calendes grecques signifie un terme ou un temps indéfini, ou mieux, un temps qui n'arrivera jamais. Quùm (Augustus) aliquos nunquàm soluturos significare vult, ad calendas græcas soluturos aït (SUET., Aug., c. LXXXVI). « Quand serez-vous hors de debte?» demanda Pantagruel. « Es calendes grecques, » répondit Panurge, « lorsque tout le monde sera content, etc. » La Fontaine, supposant le lecteur au courant de ce détail d'érudition, s'est contenté de dire que le lièvre renvoye les chiens aux calendes. D'où vient le vent. Expression vulgaire et proverbiale, pour marquer l'insouciance. Elle se hâte avec lenteur 1. Lui cependant méprise une telle victoire, Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Se hâte avec lenteur. C'est, au dire de SUÉTONE, le mot d'Auguste, qui avait pour règle de se hâter lentement : « Crebro itaque illa jactabat : Eñɛvde 6padéws. » (Aug., c. xxv). BOILEAU a dit à son tour: Hâtez-vous lentement, quelqu'ordre qui vous presse. (Art Poét., I, v. 171.) 2 Furent vains. La coupe de ce dernier vers, et ce monosyllabe au troisième pied, expriment à merveille l'inutilité de l'effort que fait le lièvre. (CHAMFORT.) Maison. La tortue, non contente d'être victorieuse, brave encore le vaincu. C'est dans la joie qui suit un avantage remporté, que l'amour-propre s'épanche plus librement. La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. (ID.) FABLE XI. L'Ane et ses Maîtres. Cff. ÉSOPE, f. 132, 45. L'âne d'un jardinier se plaignoit au Destin ' Et pourquoi? pour porter des herbes au marché, Le Sort, de sa plainte touché, Lui donne un autre maître, et l'animal de somme 1 Destin. Dans les idées de l'antiquité païenne, le Destin n'est autre chose que la fatale nécessité à laquelle Jupiter lui-même était soumis. 2 Matineux. Qui est dans l'habitude de se lever matin. Matinal, qui s'est levé matin : celui-ci exprime un accident. 3 La pesanteur, etc. Targa substitue à ce motif de dégoût pour le pauvre animal, un autre sujet de plainte plus plaisant ; il lui fait dire : Qual miseria oggi è maggiore Di questa mia, se mi conviene il carco De' pelli de' fratelli ? atroce incarco! « Quel sort malheureux est comparable au mien? Est-ce donc moi qu'il convient de charger des peaux de mes frères? O fardeau abominable! >> Eurent bientôt choqué l'impertinente bête. J'attrapois, s'il m'en souvient bien, Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien : Il fut couché tout le dernier. Autre plainte. Quoi donc ! dit le Sort en colère, Que cent monarques pourroient faire ! Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits : Nous lui romprons encor la tête ♣. 1 Aubaine. Dans le style familier, ce mot désigne tout avan tage inespéré qui nous arrive. 2 Ne nous contente, etc. Suam quisque conditionem miserrimam putat (CIC., Ep. ad Torquatum). Voyez aussi HoR., Sat., I, 1. 3 Placets. Ce terme se dit de toute demande écrite, tendant a obtenir justice, grâce ou faveur. Nous lui romprons, etc. Ailleurs : Jupin en a bientôt la cervelle rompue. (Les Grenouilles qui demandent un roi, III, 4, p. 109 et s.) FABLE XII. Le Soleil et les Grenouilles. Cff. PHEDRE, I, f. 6. Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse 3 De songer à l'hyménée. Aussitôt on ouït, d'une commune voix, Les citoyennes des étangs 5. Que ferons-nous, s'il lui vient des enfants? A Liesse. Du latin lætitia, joie, réjouissance. Ce terme a vieilli. L'ung me fait paour *; l'autre joye et lyesse. (VILLON, Grand Testament.) « Ainsi, dit Panurge, que je regardais en grand liesse ce beau feu. » (RABELAIS, Pantagruel, II, ch. xiv.) 2 Ésope. La fable originale d'Ésope n'est point parvenue jusqu'à nous; c'est à l'imitation de Phèdre, qui le cite dans la sienne pour auteur original de cet apologue, que La Fontaine en fait honneur au poëte phrygien. 3 Dessein de songer. Pléonasme vicieux. ▲ Hyménée. Expression figurée pour le mariage. Dans la mythologie grecque, Hymen ou Hyménée était une divinité qui présidait au mariage. Étangs. Périphrase poétique pour désigner les grenouilles. * Peur. |